Entretien avec Jean-Pierre Hutin, auteur de Bigeard Boys
« Chez nous, à la perspective d’un assaut,
un lieutenant ne disait jamais « En avant ! »,
il hurlait « Suivez-moi ! » »
Entretien avec Jean-Pierre Hutin, auteur de Bigeard Boys (éditions Dualpha)
(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul)
Quel homme étai vraiment Marcel Bigeard ?
En tout premier lieu, le père des parachutistes. Incomparable meneur d’hommes, tacticien remarquable, lorrain indomptable, le Colonel était un humaniste très économe de la vie de ses hommes. Attitude rarissime de la part d’un officier supérieur.
Bigeard « le guerrier fait homme », six fois blessé au combat, n’était pas « va en guerre », c’était un romantique, adepte de la philocalie. Il avait révolutionné les rapports humains avec ses Léopards. Il aimait ceux qu’il appelait ses petits gars, et il le leur faisait savoir. En retour, ses Léopards, ses enfants avaient épousé la folie romantique du patron, du père. Les Bigeard Boys avaient quitté la raison pour le joyeux monde ésotérique de la déraison.
Et les cadres, officiers, sous-officiers ?
Il a toujours été de bon ton de critiquer l’adjudant, forcément un abruti aviné, et bien sûr l’officier hautain et loin de ses hommes. Rien de tout cela dans les unités parachutistes. Les sous-officiers étaient épatants. Survivants d’Indochine, de Corée et autres guerres coloniales, ils avaient à cœur de vous faire partager leur savoir guerrier, leurs entraînements féroces, afin de nous rompre au combat dans la tradition des Léopards : « La sueur évite le sang. »
Très près de leurs hommes, ils partageaient crapahus, accrochages, dernières cigarettes, dernières gouttes d’eau,…
Quant aux officiers, ils partageaient à parts égales la dureté des marches et des combats.
Chez nous, à la perspective d’un assaut, un lieutenant ne disait jamais « En avant ! », il hurlait « Suivez-moi ! ». Il y avait une osmose parfaite entre les garçons du rang et les gradés. Nous étions tous des leurs.
À propos de la mort de Laurent, quelle était l’attitude des camarades lorsque l’un des vôtres était tué au combat ?
À l’époque, le Gouvernement pourtant socialiste n’avait pas à cœur de transformer les unités parachutistes en assistantes sociales comme c’est le cas à présent, en soldats de la paix… Il y a des gardiens pour cela ! D’autre part, lorsque l’un des nôtres tombait au combat, nous n’avions nullement besoin de cellule de crise avec médecin et psychologue. On lui rendait simplement les honneurs et la guerre continuait. Le deuil de notre frère d’arme était l’affaire de la mère, du père, du frère, de l’épouse, de ses proches civils.
Quel était l’état d’esprit des Léopards face à la mort, au sacrifice suprême ?
Une très grande sérénité. Il existe dans la langue française un mot très important, un nom commun : responsabilité. Nous étions responsables de notre engagement, et le risque de prendre « une petite mort » dans la tête en faisait partie, sinon, il suffisait d’être artilleur ou gonfleur d’hélices en Côte d’Or.
Aux jeux troubles de la chasse aux fellagas, non pas vulgaire comme la chasse aux divers gibiers sans aucune chance, la nôtre de chasse élevait le Léopard dans une noblesse cruelle où le chasseur pouvait à tout instant devenir gibier par le hasard des combats.
Tout égoïsme individuel avait disparu, le Léopard ne s’appartenait plus, il était partie intégrante de la compagnie de la section de son équipe voltige. Il faisait la guerre pour une cause qui lui semblait noble, mission sacrée de celle d’un chevalier moyenâgeux « protéger la veuve et l’orphelin », sacerdoce que l’on peut croire un tantinet pompier. Pourtant le Léopard plongeait sur la grenade meurtrière en y laissant sa vie, preuve que l’adage n’était pas vain.
Le sujet de la « question » est souvent tabou chez les anciens d’Algérie ?
Je n’ai pas d’interdit au sujet de la question. Il faut se remettre dans le contexte de l’époque : les militaires obéissaient aux politiques qui étaient dans cette affaire socialistes. Président du Conseil : Guy Mollet, Garde des Sceaux : François Mitterrand qui signa pour mémoire 72 exécutions capitales. La guillotine ne rouillait pas sous le régime socialiste. Et que firent les politiques de l’époque ? Ils donnèrent les pleins pouvoirs aux militaires, à charge pour eux d’éradiquer par tous les moyens ce qu’ils jugeaient nécessaire. Vous avez les pleins pouvoirs, signé « le gouvernement Ponce Pilate ». Les parachutistes étaient héritiers d’une tâche normalement réservée à la police ou à la gendarmerie. A-t-on le droit de toucher à l’intégrité d’un être humain ? Évidemment, non. Doit-on le faire ? Évidemment, oui. Bien sûr, on y perd son âme. Mais si cette descente aux enfers permet de trouver la bombe meurtrière et de sauver des vies innocentes, cette perdition des principes humanistes est hélas obligatoire.
Bigeard Boys de Jean-Pierre Hutin, éditions Dualpha, collection « Vérités pour l’Histoire », dirigée par Philippe Randa, 254 pages, 29 euros. Pour commander e livre, cliquez ici.
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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.