21 mai 2016

Jeunesse dorée…

Par Nicolas Gauthier

 

Autrefois, seuls les généraux à la retraite contaient leurs batailles passées. Aujourd’hui, tous les anciens combattants du rock s’y mettent ; pas forcément sous forme de mémoires stricto sensu, mais souvent sous celle d’autofictions plus ou moins autofictionnelles.

L’avantage du genre, c’est qu’il est rare que ses auteurs s’y prennent trop au sérieux, comme si la musique binaire amenait une sorte de distance.

Pierre Robin, donc, et son groupe mort-né, Jeunesse dorée, duo formé avec un cousin alter ego assez dandy, mais dont la chemise dépassait toujours du pantalon, faute impardonnable, vu les canons vestimentaires de l’époque. Jeunesse dorée ? Formation emblématique des années quatre-vingt ; en fait, qui aurait bien voulu l’être, mais avec un notoire insuccès, n’ayant jamais sorti le moindre disque. Mais qui voulait pourtant rivaliser avec les maîtres anglais du genre, on cite dans le désordre et sans ordre de préférence : Joy Division, Spandau Ballet, Cabaret Voltaire, Depeche Mode, Kraftwerk, Duran-Duran et autres « Groupes pop à mèches », auquel l’auteur de ce livre vient par ailleurs de consacrer un ouvrage éponyme des plus érudits (Actes-Sud Rock).

Pierre Robin, encore, ses amis vous le confirmeront, n’est un pas optimiste forcené et on ne voit guère d’autre que lui pour incarner à la perfection ce joli proverbe corse : « Il suffit que je me mette à fabriquer des chapeaux pour qu’il naisse des hommes sans tête. »

Pourtant, on se poile à chacun de ses paragraphes et phrases. On se gondole d’autant plus quand on connaît mieux les personnages se dissimulant derrière ce roman à clefs. Mettons, au hasard, les joyeux trublions de la bande de Jalons, un flamboyant homosexuel d’extrême droite, par ailleurs biographe brillant d’auteurs nationalistes affichant près de deux siècles au compteur et dont il est, fortuitement, souvent le seul à se souvenir des noms.

Et Marc, personnage des plus attachants, maître d’œuvre de ce possible 45 tours de Jeunesse dorée, avorté avant terme ; jeune lui aussi, mais guère doré, puisque n’étant pas issu des beaux quartiers haussmanniens. Soit le seul qui, dans ce livre, ne joue pas un rôle, ne se dissimule pas derrière des postures, pauvre habitant du Val-d’Oise qu’il est, à risquer les quolibets des usagers de trains de banlieue, à cause de ses platform boots et de son maquillage à paillettes. Être glam à Ermont-Eaubonne au siècle dernier, c’était peut-être aussi cela, être rock ; en tout cas plus rock que les duettistes de… Jeunesse dorée, au hasard. Marc est donc, tout bien pesé, le véritable héros de ce livre… Working Class Hero, comme chantait John Lennon.

Pierre Robin, pour finir, dont ce livre est donné en quatrième de couverture pour être son « premier et dernier roman », est un fin styliste. Il y a chez lui à la fois du souffle et de l’inspiration ; des regrets, mais pas de rancœur. De la mélancolie, mais pas de nostalgie. Comme quoi, cet éphémère romancier montre qu’il sait être un véritable écrivain, grâce à ces pages fignolées au cordeau, et démontre, surtout, qu’il y a parfois plus de grâce à manquer les choses qu’à les réussir. C’est peut-être cela aussi, l’autre nom du talent littéraire, de ce talent tout court qui, on l’espère, ne demeurera pas en éternel devenir.

Erickbonnier éditeur. 188 pages 18 euros.

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