28 novembre 2020

La guerre d’Algérie a-t-elle été un djihad 

Par Euro Libertes

Entretien avec Roger Vétillard, auteur de La guerre d’Algérie, une guerre sainte ? aux éditions Atlantis

La guerre d’Algérie est à l’origine de très nombreuses publications. On pourrait penser que le sujet est épuisé. Vous écrivez une nouvelle présentation de ce conflit en étudiant sa dimension religieuse. Comment êtes-vous arrivés à étudier le thème de l’Islam dans la guerre d’Algérie, aspect peu évoqué par ailleurs ?

En 2015, l’Association pour l’Histoire m’a demandé de présenter une communication sur ce sujet lors d’un colloque qu’elle organisait à Paris. J’avais noté auparavant, comme beaucoup, que durant la guerre d’indépendance le F.L.N avait utilisé l’Islam pour être mieux accueilli par les populations musulmanes, notamment dans les campagnes. Mais, influencé par les écrits des historiens spécialistes de ce conflit, je pensais que l’emploi de l’islam n’était que stratégique. Or le travail de recherches que j’ai réalisé pendant plus de 5 ans m’a permis de constater que son rôle était loin d’être marginal.

Êtes-vous donc le premier à objectiver le rôle important qu’a joué l’Islam à cette période ? Personne avant vous n’avait travaillé dans cette direction ?

Pour être objectif, les observateurs qui ont compris que la religion musulmane était partie prenante de la guerre d’Indépendance ne sont pas rares. Léon Feix a écrit en 1955 dans les Cahiers du communisme que « les dirigeants nationalistes algériens ont repris la formule de l’Algérie musulmane ». Albert Camus en 1956 écrivait à Jean Grenier « Les musulmans ont de folles exigences : une nation algérienne indépendante où les Français seront considérés comme étrangers, à moins qu’ils ne se convertissent à l’islam ». Raymond Aron en 1957 annonçait que les non-musulmans ne pourraient pas vivre dans une Algérie indépendante. En 1962, dans un numéro spécial de la NEF, André Delisle explique toute l’importance de l’arabo-islamisme dans l’idéologie du FLN.

Des historiens, parmi lesquels Gibert Meynier, Mohammed Harbi, et dans une moindre mesure, Guy Pervillé, y ont également fait référence mais sans faire d’étude spécifique.

EL- Votre livre est riche en révélations. Vous pourriez parler de beaucoup d’autres sujets, mais comment expliquez-vous que l’aspect religieux de la guerre d’Algérie n’ait pas été traité par les historiens ?

Gilbert Meynier et Mohammed Harbi en parlent et je me réfère souvent à leurs publications. Guy Pervillé ne l’ignore pas. Gérard Crespo et Jean-Pierre Simon viennent de publier un livre sur l’Islam à l’origine de la guerre d’Algérie. Mais cette religion est mal connue des auteurs français, chacun imaginant qu’elle est un culte similaire aux religions chrétiennes et juive. Ils n’envisagent pas qu’il s’agit d’une idéologie qui infiltre chaque instant de la vie de ses fidèles. C’est un code civil, une hygiène de vie. Qui n’y adhère pas est un infidèle, c’est un citoyen de seconde zone. Bref, peu imaginaient et imaginent encore aujourd’hui l’importance de ce facteur.

À partir de quels moments l’Islamisme est-il intervenu dans ce conflit ?

Depuis bien avant le début de la guerre. En 1830, l’empire ottoman domine la Méditerranée. En 1920, après la 1ère guerre mondiale, l’empire est réduit à la Turquie. Le califat n’existe plus. Les musulmans réagissent, ils s’organisent pour retrouver la suprématie perdue : Conférence islamique internationale de la Mecque en 1926, création de la Société des Frères musulmans en 1928, de la revue La Nation Arabe par Chekib Arslan en 1930 à Genève, Congrès Islamique à Jérusalem en 1931, Création de l’Association des Oulémas en Algérie en 1931, Congrès Musulman à Alger en 1936, Société pour l’Islam au Pakistan créée par Abdul Ala Maududi en 1939… Cela contribue à une agitation dans les pays musulmans, notamment en Algérie, où les oulémas, qui sont des arabo-islamiques wahhabites puis salafistes, font en quelque sorte de la métapolitique et vont former toute une génération de responsables : 18 des 22 créateurs du FLN (réunis au sein du CRUA) en 1954 sont issus de la formation politico-religieuse donnée par ces oulémas. L’arabo-islamisme est présent très tôt au sein du FLN et de l’ALN. Dans les maquis et dans les douars où l’ALN intervient, les cinq prières quotidiennes sont imposées, de même que la charia, la langue arabe, celle du Coran, est utilisée, l’alcool, le tabac sont interdits.

Vous parlez de la « taqiya ». Dans quel but a -t-elle été utilisée?

Je traduis ce mot arabe par « saint-mensonge ». C’est pour dire que dans la religion musulmane, on peut mentir pour la bonne cause, notamment dans le cadre d’un djihad (d’une guerre sainte) pour aider à son accomplissement. Ainsi, le journal officiel du FLN pendant la guerre a pour titre El Moudjahid, c’est-à-dire le soldat de la foi islamique. Mais en français il s’appelle Le Combattant – alors que le mot combattant se traduit en arabe par muqatil, pour ne pas inquiéter la gauche française qui soutenait le FLN et dont chacun sait qu’elle est athée ou chrétienne progressiste. De la même façon alors qu’en 1960 Ferhat Abbas, président du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne lance un appel en 1960 aux chrétiens et juifs d’Algérie pour leur dire qu’ils auront leur place dans l’Algérie indépendante, quelques mois plus tard il sera désavoué par Lakhdar Ben Tobbal, ministre de l’intérieur, qui explique lors d’une conférence de presse au Maroc que de telles déclarations ne sont que tactiques et qu’il n’est pas question que les non-musulmans occupent des postes de responsabilités dans l’Algérie indépendante.

Enfin, en vous lisant, on ne peut que se référer au contexte contemporain. Pensez-vous que faire une telle analogie est pertinent ?

Vous n’êtes pas le premier à me dire cela. Il est vrai que les méthodes d’infiltration de la société, les motivations des uns et des autres, le vocabulaire utilisé que nous constatons de nos jours, renvoient à d’autres moments de l’histoire, notamment celle de l’Algérie et aux conflits récents qu’elle a vécus. L’histoire étudie les moments importants du passé pour en tirer des leçons et ne pas renouveler les erreurs ou au contraire pour reproduire les exemples positifs. Laissons aux lecteurs la liberté de tirer les leçons de cette histoire.

*Roger Vétillard, La guerre d’Algérie, une guerre sainte ? – Atlantis éd., Friedberg, 2020, 300p, ISBN 978-3-932711-68-8, 24€.

Roger Vétillard est né en Algérie. Après une carrière médicale, il se consacre à l’histoire de son pays natal. Il a publié de nombreux ouvrages notamment :

Sétif, Guelma mai 1945, massacres Algérie (prix Robert Cornevin 2008), aux éditions de Paris,

20 août 1955 dans le nord-constantinois (prix spécial du salon du livre de Toulouse 2014 et prix Jean Pomier 2014), aux éditions Riveneuve,

Un regard sur la guerre d’Algérie en 2016, chez Riveneuve,

Français d’Algérie et Algériens avant 1962, aux éditions Hémisphères

La dimension religieuse de la guerre d’Algérie (1er prix des livres d’histoire de l’Académie des Livres de Toulouse en 2019) … aux éditions Atlantis

Il a reçu en 2018 le prix Ernest Roschach décerné par l’Académie du Languedoc pour l’ensemble de son œuvre.

Entretien avec Roger Vétillard, auteur de La guerre d’Algerie, une guerre sainte ?, éditions Atlantis.

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