Nous sommes tous des Zombies !
Coup sur coup, deux légendes hollywoodiennes s’en sont allées pour un monde réputé meilleur. George A. Romero et Martin Landau. A priori, rien de commun entre les deux hommes, l’un était réalisateur, l’autre acteur, le premier s’est fait connaître par ses ineffables morts-vivants, le second par sa présence tranquille et discrète dans la série à succès, Mission impossible. Mais, l’un comme l’autre furent les représentants d’une époque révolue du cinéma américain des décennies 1960-1970-1980.
Surtout, et c’est d’autant plus vrai pour Romero qui en stigmatisera les travers avec acuité, ces années-là symbolisent, à la fois, l’acmé et la crise structurelle irrémédiable de la société de consommation, sa propension à l’accumulation, au gigantisme, et au gaspillage. Ses films de morts-vivants, autrement appelés « zombies » sont caractéristiques de cette époque qui demeure plus que jamais la nôtre, la sidération médiatique en sus.
La sortie, en 1968, de La Nuit des Morts-Vivants (The Night of the Living Dead) coïncide avec la guerre froide et l’entrée en guerre des États-Unis au Viêt-Nam[1]. Ces cadavres échappés de leurs sépultures sont les mauvais génies d’une Amérique qui se croit encore conquérante. Comme le souligne Vincent Avenel dans une remarquable chronique publiée sur le site Critikat.com (29 juillet 2006), The Night of the Living Dead ne prend aucunement sa source ou son inspiration dans un « passé religieux avéré, d’argument mystique : les zombies de Romero sont les enfants de la guerre froide, rejetons d’une science incontrôlée, rendus crédibles car horriblement proche de l’humain. Ni grandiloquence, ni distance, ni humour : le film s’impose par une approche proprement terrorisante du monstre, mis en vis-à-vis immédiat avec le spectateur ». Nous sommes loin, en effet, de l’angoissant Vaudou (I Walked with a Zombie, 1943) de Jacques Tourneur[2]. D’ailleurs, en voyant le film, on comprend très vite que ces ectoplasmes revenus d’entre les morts ne sont que la funeste et dramatique conséquence d’un accident de type nucléaire survenu non loin du fameux cimetière. Bien que s’étant inspiré de Je suis une légende de l’écrivain et scénariste Richard Matheson[3], reconnaissons que La nuit des morts-vivants emprunte tout autant ses traits à Godzilla (Gojira de Ishirô Honda, 1956) qu’à Le monde, la chair et le diable (The World, the Flesh and the Devil de Ranald MacDougall avec Harry Belafonte, Inger Stevens et Mel Ferrer, 1959), brillant et oppressant huis clos dans une ville désertée de ses habitants.
La créature du Docteur Frankenstein s’est muée, qui plus est, en monstre de masse. Zombie (Dawn of the Dead, 1978[4]) apparaît, ici, comme l’archétype de la dénonciation de la société de consommation. Une scène du film est assez révélatrice de l’état d’esprit du réalisateur, même si celui-ci s’est toujours défendu de faire passer quelconque message plus ou moins politique. Tandis qu’ils assistent effarés et atterrés à l’invasion d’un supermarché, l’héroïne interroge :
― Pourquoi ils viennent ici ?
— C’est l’instinct. Le souvenir de ce qu’ils faisaient. Ils aimaient cet endroit, lui répond son ami.
Dialogue saisissant duquel pointe une satire féroce du consumérisme le plus matérialiste et le plus nihiliste qui soit. Aucune rédemption possible pour ces monstres surgis des entrailles de la Terre qui, lorsqu’ils étaient humains, ont inconsciemment subi une modification anthropologique qui les a fait advenir au rang de ces produits qu’ils ont immodérément consommés de leur vivant. Ces zombies, dépourvus d’âme, sont ramenés à la matière et retournent « d’instinct » à la matière.
Vincent Avenel observe, très justement, que « Zombie annonce dès ses premières images que la norme a changé : dès le début, les morts sont aussi présents que les vivants, la société telle que nous la connaissions ne pourra pas renaître. Prisonniers de la routine et du consumérisme, sacrifiant tout au paraître, le zombie du second film de la saga ressemble aux yuppies des années 1980. Alors que les vivants demeurent toujours plus veules, idiots, intéressés et nombrilistes, Romero semble dire avec Zombie qu’il est vain d’espérer en l’homme, qui ne changera plus sa course. Le portrait sordide qu’il dresse d’une humanité inféodée aux dieux mercantiles n’est pas un cri d’alarme : il est déjà trop tard pour cela. Il est impossible de faire machine arrière ».
En 1985, Romero, avec Le Jour des morts vivants (The Day of the Dead) annonce, dans un film désespéré, que les Zombies ont gagné, parachevant, par surcroît, le règne du scientisme, les militaires symbolisant une sorte de totalitarisme qui vient. Le réquisitoire sera poursuivi dans Les Chroniques des Morts-Vivants (Diary of the Dead, 2007), excellent film d’horreur s’attaquant, sous couvert, encore une fois, de film de genre, aux excès des technologies de l’information et de la communication, les réseaux sociaux et l’Internet gommant le fait brut au bénéfice d’un « storytelling » totalement fantasmé mais tellement préférable au monde réel.
Autant de chefs-d’œuvre qui finissent par nous convaincre que les Zombies ne sont pas ceux que l’on croit.
Notes
[1] En 1974, Bob Clarck réalisa Le Mort-Vivant (Dead of Night).Dans la même veine que son fameux prédécesseur, ce film méconnu était porteur d’un message politique des plus explicites : Andy (interprété tout en finesse par un Richard Backus très crédible) est tué au Viêt-Nam. Il revient néanmoins dans sa famille, à la grande joie de sa mère qui refusait cette idée de la mort de son fils. Mais Andy ne peut cacher bien longtemps qu’il est, en réalité, un zombie charriant les pires horreurs du conflit vietnamien. Le film se veut une véritable dénonciation d’une guerre sordide dans laquelle le Grand Sam s’enlisait jusqu’à l’entêtement.
[2] Bien qu’il ne faille pas trop minorer la filiation ou l’inspiration, l’usage du noir et blanc et l’économie de moyens de Romero rejoignant l’hypnotisme esthétisant de Tourneur.
[3] Ultime survivant de l’espèce humaine, Robert Neville doit organiser son existence solitaire dans une ville abandonnée, frappée d’une épidémie qui l’a vidée de ses habitants. Sa seule compagnie, qu’il doit fuir, est celle de vampires arborant des visages qu’il ne connaît que trop bien. Médiocrement adapté au cinéma en 1964 par Ubaldo Ragona et Sidney Salkow (mais signé uniquement par ce dernier) avec Vincent Price dans le rôle-titre, il fit l’objet d’un remake de Francis Lawrence en 2007 avec Will Smith.
[4] À noter que le film a été co-scénarisé avec Dario Argento, lequel en composa également la partition musicale.
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