3 février 2016

Alexandre Ptouchko et le cinéma initiatique de l’union soviétique

Par Nicolas Bonnal

Nos traditions ont été peu défendues ou mal illustrées en occident où des filmographies sont peu inconnues, comme la japonaise et la soviétique.

Paradoxalement, c’est d’Union soviétique que sont parfois venus les meilleurs films enracinés dans notre tradition paysanne et folklorique – avec même des pointes de christianisme en dépit de l’athéisme avéré du régime. Le maître de ces récréations filmées fut l’animateur et cinéaste épique Alexandre Ptouchko.

Ptouchko est d’abord marionnettiste et animateur (d’où la mauvaise et récurrente comparaison avec Disney). Il va inventer une série de procédés et dominer la couleur comme personne. Son inspiration va devenir de plus en plus initiatique, littéraire et hiératique comme celle de beaucoup des grands maîtres soviétiques.

En 1935, il réalise une version géniale de Gulliver où les lilliputiens sont de simples… marionnettes animées plan par plan. La marionnette caricature le roi baroque et dégénéré qui rêve de guerre à tout bout de champ. La caricature du roi baroque est très présente aussi dans le cinéma de Rou, alors que le Moyen âge est toujours profondément respecté. On croirait voir Candide en action dans cette comédie. Le Gulliver très « pionnier » est joué par un gamin soviétique qui rêve qu’il est Gulliver et donc refait le conte à sa manière ! Notre grand travailleur a aussi adapté Pinocchio, d’après l’œuvre du grand Carlo Collodi, qui inspira aussi Disney et son film le moins malsain !

Après la guerre, Ptouchko va filmer les navigations initiatiques de Sadko (penser à notre Maelduin), puis illustrer les épopées de Pouchkine. On est en plein boom ethnique, c’est l’ère de la russification. Il y a l’incroyable tzar Saltan, dont on peut découvrir la partition (de Rimski, comme Sadko) sur Youtube, qui présente un des plus beaux contes de fées russes (skaska). Il y a surtout Ilya Murotmetz, récit légendaire (bylina) qui narre la lutte des kiéviens et des blonds bogatyr contre les tartares, sous l’égide d’un héros surhumain jusque-là paralysé par une malédiction et guéri par des pèlerins. Les paysages de l’Oural sont sensationnels, et la légende veut que l’on y compte cent mille figurants et dix mille chevaux, sans compter les cloches et les signes de croix !

Car ici encore, les mouvements de foule, les couleurs, les décors font penser à un vitrail médiéval.

À la fin de sa longue et prestigieuse carrière d’artiste maréchal de l’Union soviétique, Ptouchko dirige (le tournage dura quatre ans !) de son chef d’œuvre, Ruslan et Ludmilla, toujours d’après Pouchkine.

Je conseillerai enfin un opus encore plus méconnu, dans le saint des saints de ce cinéma pour amateurs pointus : La fleur de pierre, d’inspiration très germanique (la fée de la montagne tente de retenir un mineur dans sa montagne sacrée ; il en est libéré par sa femme), et qui n’est pas sans évoquer l’Ofterdingen de Novalis.

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