Avec Maulin, la fête continue !
Truculent, drolatique, brillant, intelligent, jubilatoire, les qualificatifs ne manquent pas pour décrire le dernier opus d’Olivier Maulin, le 9e de sa talentueuse bibliographie. Une symphonie littéraire écolo-satirique de nos tristes temps postmodernes. On ne présente plus l’auteur depuis son premier roman, En attendant le roi du monde (L’Esprit des Péninsules, 2006), qui a donné la tonalité de son œuvre jusqu’à cette Fête est finie (Denoël, 2016), aussi furieusement déjantée que ses précédentes Lumières du ciel (Balland, 2011). Une vieille tante, sorcière bio psychédélique, croisée vers la fin du livre « avait définitivement renoncé au monde des hommes pour celui de la forêt ». Quel plus bel Aventin, en effet, que cet ultime refuge de notre primordialité fondatrice…
Un des personnages, Picot, avoue même au roi de la forêt, un cerf alcoolique, planté devant lui, telle la Statue du Commandeur, qu’il « n’a pas tellement envie de rentrer à Paris ». On le comprend, le bougre. Avec son copain Totor, un géant pas franchement méchant, mais parfaitement abruti, mélomane monomaniaque (capable, chialant d’émotion comme un veau arraché à sa mère, de « rester vautrer douze heures dans le sofa à écouter Bach »), ils décrochent un emploi (exeunt les métiers) de vigile de nuit dans un parc de camping-car avant d’atterrir aux fins fonds de l’Alsace, dans un camping tenu par des survivalistes, non sans avoir semé une famille de romanichels (répondant au nom de Sarkozï) qui les avaient d’abord involontairement kidnappés, tandis qu’ils cuvaient leur whisky dans un Hymer luxueux.
Sous la conduite d’un général improvisé, un exquis nabot du León, ils se retrouveront à tenir le siège d’une ZAD (zone à défendre) à flanc de montagne. Maulin nous transporte dans un univers à nul autre pareil ayant pour cadre une Alsace haute vosgienne mystico-païenne, dernier îlot de résistance à la médiocrité techno-mondialo-démocratique ambiante, mettant en scène des personnages aussi pittoresques qu’enracinés, farouchement attachés au sol invictus (« On est du côté du soleil, nous autres ! Le beau soleil qui se lève et se couche ! »).
Il y a un peu des Grandes Gueules de Robert Enrico et des Trois Badours du regretté ADG, tant la rudesse des mœurs et le franc délire se mélangent subtilement pour nous donner un récit finalement plus politique que romanesque. Surtout, on goûtera sans modération les tirades quasi elluliennes sur « le progrès et la destruction de l’environnement que celui-ci avait causé. »
Entre deux verres de kirsch ou de schnaps à la composition improbable, ces « desdichados » d’un monde déliquescent délivrent un vibrant plaidoyer en faveur du devoir d’insurrection populaire face à la dictature du progrès.
Ainsi, dans l’Histoire, les contestations du progrès, « loin d’être liées à l’ignorance étaient au contraire liées à la connaissance ! Voilà la vérité ! Connaissance intuitive des conséquences de l’obscur progrès dont le peuple savait dans sa sagesse infinie qu’elles dépasseraient bientôt en négativité les bienfaits de celui-ci ! Connaissance des équilibres naturels que ces paysans et fils de paysans millénaires savaient d’instinct ! »
Magistral !
Cette chronique a été diffusée dans l’émission « Synthèse », animée par Roland Hélie avec la collaboration de Philippe Randa, sur Radio-Libertés le 1er décembre 2016.
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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.