16 mai 2016

Nauséabonde spéculation immobilière au Royaume-Uni

Par Philippe Randa

 

Si en France, les étudiants se plaignent de la cherté de leurs études et, bien souvent, de leurs mauvaises conditions d’hébergement, faire des études outre-Manche semble autrement plus difficile.

Un millier d’étudiants londoniens, très en colère contre le coût de leurs habitats, viennent en effet de se mettre en « grève des loyers » pour dénoncer les prix pratiqués par les propriétaires des résidences étudiantes. Ceux de l’University College de Londres (UCL) ont été les initiateurs de ce mouvement, vite rejoints par ceux des universités de Roehampton, Goldsmith et de l’Institut Courtauld.

« Selon le mouvement UCL Cut The Rent (littéralement « réduisez le loyer ») près d’un million de livres sterling (soit 1 200 000 euros) seraient ainsi en suspens, conservées par les étudiants locataires en colère », rapporte Le Monde.

Le prix des loyers a effectivement connu ces dernières années une terrible explosion en ayant été multiplié par quatre en quinze ans ; désormais, selon le syndicat UK NUS, un étudiant londonien est en moyenne obligé de consacrer 80 % de son budget à se loger : le prix à la semaine d’une simple chambre varie d’un peu moins de 200 euros à plus de 300… et la colocation, devenue désormais obligatoire pour beaucoup, ne permet pas toujours de réduire un tel coût…

La cupidité n’ayant pas de limite, on assiste notamment dans tout le Royaume-Uni à un engouement pour le logement étudiant… de luxe ! Un secteur qui devient particulièrement attractif, notamment dans la ville de Coventry : « Selon l’agent immobilier Savillis, 5,8 milliards de livres (7,3 milliards d’euros) ont été investis sur ce marché en 2015 et des résidences privées continuent à pousser comme des champignons dans des quartiers très bien situés en centre-ville. Vu de l’extérieur, ce sont des immeubles comme les autres, si ce n’est leur positionnement commercial : les étudiants se voient promettre un confort digne d’un « hôtel de charm » », constate The Guardian.

L’université locale espère ainsi attirer plusieurs milliers de nouveaux étudiants et relancer l’activité d’un centre-ville qui dépérissait : Kevin Maton, conseiller municipal chargé des entreprises et de l’emploi, confirme effectivement que « depuis 2013, il y a davantage d’animation, plus de bars et de restaurants. Les étudiants sont à l’avant-garde du mouvement ; grâce à eux on peut convaincre plus facilement d’autres commerçants et investisseurs que les choses bougent. »

Mais l’arrivée subite d’un grand nombre d’étudiants n’a pas l’heur de plaire à tous et certains habitants supportent mal cette nouvelle cohabitation qui fait flamber les prix de l’immobilier et remplacer exagérément les pubs d’ouvriers par des bars à cocktail…

« Les étudiants contribuent à l’embourgeoisement, même s’ils n’en sont pas vraiment responsables, témoigne Reuben Nash, étudiant de deuxième année à l’université de West England (Bristol). Les étudiants stimulent la demande de cafés et de bars sympas, et donc font qu’un quartier comme Gloucester Road paraisse un peu plus cool, un peu plus vivant. Alors les propriétaires font monter les loyers et les prix de l’immobilier augmentent. C’est paradoxal, parce que beaucoup d’étudiants n’ont pas vraiment les moyens d’aller tous les jours dans des restaurants ou des cafétérias chers. »

Voilà dix ans, 18 % des étudiants étaient logés par le secteur privé ; aujourd’hui, ils sont 41 %, mais « tout cela a un prix, fait remarquer Victoria Loverseed, de chez Unipol. Les universités se mettent à singer le secteur privé en construisant ce genre de résidences haut de gamme, si bien que de nombreux étudiants se sentent chassés de ce marché. On ne peut pas en vouloir aux entreprises privées, mais les universités ont un autre rôle à jouter. Elles devraient essayer de fournir des solutions abordables, et non agir comme des promoteurs immobiliers » (« De moins en moins d’offres abordables », Le Monde, avril 2016).

Et si les étudiants anglais n’ont pas les moyens de suivre, quelle importance ? Car ce sont les riches étudiants étrangers qui sont la cible des promoteurs immobiliers. Il n’est pas néanmoins certain qu’ils soient tous en mesure d’assurer leur parcours étudiant à des prix toujours plus excessifs… Et en attendant, la sélection par l’argent bat son plein…

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