17 décembre 2024

À hue et à dia : Pichon, le Hussard nouveau est arrivé

Par Fabrice Dutilleul

Pourquoi ce titre, À hue et à dia ? Philippe Pichon, ex-flic et homme d’esprit qui rabroue les pédagogues à la recherche d’interprétations professorales, aurait pu dire sèchement : parce que.

À un éditeur qui le lui en déconseille la publication (« Vos Gallimardeux, cela fait très littéraire, mais il s’en dégage en même temps un léger parfum de scandale héroïque hors de propos à notre époque proprette. »), l’auteur, furieux d’être traité d’ours mal léché avec une sournoiserie salonnarde, mais attentif à ne pas laisser filer ses sentiments, répond par un silence – un de ces silences qui pèse le poids du plomb dans l’aile.

Comme je devine votre souhait d’accorder à ce silence le droit à la parole, et comme j’ambitionne de vous satisfaire le mieux du monde, je vous prie, et même je vous somme, de lire À hue et à dia avec votre clairvoyance habituelle. Vous saurez ainsi distinguer l’apparence de surface du secret profond. L’apparence, c’est le canevas d’une chronique (d’une chronique en forme de bonbon acidulé de la littérature contemporaine mais aussi des « portraits-vérité » d’écrivains lus et aimés, Pagnol, Giono, Calaferte, Toulet, Léautaud, Gracq, assortis de déboulonnages de réputations, Christian Bobin, Simenon, Saint-Ex, corrosifs et plus). Le secret court en filigrane, fil rouge d’un art littéraire d’artificier en chef.

Le livre (dédié à Richard Millet, le voyou flambant vieux des lettres françaises) rayonne autour d’une formule-clef transmise au lecteur comme le mot de passe d’une tradition littéraire : « ceci est le carnet de lectures d’un nomade sédentaire ». Dès l’entrée, on est prévenu :

« […] C’est un Journal de lectures. Plutôt des évocations qu’une anthologie. Des portraits-vérité.

C’est un hommage aux écrivains et à la littérature, cette élégance de survivre. J’y rejoins Millet dans cette France que j’aime.

J’y dénonce, souvent, textes à l’appui, des faux en écriture. J’y décris des gribouilles gallimardeuses. J’y fais aussi l’éloge de bons auteurs. Le fil rouge en est la singularité d’être proche d’une certaine famille d’écrivains qui a foulé une petite terre d’héroïsme. Parfois une terre tenue de Dieu et du soleil, parfois la contrée du dilettantisme.

J’y rends compte des jours d’avant, du farfelu et du mirobolant. J’y visite des garçons et des filles d’autrefois. Leur lecture a forgé le nomade sédentaire que je suis devenu. De grands auteurs auraient parlé de carnets. Tout ce que vous voulez :  libre parcours, souvenirs, le défi d’un irrégulier, l’humeur de mes lectures, la descente au tombeau […] »

L’auteur qui prononce ces mots, écho du souvenir de grand lecteur qu’il est, on l’appellera par commodité un « hussard ».

Hussard doit être entendu dans le sens que Bernard Franck prêta à Nimier-Laurent-Blondin. Quelqu’un qui ne croit ni à la République vertueuse, ni à la bonté naturelle de l’homme, ni à l’efficacité de la rhétorique protestataire mais à la toute-puissance de la littérature.

Bref, l’une de ces têtes légères qui tiennent l’ironie frondeuse pour la première des vertus sociales, ou, si l’on veut, l’un de ces cœurs secs qui cultivent le mépris comme une sagesse roborative, ou encore, pour qu’on ait l’embarras du choix, l’un de ces dandies, qui se lassent comme on se révolte et qui pratiquent l’indifférence comme on éprouve un amour-passion.

L’élégance de ces créatures, c’est une façon de tirer leur tempérament à quatre épingles, de pousser la pointe de leurs mots jusqu’à cette cruauté cocasse qui détruit la comédie et discrédite ses comédiens. Pichon, dont nous avions déjà loué le talent d’écriture dans ses précédents Pourquoi la littérature du vagin respire mal et À sauts et à gambades (cette fois-là, avec Jacques Cauda), n’aurait pas été du genre à participer au pèlerinage annuel de la Mitterrandie à la roche de Solutré. Sa prose, d’un burlesque aux traits hérissés, est souvent digne du morceau d’anthologie de Léon Daudet sur les funérailles dans le corbillard des pauvres du pair de France, le père Hugo.

Chez Philippe Pichon, la lucidité du regard au service du mentir-vrai a le même accent que l’insolence désinvolte de ses phrases aux griffes acérées. Pichon le Hussard écrit en style hussard, ce qui permet au gaillard de dire son fait à Annie Ernaux, tirer les oreilles à Daniel Pennac ou encore limoger Philippe Delerm, et ces compliments leur sont servis en mousquetaire illustrateur d’un dilettantisme flamboyant – mettons celui de Nimier essayiste quand il se déguisait en Aramis.

À hue et à dia, de Philippe Pichon, chez France Univers, 2024, 267 pages.

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