Rentrée 42 : une pièce sans économie de bonnes répliques

par Philippe Pichon

En juillet 1942, furent raflés par la police parisienne plus de 13 000 Juifs français, parmi eux 4 500 enfants. Sous un angle original, Rentrée 42 revient sur cet épisode parmi les plus dramatiques de l’Histoire de France contemporaine, narrant la rentrée d’une école élémentaire pour filles du 11^e arrondissement parisien où, à 8h25, au moment auquel retentit la cloche dans la cour de récréation, seules 17 élèves sur 123 se présentent cartables au dos et en blouse d’écolier. Quatre enseignantes incarnent quatre sensibilités de l’époque : la directrice qui paraît neutre, l’une pétainiste, l’autre communiste, la dernière attentiste.

Côté texte, Xavier Lemaire administre une pièce sans économie de bonnes répliques, évitant tout ennui. Côté mise en scène, en trois actes sur un décor unique (une salle de classe), le même Lemaire nous prive de tout temps mort.

Mais c’est véritablement la belle vitalité du jeu des comédiens qui signe l’intérêt de la pièce. Avec, en tête, la formidable Isabelle Andréani, l’institutrice gersoise, que l’on avait déjà trouvée exceptionnelle (le mot n’est pas trop fort) dans Un cœur simple (d’après Flaubert). Elle rayonne ici, passant en quelques secondes, de la joie de vivre à l’absolue tristesse, emportant avec elle tout le public. Anne Richard, qui connaît son métier comme un couteau suisse, campe la directrice de l’école. Après le décevant Coupable(s), où elle peinait sur les planches à incarner un lieutenant de police désabusé crédible (d’ailleurs comme Miou-Miou dans la version cinématographique de l’adaptation du roman de Jean Teulé, Les Lois de la gravité), la comédienne retrouve ici la sincérité de scène qu’elle déployait (avec son frère) dans Agatha d’après Duras. Elle est convaincante dans ce rôle et possède la clé de la pièce dans un twist final que l’on ne voit pas arriver. Les autres comédiens sont à l’unisson, notamment Michel Laliberté (il nous avait bluffé dans la peau de Rabelais à l’Essaïon et on l’avait découvert en beau gosse dans le Valmont des Liaisons dangereuses) en inspecteur de l’Éducation nationale qui impose sa présence scénique avec une belle autorité.

On s’amuse, on s’émeut, on réfléchit. On a là un théâtre qui ne croit pas à la tradition, mais à la transmission. Nous transmettons à nos cadets des valeurs qu’ils utiliseront comme ils le voudront, de même que nous avons utilisé comme nous le voulions une littérature que nous avons reçue lors de nos Humanités. Voilà pourquoi Xavier Lemaire a monté Rentrée 42 où des comédiens vivants parlent littérairement de (graves) sujets du passé. Un auteur, mort comme vivant, illustre comme obscur, est un homme, qu’en tant que tel on a le droit de contester, qu’on a le droit d’aimer. Il faut être familier avec les auteurs parce que leurs œuvres sont notre plus proche famille. Le temps théâtral n’est pas le même que celui de la vie. Racine date d’il y a près de quatre cent ans, et il suffit que je le lise pour qu’il soit d’aujourd’hui. Les lecteurs sont des princes charmants. Ils réveillent les princesses endormies que sont les auteurs. Ici le spectateur et les comédiens se marièrent et eurent beaucoup de talent.

Rentrée 42, une pièce de Pierre-Olivier Scotto et Xavier Lemaire, MeS de Xavier Lemaire, avec Anne Richard, Isabelle Andréani, Emilie Chevrillon, Fanny Lucet, Dominique Thomas et Michel Laliberté. Décor : Caroline Mexme. Lumières : Didier Brun. Musiques : Philippe Bozo. Costumes : Christine Vilers. Du 2 octobre 2024 au 27 avril 2025, à la Comédie Bastille (5, rue Nicolas Appert, 75001 Paris – Métro Richard-Lenoir). Réservations : 01 48 07 52 07. www.comedie-bastille.com

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