Baptême par immersion
« Courbe-toi, fier Sicambre ! Brûle ce que tu as adoré, adore ce que tu as brûlé. »
Telles sont les paroles qu’on prête à saint Remi lors du baptême de Clovis. À quoi les plaisantins disent que Clovis aurait rétorqué : « Cambre-toi, vieux si courbe ! »
C’est ainsi qu’en 496, la France devint la fille aînée de l’Église. Mais que veut dire au juste cette expression ? Les Francs, on l’a vu, n’ont pas été les premiers barbares de l’empire à se convertir, mais les derniers. Les Wisigoths et les Burgondes, présents en Gaule avant les Francs, étaient chrétiens. De plus, la France n’existait pas encore au sens strict, ni même au sens large.
Clovis s’est fait baptiser en même temps que trois mille de ses guerriers, dit-on. Le chiffre est sujet à caution : il faut retenir qu’ils se firent baptiser en masse, et rien ne dit que ce fut au même endroit ni le même jour. Mais les habitants de la Gaule, eux, étaient chrétiens depuis longtemps. Et ils étaient sujets d’un empire qui l’était au moins depuis Constantin, en 313, et depuis Théodose, en 380. Ce n’est donc pas parce que Clovis s’est fait baptiser que la Gaule est devenue chrétienne, mais le contraire : Clovis a adopté la religion de ses sujets – par immersion, si l’on ose dire !
Les Wisigoths et les Burgondes étaient déjà chrétiens, certes ; mais ils étaient ariens. C’est-à-dire qu’ils avaient adopté l’hérésie professée par Arius, et encouragée par l’empereur d’Orient (Constantin lui-même avait été baptisé par un évêque arien). Il faut noter que l’arianisme favorisait l’exercice par les rois barbares d’un pouvoir religieux, dans une sorte de césaro-papisme qui a perduré dans la religion orthodoxe. Tandis que le peuple de la Gaule en était resté au christianisme défini par le concile de Nicée, et le pape aussi, bien entendu. Cette différence maintenait un fossé entre la population et ses nouveaux maîtres.
Quoique nièce du roi des Burgondes, Clotilde était restée fidèle à la foi des origines. Si bien que c’est le christianisme romain (celui de Rome, ville du pape, et non celui de l’empereur de Constantinople) que, sous son influence, Clovis se décida à embrasser. Dès lors, les mariages des nouvelles élites franques avec les familles des grands propriétaires terriens et des fonctionnaires gallo-romains se multiplièrent. C’est pour cette raison, entre autres, que ce fut en France (et non en Italie, n’en déplaise aux humanistes italiens) que la civilisation romaine, latine, perdura le mieux, parce que les nouvelles élites s’y mélangèrent plus vite au reste de la population.
Une des causes du déclin des Francs, au IVe siècle, avait été le fait qu’ils étaient restés païens. Mais en adoptant au Ve siècle le christianisme de Nicée, ils reçurent l’appui du pape. Ainsi la guerre contre Alaric II, roi des Wisigoths, qui se termina en 507 par la bataille de Vouillé, prit-elle une allure de guerre contre l’hérésie. Clovis avait, en quelque sorte, choisi le pape contre l’empereur. Dans l’histoire de l’Empire romain en train de se dissoudre, ou dans celle de l’Europe en train de naître, le baptême de Clovis est donc une date capitale.
Les chroniques de Pierre de Laubier sur l’« Abominable histoire de France » sont diffusées chaque semaine dans l’émission « Synthèse » sur Radio Libertés.
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