Roger Moore, une certaine image du cinéma européen
Ainsi s’en est allé Sir Roger Moore, né le 14 octobre 1927 à Stockwell (dans la banlieue de Londres), ayant rendu son âme à Dieu, ce triste 23 mai 2017 à Crans-Montana en Suisse. Élevé commandeur de l’ordre de l’Empire britannique, en 1999, il sera anobli comme chevalier du même ordre, le 14 juin 2003. « Sa majesté », comme aurait gentiment ironisé son compère Danny Wilde, dans l’incomparable, mais trop courte série à succès, Amicalement vôtre (The Persuaders, 1971-1972), méritait à coup sûr ces accolades aristocratiques, pour les dignes services artistiques rendus à l’une des plus anciennes thalassocraties du monde.
Qui n’a gardé en mémoire les personnages d’Ivanhoé, de James Bond ou de Simon Templar alias Le Saint, autant de héros auxquels des centaines et des milliers d’adolescents européens et d’outre-Atlantique se sont identifiés ? Certes, les uns comme les autres étaient d’une qualité souvent inégale, mais le divertissement était, malgré tout et sans condition, toujours au rendez-vous. Le chevalier saxon imaginé par Walter Scott ne fut certainement pas la plus grande prouesse filmique de l’acteur qui, de ce point de vue, a bien du mal à détrôner l’excellent Robert Taylor dans le superbe film homonyme de Richard Thorpes.
Quant aux sept James Bond, qu’il incarna de Vivre et laisser mourir (Live and Let Die, de Guy Hamilton, 1973) à Dangereusement vôtre (A View to a Kill, de John Glen, 1985), les puristes ont pu nourrir à l’égard de Moore certaines préventions, estimant que Sean Connery, avec l’assurance mâle et ombrageuse autant que la discrète et froide misogynie seyant au personnage inventé par Ian Fleming, demeurait, envers et contre tout, la personnification indépassable de l’espion de sa Gracieuse Majesté.
Restent, nonobstant – à nos yeux, à tout le moins –, dignes de considération, le premier joué par Moore (avec la vaporeuse et envoûtante Jane Seymour) suivi de L’Homme au pistolet d’or (The Man with the Golden Gun du même Guy Hamilton, 1974 ; Christopher Lee, auréolé de la gloire acquise avec Dracula, y campera l’inoubliable Scaramanga secondé par le bien nommé Hervé Villechaise, nain machiavélique que l’on retrouvera quelques années plus tard dans la série L’île fantastique aux côtés de Ricardo Montalbán), puis L’Espion qui m’aimait (The Spy Who Loved Me, de Lewis Gilbert, 1977 où l’excellent Richard Kiel doté d’une impressionnante mâchoire en acier, interprétera Requin, méchant à souhait).
Vraisemblablement, l’ultime Dangereusement vôtre aura été le Bond de trop, Moore accusant une réelle lassitude dans les scènes d’actions, seule l’hallucinante Grace Jones tirant incontestablement son épingle du jeu. Même Christopher Walken s’est avéré assez décevant, lors même qu’il sût s’imposer avec brio dans Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter, de Michael Cimino, 1978), Les Chiens de guerre (The Dogs of War, de John Irvin, 1980) ou encore la remarquable adaptation du roman de Stephen King, Dead Zone (David Cronenberg, 1983).
Entre-temps, Roger Moore tournera, en compagnie de Richard Burton, Richard Harris, Hardy Krüger et Stewart Granger, un haletant « film de mercenaires », Les Oies sauvages (The Wild Geese, d’Andrew V. McLaglen, 1978). Moins cyniques sans doute que les « affreux » de l’illustre et tout aussi brillant devancier Le Dernier Train du Katanga, (The Mercenaries, de Jack Cardiff, 1968), ceux des Oies sauvages, sans verser dans l’hagiographie complaisante des « soldats maudits », rend néanmoins hommage à leur courage tout en reconnaissant une certaine noblesse utilitaire à leur périlleuse mission. Notable succès commercial, le film fera l’objet, sept ans plus tard, d’une suite désastreuse, au point que de nombreuses salles refusèrent de le projeter. Andrew V. McLaglen s’adjoindra à nouveau Roger Moore dans un honnête film d’action, Les Loups de haute mer (North Sea Hijack, 1980).
Enfin, l’on ne pourra passer sous silence Le Trésor des sept collines (Gold of the Seven Saints, de Gordon Douglas, 1961), méconnu, mais attachant et unique western tourné par Moore (excepté la série Maverick où il sera des plus cabots dans un Far-West alibi), aux côtés de Clint Walker, le robuste et athlétique trappeur du Géant du Grand nord (Yellowstone Kelly de Gordon Douglas, 1959). Film qui mériterait d’être redécouvert, ne serait-ce que pour son prolifique réalisateur auquel on doit, notamment, la trilogie des péripéties policières du détective Tony Rome (Tony Rome est dangereux, Le Détective, La femme en ciment) avec Franck Sinatra ou le délicieusement horrifique (par son charme suranné) Des monstres attaquent la ville (Them!, 1954).
Ayant imprimé à ses rôles comme dans sa vie tout à la fois son style si particulier, sa tenue, droite et digne en toutes circonstances, son élégance inimitable, son flegme et sa décontraction maîtrisée, son charme juvénile sans oublier son irrésistible humour – « so british », bien évidemment – et son ironie toujours subtile, Roger Moore aura su marquer des générations de cinéphiles qui lui sauront éternellement gré de n’avoir jamais triché avec son art.
Jusqu’au bout, il fut un acteur authentique, endossant tous ses rôles avec un égal bonheur, pour le plus grand plaisir de ses afficionados qui lui pardonneront tout, de L’enlèvement des Sabines (Il ratto delle Sabine de Richard Pottier, 1961), navet contrapuntique, mais sympathique à la tout aussi improbable Équipée du Cannonball (The Cannonball Run de Hal Needham, 1981).
Lorsqu’il confia à Paris-Match, en 2015, que « « bien que James [Bond] ait été joué par un Écossais, un Gallois, un Irlandais, je pense qu’il doit être Anglais-Anglais. [Qu’Idris Elba, acteur noir soit pressenti pour succéder à Daniel Craig] c’est néanmoins une idée intéressante, mais irréaliste, (…) Il y a des années, j’ai dit que Cuba Gooding Jr [autre acteur afro-américain] ferait un excellent Bond, mais c’était une plaisanterie ! », la bien-pensance universaliste « united color » tenta de lui faire le mauvais procès du « racisme ».
En vain. Les murailles du temps et de la notoriété étaient bâties bien trop haut pour qu’il fût souillé par quelques misérables postillons de la stupidité crasse ambiante.
Roger Moore est mort. Que vive James Bond et longue vie à la Queen !
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