Le groupe géant d’agroalimentaire Monsanto sur la sellette
Molière, célèbre dramaturge français, avait l’habitude de ridiculiser les médecins du XVIIe siècle, particulièrement parce que ceux-ci ne parvenaient jamais à se mettre d’accord entre eux sur le moindre diagnostic. De nos jours, il s’en donnerait sûrement à cœur joie pour brocarder de même les chercheurs scientifiques, tout aussi incapables d’accorder leurs violons autour des risques réels ou supposés du glyphosate, substance active largement utilisée dans les pesticides, et notamment dans le Roundup du groupe Monsanto.
Le 8 mars dernier, la Commission européenne a ainsi reporté un vote sur la prolongation de l’autorisation de l’utilisation du glyphosate pour quinze ans car de nombreux États européens avaient basculé dans le camp des opposants à ce pesticide, soupçonné de provoquer des cancers.
Tout serait pourtant bien simple si les chercheurs, appelés à trancher sur la dangerosité ou non du glyphosate, pouvaient éclairer la lanterne des députés européens. Oui, mais non ! Trop simple…
D’une part, l’European Glyphosate Task Force (GTF, Groupe de travail sur le glyphosate), « consortium d’entreprises qui unissent leurs efforts et leurs ressources pour obtenir le renouvellement de l’autorisation européenne du glyphosate », ainsi qu’il se présente, et comprenant en son sein des représentants de Monsanto et de Dow AgroSciences (filiale du géant de la chimie Dow Chemical), a fourni des conclusions de ses études toxicologiques à l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BfR) pour son rapport de quelques… 947 pages ! Celles-ci sont claires : « risque cancérogène improbable. »
Toutefois, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’OMS, arrive, de son côté, a des conclusions opposées : le glyphosate serait un « cancérogène probable pour l’homme » en rappelant qu’« il est utilisé dans plus de 750 produits pour l’agriculture, la foresterie, les usages urbains et domestiques. Son utilisation a vivement augmenté avec le développement des cultures transgéniques tolérantes au glyphosate » et que « des études cas témoins d’exposition professionnelle [au glyphosate] conduites en Suède, aux États-Unis et au Canada ont montré des risques accrus de lymphome non hodgkinien [un cancer du sang]. »
Courrier international qui a enquêté sur l’affaire (n° 1331 du 4 au 11 mai 2016) constate donc avec justesse que « la guerre entre militants écologistes et lobbys agricoles s’est transformée en guerre entre scientifiques et scientifiques. Au milieu, entre les deux camps, se trouvent les responsables politiques et les consommateurs, qui se demandent qui dit vrai… »
L’enjeu économique est colossal : commercialisé depuis 1974 par Monsanto sous le nom de Roundup, le glyphosate, pesticide le plus vendu au monde – 9,4 millions de tonnes ont été utilisées depuis l’origine – est actuellement incontournable dans l’agriculture conventionnelle… L’argument de poids pour ses partisans est de répéter à qui veut bien les entendre qu’il est indispensable pour combattre la famine dans le monde en augmentant les rendements agricoles… À quoi les écologistes répondent que s’il permet de nourrir certains, il empoisonne tout le monde !
Courrier international, prudent, estime que « les études sur les pesticides financées par des fabricants de pesticides ne sont pas nécessairement biaisées. On aimerait juste pouvoir se faire une idée par soi-même de leur contenu. Mais ce n’est guère possible : elles n’ont pas été publiées. Et, dans le rapport du BfR, de nombreuses informations sur ces recherches – noms des auteurs, laboratoires – ont même été noircies. La conclusion, elle, est très lisible : « non cancérogène » »
Quoi qu’il en soit, prochain épisode du feuilleton les 18 et 19 mai prochains : jours où les États membres de l’Union européenne devront à nouveau se prononcer… Sur un nouveau report ? Pourquoi pas !
Mais si la Commission européenne devait toutefois voter l’interdiction de ce pesticide, le groupe Monsanto serait alors directement menacé ; pas vraiment par les répercussions sur son chiffre d’affaires assez modeste en Europe, mais par le signal ainsi donné au reste du Monde ; l’idée pourrait ainsi venir à d’autres pays d’interdire à leur tour l’utilisation du Roundup.
Un effet domino terriblement redouté par le groupe agro-industriel américain, on s’en doute.