Rééditer Céline : une tempête dans un verre d’eau
Depuis quelques semaines déjà une polémique fait rage concernant la possible réédition de trois pamphlets de Louis-Ferdinand Céline considérés comme antisémites, soit Bagatelles pour un massacre, L’école des cadavres et Les beaux draps, et ce, par un géant de l’édition : Gallimard.
Depuis l’annonce de cette réédition, c’est une véritable tempête médiatique qui se déchaîne, alimentée par certains groupes de pressions qui affirment craindre que la publication de ces pamphlets, pourtant disponibles en format PDF sur la toile, ne ravive un antisémitisme qui serait latent et qui n’attendrait qu’une étincelle pour se rallumer. Face à un tel tollé, Gallimard fit d’abord volte-face, avant de décider de continuer d’aller de l’avant malgré les pressions exercées contre lui, notamment par Françoise Nyssen, ministre de la Culture, et le président Macron lui-même, qui condamna cette réédition lors du plus récent dîner du CRIF au Carrousel du Louvre le 7 mars dernier.
Jusqu’alors, la veuve de Céline, Lucienne Destouches, aujourd’hui âgée de 105 ans, s’opposait selon les derniers vœux de son mari à la réédition de ces pamphlets avant de finalement changer d’idée et de céder les droits à Gallimard.
Vue de ce côté de l’Atlantique, cette controverse a de quoi faire sourire. Lesdits pamphlets, accompagnés de Mea Culpa, Hommage à Zola et de deux textes datant d’après la guerre, soit À l’agité du bocal et Vive l’amnistie, Monsieur !, sont en vente libre depuis 2012 au Québec sous le nom d’Écrits polémiques (1), le tout précédé par une introduction et suivi d’annotations de Régis Tettamanzi, professeur de littérature à l’Université de Nantes.
Les lois sur les droits d’auteur étant plus laxistes au Canada, la réédition de ces pamphlets dans une œuvre cohérente était tout à fait légale. C’est d’ailleurs cette version que Gallimard rééditera, les droits d’auteur pour les annotations et l’introduction ayant été acquis des Éditions Huit.
Lors de la parution de ce volumineux ouvrage de 980 pages en 2012, il y avait eu fort peu de controverse au Québec, hormis deux articles de la grande presse qui avaient critiqué la décision de les republier. Rémi Ferland avait d’ailleurs tenté d’intéresser la grande presse à cette réédition, mais sans grand succès malheureusement. Depuis, l’existence de ce livre avait été discutée dans la presse française, notamment par Le Petit Célinien, Le Figaro littéraire, Philitt, Le Point, Livr’Arbitres et même par L’Express, qui parlait d’un « modèle du genre », Pascal Guimier d’Arte, saluant quant à lui une « belle étude scientifique. »
Tout cela bien avant que les médias de masse n’« apprennent » l’existence de cette réédition dans les dernières semaines, braquant les projecteurs sur cette petite maison d’édition indépendante. En termes de scoop, on a déjà vu mieux !
Il faut le dire, si l’on veut rassurer les gens du CRIF, aucun pogrom n’a suivi la réédition au Québec et celle-ci ne fut pas « instrumentalisée » par un groupuscule d’extrême droite quelconque. Mieux, rien de tel ne s’était produit en France suite à la réédition des Décombres de Lucien Rebatet par Robert Laffont en 2015. Bref, on peut dormir tranquille.
La tempête qui fait rage présentement n’est qu’une tempête dans un verre d’eau, ou plutôt dans un « bocal », et il faut saluer tant le courage d’Antoine Gallimard d’aller de l’avant que celui de Rémi Ferland d’avoir été un véritable pionnier dans ce dossier et d’avoir finalement peut-être convaincu indirectement Madame Destouches de changer son fusil d’épaule concernant cette réédition tant attendue par les amoureux de la prose célinienne.
Note
(1) Par la suite, Rémi Ferland, directeur des Éditions Huit, avait continué à se faire apprécier des céliniens en ajoutant à sa collection Voyage au bout de la nuit « seul manuscrit », Les pamphlets de Céline : lectures et enjeux et, tout récemment, une correspondance inédite de Céline, sous le titre de Lettres à Édith et à Colette.
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Le Bulletin célinien, fondé en 1981 par Marc Laudelout, est une revue entièrement consacrée à l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline (Le prix de l’abonnement est de 47 € (France et Belgique). Pour les pays extra-européens l’abonnement est de 51 €. L’abonnement comprend les onze numéros de l’année en cours.)
LE BULLETIN CELINIEN – c/o Marc Laudelout – 139 rue Saint-Lambert – BP 77 – BE 1200 Bruxelles – Belgique ; site internet : cliquez ici.
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