Une douloureuse extraction de racines
On connaît l’extrême lassitude du caméléon frigorifié ayant décidé bêtement de passer l’hiver au chaud sur un plaid écossais. Avez-vous pensé à celle d’un étranger soucieux d’assimiler notre belle langue pour réussir au plus vite son intégration culturelle dans une nation qui doute de plus en plus de ses racines, tout comme d’ailleurs doute des siennes la communauté européenne dont elle fait partie.
Et ce brave garçon de se pencher sur la vraie signification de cette entité incertaine que recouvre ce mot « racines ». Appliqué, il se risque à consulter le dictionnaire qui pourrait l’éclairer. Aïe ! Aïe ! Aïe !
Mon Dieu ! Que de subtilités ! Entre l’extraction d’une racine carrée et celle de la racine d’une dent cariée, il y a vraiment de quoi souffrir.
Quant à l’extraction des racines de l’Europe n’en parlons pas. S’agit-il de racines indo-européennes, de racines judéo-chrétiennes ou simplement chrétiennes ? Faut-il envisager comme l’a suggéré le Président Folamour un implant de racines musulmanes dans les mâchoires usées de l’étau chrétien qui les auraient naguère broyées ? Encore que l’idée même d’une telle opération ait déclenché un réjouissant fou rire chez nos amis gallois, irlandais, écossais, baltes, scandinaves et autres…
Afin de faciliter toute intégration européenne il serait bon de lever, une fois pour toutes, la moindre ambiguïté. Pour ce faire Ernest Legouvé détient peut-être la solution qui permettrait de consolider les racines de cette Europe dont le mordant est pour le moins érodé.
Ernest Legouvé ? Mais oui, le moraliste, essayiste du XIXe siècle…, l’exécuteur testamentaire de Victor Schoelcher… l’abolitionniste de l’esclavage… un esprit on ne peut plus politiquement correct. Prenons connaissance du test qu’il nous propose.
« Voulez-vous vous rendre compte de l’influence du christianisme sur la civilisation ? Effacez ce qui subsiste d’elle dans les domaines du beau, du vrai et du bien. Entrez dans tous les musées et décrochez des murailles l’image du Christ. Faites disparaître tous les tableaux où figurent la Vierge et Dieu. Emportez les toiles et les statues qui représentent des saints, des martyrs, des apôtres. Après l’architecture, la musique. Rayez du nombre des compositeurs Haendel, Palestrina, Bach et tant d’autres. Entrez ensuite dans la sphère de la pensée et de la poésie ; pourchassez le nom du Christ dans les vers de Lamartine, de Victor Hugo, voire de Musset… Ce n’est pas tout. Faites un pas de plus. Détruisez aussi les hôpitaux ; supprimez Saint Vincent de Paul, saint François d’Assise… Puis, cette besogne accomplie, retournez-vous. Embrassez d’un coup d’œil les dix-huit cents ans échelonnés derrière vous, et regardez sans épouvante, si vous le pouvez, le vide que fait à travers les siècles, cette seule croix de moins dans le monde. »
Y a-t-il une objection ? Une question ? Non ? Merci. La séance est levée.
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