Ce que nous rappelle une saine campagne électorale
Pour peu qu’on y prête une attention décomplexée, les campagnes électorales ouvrent toujours quelque perspective inattendue à un esprit curieux.
Bien sûr l’atmosphère sera toujours polluée par ces vieux chevaux de retour qui se pressent autour de râteliers généreusement garnis par les palefreniers de l’audiovisuel. De même de laborieux entomologistes se pencheront indéfiniment sur la fourmilière politicienne pour étudier les déplacements frénétiques d’êtres minuscules qui ambitionnent un destin majuscule. Ce sont là les effets secondaires bien connus d’une saine démocratie.
Pour les esthètes de l’art politique dont je suis, c’est l’occasion rêvée de plonger dans ce microcosme qui, tel un kaléidoscope, offre des combinaisons infinies aux teintes dignes de la palette des plus grands coloristes.
À l’occasion de la mi-temps d’une rencontre de rugby (le Roussillon reste encore une terre d’Ovalie, mais pour combien de temps ?), j’apprends de la bouche même de mes voisins de tribune, à la fibre démocratique particulièrement véhémente, que le monde politique se décompose équitablement en deux camps : les « Tous pourris » et les « Tous des cons ».
Et c’est cette seconde catégorie qui mérite incontestablement réflexion car être con ce n’est pas aussi simple qu’on peut le penser et surtout ce n’est pas donné à tout le monde. Georges Brassens, un émérite pédicure de l’âme humaine, en était convaincu, lui qui avait déjà évoqué l’amplitude du nuancier que justifie ce qualificatif trop souvent galvaudé.
Imaginez un maire se prévalant de cinq mandats, découvrant que le fils de sa femme de ménage brigue sa succession. Il ne peut s’agir à ses yeux que d’un « p’tit con ».
Poussons le bouchon plus loin en nous glissant dans le vaste bureau du premier magistrat d’une métropole régionale. Il vient d’apprendre la candidature d’un énarque de 29 ans qui, comble de la cuistrerie, prétend tondre son crâne chenu. Un « jeune con », c’est évident.
Comment cet édile confirmé pourrait qualifier son premier adjoint qui décide soudain la constitution d’une équipe dissidente ? Une sombre réflexion va dès lors meubler ses nuits d’insomnie. S’agit-il d’un « sale con » ou d’un « méchant con » ? Les subtilités de la langue française sont indéniables, certes, mais en la circonstance…
Et l’autre « bobo du Marais » parachuté « blind » sur une circonscription des Bouches-du-Rhône, comment pourrait-il être autre chose qu’un « pôvre con » ?
Que dire de cet entêté qui, après trois campagnes désastreuses soldées par des résultats catastrophiques, tente de nouveau sa chance auprès d’un électorat presque ému par tant d’opiniâtreté ? S’agit-il d’un « brave con » ? (« À enfiler pareilles vestes et prendre de telles déculottées, il y a laissé sa chemise ») ou tout simplement d’un « vieux con » (« À son âge, il aurait dû comprendre »).
Sur les rivages du Grand Sud, à l’ombre bienfaisante de l’une de ces innombrables Madones qui protègent les villages, que pourrait être autre chose qu’un « con béni », l’édile au comportement douteux, qui a survécu quatre mandatures successives aux traquenards du cloaque politicien ?
Ce qui tendrait à prouver qu’il ne suffit pas d’être con pour faire valoir pleinement ses droits à une reconnaissance populaire unanime.
Pour ma part, ayant pu bénéficier, au gré d’une existence chahutée, de l’ensemble du nuancier évoqué plus haut, j’ai décidé de fonder une communauté dont personne aujourd’hui ne pourra me disputer la paternité : celle des « Cons X. O. » Extra old comme un cognac de grande maison, et pour tout dire, au-delà même du « con hors d’âge »
On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même et j’avoue, tel Cyrano, me délecter de ce rare privilège car, comme le reformulerait aujourd’hui Georges Courteline, « passer pour un con aux yeux d’un imbécile est une volupté de fin gourmet ».
Si le cœur vous en dit, vous trouverez toujours une place dans cet aréopage encore méconnu parce qu’injustement discriminé. J’attends votre appel con-fraternel.
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