25 février 2020

Le parti d’Angela Merkel, la CDU, se suicide en Thuringe

Par Lionel Baland

En Thuringe, la CDU se suicide en direct en prétendant vouloir soutenir de l’extérieur l’élection d’un Ministre président post-communiste, plutôt que d’accepter la mise en place d’un Ministre président CDU toléré par les patriotes de l’AfD.

La Thuringe est un des seize États qui composent l’Allemagne. Elle est peuplée d’un peu plus de deux millions d’habitants, alors que le pays en compte officiellement 83 millions. Ce nombre restreint d’administrés engendre une promiscuité entre les dirigeants des différents partis politiques, qui se connaissent.

Parlement de Thuringe.

Parlement de Thuringe.

Lors des élections pour le Parlement de Thuringe du 27 octobre 2019, deux partis politiques anti-système ont obtenu ensemble une majorité des voix et des sièges : les post-communistes de Die Linke ont décroché 31 % et 29 sièges sur 90 et les patriotes de l’AfD 23,4 % et 22 sièges.

Or, dans cette entité connue pour ses saucisses, les post-communistes ont peu évolué depuis l’époque de la chute de la République Démocratique Allemande, communiste. De nombreux dirigeants actuels locaux de Die Linke ont exercé, à cette époque, des fonctions au sein de structures communistes, parfois criminelles. L’AfD de Thuringe est, elle, dirigée par le fer de lance de l’aile nationaliste du parti Björn Höcke.

Lors de l’élection du Ministre président de Thuringe par le Parlement de Thuringe, ce 5 février 2020, le post-communiste Bodo Ramelow, qui n’a pas été impliqué dans le régime de la République Démocratique Allemande car il est originaire de l’ouest du pays, a voulu être réélu au poste de Ministre président en s’appuyant sur les partis ayant constitué la majorité précédente : sa propre formation politique, les sociaux-démocrates du SPD et les Verts. Or, depuis le scrutin de 2019, cette coalition ne détient plus de majorité. Ramelow a donc espéré que des élus du parti démocrate-chrétien CDU ou du parti libéral FDP voteraient pour lui.

Lors du premier et deuxième tour de scrutin, une majorité des voix est nécessaire. Ramelow a fait face à un candidat indépendant, proche de l’aile la plus conservatrice de la CDU, soutenu par les patriotes de l’AfD. Aucun des deux n’a obtenu le nombre nécessaire de voix. Au troisième tour, la personne arrivée en tête l’emporte.

Le parti libéral FDP, qui a tout juste passé le seuil électoral des 5 % lors des élections, a alors introduit dans l’arène Thomas Kemmerich, président du FDP de Thuringe et chef de file des élus FDP au sein du Parlement de Thuringe. Les élus de la CDU et du FDP ont naturellement voté pour lui. Et surprise, l’AfD, au lieu de choisir le candidat qu’elle a mis en lice, aussi. Thomas Kemmerich a donc été élu Ministre président de Thuringe. Il a accepté son poste en mettant en avant le fait que le scrutin est secret et qu’il ne peut, en conséquence, pas connaître l’origine des voix et a réitéré sa volonté de ne pas coopérer avec Die Linke ou l’AfD.

Par-delà cette annonce de façade, il est évident pour les observateurs politiques aguerris que sa volonté a été de former un gouvernement minoritaire FDP-CDU devant aller chercher, à chaque fois, les voix de l’AfD, dès le vote de mise en place de ce possible cabinet ministériel. Pour les politiciens de la CDU et du FDP de Thuringe, une telle solution ne présente que des avantages, car ils peuvent se répartir entre eux l’ensemble des postes de l’exécutif.

Mais pour la CDU fédérale, un énorme problème est né et la chancelière fédérale Angela Merkel est entrée dans la danse car les alliés de la CDU, les sociaux-démocrates du SPD ou les Verts, peuvent décider de rompre des gouvernements dans d’autres États d’Allemagne auxquels ils participent avec la CDU. Le gouvernement fédéral d’Angela Merkel est lui-même en danger, car, si le SPD le quitte, des élections anticipées doivent alors avoir lieu et la carrière de Merkel se termine.

La chancelière a alors menacé les libéraux du FDP de rompre des gouvernements auxquels ils prennent part et des têtes sont tombées au sein de la CDU. Suite à ces événements, la présidente fédérale de la CDU et probable future successeur de Merkel à la chancellerie, Annegret Kramp-Karrenbauer, contrainte d’intervenir à la demande de Merkel, a annoncé, par manque de soutien de certains éléments au sein du parti, son départ. Thomas Kemmerich, mis sous pression, a fait un pas de côté.

La CDU a alors négocié durant plusieurs jours avec les trois partis de gauche et a fini, ce vendredi 21 février au soir, par tomber d’accord : des élus de la CDU voteront au premier tour de scrutin, le 4 mars 2020, pour le post-communiste Bodo Ramelow, un gouvernement de gauche minoritaire sera mis en place avec l’aide extérieure d’élus CDU. La CDU s’abstiendra de voter des motions contre ce gouvernement avec le FDP et l’AfD. Un « pacte de stabilité » pour court-circuiter les votes de l’AfD au sein du Parlement est conclu. De nouvelles élections pour le Parlement de Thuringe auront lieu le 25 avril 2021.

La CDU vient de se suicider en direct en acceptant de soutenir l’élection d’un Ministre président post-communiste, alors qu’elle pouvait faire élire un Ministre président de son parti avec les voix des libéraux du FDP et des nationalistes de l’AfD.

Au sein de la CDU fédérale et des autres États allemands, des voix discordantes se sont, cependant, fait entendre ce 22 février 2020 et le secrétaire général de la CDU Paul Ziemiak a rejeté l’idée d’une élection d’un Ministre président post-communiste en Thuringe avec les voix de la CDU. Ziemiak estime que la seule solution consiste en de nouvelles élections. Selon lui, les députés du Parlement de Thuringe sont libres, mais tous les membres de la CDU sont liés par les décisions de la CDU fédérale.

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