La pensée stratégique occidentale peine à définir une ligne d’action crédible face aux « nouvelles conflictualités » parfaitement définies dans cet ouvrage. Nous l’avons réellement apprécié de par la pertinence et la profondeur des analyses proposées. Tous ceux qui s’intéressent, de près ou de loin, à la stratégie prendront un réel plaisir à l’étudier. L’ensemble est servi par une qualité d’écriture agréable et un ton pédagogique qui sied à ce genre d’écrits. Les quatre auteurs de cette étude, magistrale et passionnante, prolongent donc leur enseignement délivré à l’École de guerre.
Cette dernière est « la lointaine héritière d’une institution remontant à 1870 où enseigna notamment le futur maréchal Foch ». Sa mission est de « préparer les officiers supérieurs à commander des grandes unités et à exercer des responsabilités dans les états-majors d’armée, interarmées et interalliés, au sein des directions et des services, ainsi que dans les organismes ministériels et interministériels où se conçoit et se conduit la politique de défense et de sécurité ». Autant dire qu’elle a encore énormément de travail au vu des événements qui frappent, presque, quotidiennement notre pays…
Pour commencer, il est important de rappeler que Clausewitz, dans ses travaux sur la stratégie, parle d’« étrange trinité » pour qualifier les rapports souvent tendus entre « le politique, le militaire et l’opinion ». La « trinité » de Jomini renvoie au « peuple, à l’armée et à l’état ». Il est intéressant de relever que ces deux grands théoriciens définissent des concepts identiques avec des mots différents : militaire/armée ; opinion/peuple ; politique/état. Pour le dernier couple de mots, devons-nous nécessairement préciser que la politique est du ressort de l’état et que l’état fait de la politique ?
Les auteurs énoncent qu’« un tel partage des tâches semble très simple en théorie » entre les trois entités mentionnées plus haut, mais en réalité il s’avère « très complexe à mettre en pratique ». Effectivement, il existe les « contraintes budgétaires, les échéances électorales, les difficultés du terrain rencontrées par les militaires ». Nous ajoutons que cette répartition des missions est inefficace en raison de l’incompétence des politiques, de la versatilité du peuple et du caractère intrinsèque de l’armée (La Grande Muette). N’oublions pas aussi l’opposition qui prend, le plus souvent par principe, le contre-pied du gouvernement.
L’objectif de la publication d’un tel ouvrage se voit clairement défini dès les premières pages : « outre son utilité immédiate pour la formation des stagiaires de l’École de guerre, il ambitionne de fournir aux élites civiles et à l’opinion éclairée les connaissances dont elles ont besoin pour nouer avec les élites militaires le dialogue sans lequel il n’est pas de stratégie digne de ce nom ». Toutefois, trois problèmes se posent au moins avec cette présentation des choses : tout d’abord les élites civiles sont-elles réellement des élites ? Ensuite, le bourbier de 1914-1918, la débâcle de 1940 en cinq semaines, les attaques sur le sol national depuis plusieurs décennies doivent-ils être imputés au politique (comprendre des civils) ou à l’armée ? Ou au deux ? Enfin, nous constatons que l’opinion éclairée se trouve malheureusement très éloignée des cercles de pouvoir. Ce n’est pas le cœur du sujet, mais cela devait être écrit par souci de précision et d’honnêteté intellectuelle.
Comme toujours, il convient de bien définir son propos. À ce titre, nous lisons que « le terme stratégie est aujourd’hui employé à tort et à travers : on parle de stratégie d’entreprise, de stratégie de communication, de stratégie de carrière, etc. Le dénominateur commun à ces différentes approches est qu’elles consistent à mettre en cohérence des fins et des moyens. Mais elles ne relèvent pas du domaine militaire et abusent d’un mot dont l’étymologie grecque est pourtant claire : la stratégie est le fait de faire avancer (ageïn) une armée (stratos) ». Aujourd’hui, les journalistes sportifs parlent de stratégie et de plan de bataille lorsqu’ils présentent les compositions des équipes avant une rencontre de rugby ou de basket.
Si de nos jours le vocabulaire tend à perdre ses repères comme le démontre l’exemple précédent, il n’en reste pas moins vrai que si les hommes, la technique, la géographie etc., évoluent « l’essence de la guerre ne change pas. Clausewitz nous dit donc que la nature profonde de la guerre n’a pas changé depuis les origines, seuls ses modalités se sont transformées ». Les auteurs justifient donc « leur insistance sur les classiques de Sun Tzu à Jomini » en raison du caractère fondamental et absolu de la guerre. Ils précisent qu’« on est passé d’un monde conflictuel, mais structuré par la bipolarité Est-Ouest, à un monde non moins conflictuel, mais déstructuré ».
Thucydide, le grand historien et acteur de la Guerre du Péloponnèse, définit « trois motifs les plus impérieux » pour justifier l’entrée en guerre d’une cité : « l’honneur, la crainte, l’intérêt ». Wou Tseu, le général chinois des Royaumes combattants, parle lui de cinq motifs : « renom, profit, haine, luttes intestines, famine ». Les auteurs expliquent que « la comparaison des deux listes montre immédiatement deux convergences : honneur/renom et intérêt/profit ». Ils poursuivent leur analyse de cette manière : « On peut d’autre part simplifier la liste de Wou Tseu, car les luttes intestines se ramènent en dernière instance à tout ou partie des autres causes mentionnées ; quant à la famine elle porte sur un intérêt vital. Quand deux acteurs se craignent, ils en arrivent à se haïr et vice versa ». Démonstration imparable !
Concrètement, la convergence des justifications de la guerre définies par deux penseurs issus de deux civilisations différentes, qui à l’époque ne communiquaient pas entre elles, prouve parfaitement « qu’ils ont bien identifié les causes fondamentales de toute guerre ». Clausewitz sur ce point précis a démontré, grâce à la méthode comparatiste, que la structure de la guerre procède d’une « étonnante trinité ». De fait, toute guerre est « une interaction de trois pôles, les passions meurtrières, le calcul des probabilités militaires et la rationalité politique ». La nature profonde de l’être humain ainsi que ses motivations ne changent pas, nonobstant la déferlante technique et cybernétique que nous subissons depuis les années 2000.
Malheureusement, comme l’expliquent très bien les auteurs « les philosophes de la stratégie sont généralement peu lus et étudiés (Sun Tzu, qui séduit en raison de sa concision, constitue un cas à part). Mais leur ambition de penser la guerre pour mieux la faire est la plus à même de saisir son lien avec le politique ». En conséquence, nous considérons fortement que tout est politique, de la victoire à la Coupe du Monde de football ou à l’Eurovision, en passant par le lancement du dernier smartphone, la création d’un média, sans oublier l’usage de missiles et des frappes ciblées. Ce n’est pas un pur hasard si Clausewitz écrivait déjà en son temps : « La guerre n’est que le prolongement de la politique par d’autres moyens ». En nous inspirant de ce préalable clausewitzien, nous disons que le sport, l’économie, la culture, la musique, les arts ne sont que des prolongements de la politique par d’autres moyens.
En réalité, et les puristes de l’ancienne école le regrettent, la guerre se transforme à chaque génération. On parle déjà de « guerre médiatique, guerre informatique, guerre électronique » et même « de guerre chimique ». Pour continuer sur cette idée, nous lisons avec intérêt la phrase suivante : « pour les penseurs des nouvelles guerres, le plus grand défi n’est donc plus de gagner de grandes batailles terrestres, navales ou aériennes, mais de comprendre que le champ de bataille est désormais globalisé ». Cependant, que ce soit lors des Guerres Médiques ou pour les guerres du futur, la finalité de la guerre reste immuable : « la guerre demeure un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté. »
Ainsi, connaître ses forces et ses faiblesses relève d’un impératif vital. Toutefois cela ne constitue pas une fin en soi. Il convient également de connaître ses adversaires et ses alliés, parce que cette connaissance est « gage de succès dans les opérations multinationales ». Il faut aussi prendre en compte les nouvelles formes de menaces, souvent appelées non conventionnelles, telles que les attaques chimiques, et informatiques, les propagations de fausses nouvelles par les réseaux sociaux, les monnaies virtuelles qui peuvent déstabiliser les marchés, les attaques sous faux drapeaux, etc. Concrètement, l’étude constante, la remise en question et une veille informative sont plus que nécessaires dans notre « monde mondialisé » pour la pérennité des intérêts de l’état. Sun Tzu écrit : « La règle, c’est que le Général qui triomphe est celui qui est le mieux informé. »
La donne a changé. La guerre ne se gagne plus seulement par la taille ou le nombre de gros canons : « comme les premiers prophètes de l’arme aérienne, on pourrait déduire que l’arme cyber est susceptible d’emporter la décision à elle seule et conclure en paraphrasant Clément Ader : qui contrôle le cyberespace contrôle la terre ». Ne soyons donc pas surpris de lire que « Tsahal a par exemple décidé en 2015 de créer une cyberarmée ayant un statut équivalent aux armées de terre, de mer et de l’air, puis y a renoncé en 2017. Elle a préféré confier les capacités défensives à l’organisation chargée de gérer les réseaux de communication et laisser son indépendance à la fameuse unité 8200 chargée du renseignement et des actions offensives ». Affaire à suivre…
La technologie prend déjà beaucoup de place dans notre vie. Maintenant, elle étend son emprise dans le monde militaire. On évoque déjà des robots guerriers : « les perspectives actuelles font frémir, ainsi la dissémination de technologies permettant à de très petits drones d’identifier et de tuer des personnages appartenant à un groupe prédéfini selon des critères d’âge, de race, d’appartenance, etc., sans intervention d’un opérateur. Le court-métrage Slaughterbots (robots massacreurs), mis en ligne en 2017 par le Future of Life Institute, en donne un avant-goût effrayant ». Si les robots mènent la guerre à la place des êtres humains, un des aspects formels de la guerre pourrait disparaître, selon une idée exprimée dans le livre, « puisque l’issue du combat ne se jouera plus sur la détermination morale qui permet d’affronter et de donner la mort, mais uniquement sur le potentiel technologique et financier des factions en lutte ». Attention ! Que les auteurs n’oublient pas de considérer que si derrière chaque homme il y a une femme, derrière les robots il y a aura toujours un être humain… à moins que notre monde ne succombe au phénomène Skynet. (1)
Cette synthèse remarquable est au carrefour de la philosophie, de l’histoire, de la stratégie et des relations internationales. Elle permet de bien comprendre les enjeux des conflits actuels tout en décryptant les formes guerrières contemporaines à l’aune des principes intemporels de la guerre. Leurs subtiles réflexions sont jalonnées par les écrits des plus grands : Sun Tzu, Thucydide, Xénophon, Machiavel, Napoléon et bien d’autres. La bibliographie indicative proposée permet de dénicher des livres passionnants, pour ceux qui désirent creuser les nombreux sujets abordés dans cet ouvrage.
Nous finissons par une citation tirée de De la guerre : « Dans la guerre, tout est simple, mais le plus simple est difficile. »
Note
(1) Skynet, une entité du film Terminator, est un ordinateur intelligent (intelligence artificielle) qui tente de détruire l’humanité.
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