9 février 2019

Libéralisme, capitalisme, mondialisation, mondialisme

Par Aristide Leucate

Synthèse bienvenue que celle proposée par le philosophe Alain de Benoist avec son dernier essai Contre le libéralisme, sous-titré « La société n’est pas un marché » (Le Rocher). L’ouvrage, découpé en douze chapitres, entreprend de faire le tour de la question libérale, soit en l’étudiant directement (« Qu’est-ce que le libéralisme ? », « Communautariens vs Libéraux », « Critique de Hayek »), soit en l’appréhendant par ses corrélats ou ses démembrements (« La figure du bourgeois », « Le troisième âge du capitalisme », « Critique de la valeur », « Tous précaire ! Le travail à l’heure des “hommes en trop” », « L’argent ou l’équivalent universel »), soit encore pour la confronter à d’autres concepts (« Libéralisme et identité », « Libéralisme et démocratie », « Démocratie représentative et démocratie participative », « Conserver quoi ? Les équivoques du conservatisme »)[1].

Comme la grande majorité des livres de l’auteur, celui-ci ne fait guère exception à ces trois « lois » qui sont autant de caractéristiques propres au fondateur de la « Nouvelle droite ». Le style, tout d’abord qui révèle l’homme dans ce qu’il a de plus sobre, concis et limpide, le tout relevé d’une pointe d’élégance qui souligne la singularité des pensées altières. À de nombreuses reprises, avons-nous parlé de « ligne claire » littéraire pour définir cet Hergé ou ce Floc’h de l’histoire des idées. L’encyclopédisme ensuite, qui confère à ses opus la dimension originale d’une véritable somme sur le sujet abordé, tout en réussissant à être à peu près exhaustif sans perdre le lecteur dans d’inutiles vétilles. La thèse enfin où la subtilité le dispute à une relative herméneutique, la pensée de l’auteur, au demeurant parfaitement déchiffrable, ne se laissant approcher, néanmoins, qu’au prix de nuances et de pondérations qui en renforcent l’architecture argumentative.

Il suffit de lire sa substantielle introduction pour s’en convaincre. L’essayiste en tient pour un antilibéralisme qui n’emprunte ni au conservatisme d’une certaine droite ni même au « révolutionnarisme » pacifié 2.0 d’une certaine gauche prétendument insoumise. « Comme le théologien John Milbank, nous pensons en effet que le libéralisme est d’abord une “erreur anthropologique” », manière nette et claire d’inviter le lecteur à se défaire des frusques élimées de ses préjugés idéologiques et d’aller à l’essentiel, c’est-à-dire, littéralement, à l’essence même du libéralisme.

Fait social total selon Marcel Mauss, le libéralisme se définit comme une entreprise impolitique (au sens où elle postule l’homogénéisation du monde par suppression de tous les obstacles politiques et culturels en vue de l’avènement d’un improbable « citoyen du monde ») de réification de l’homme (ravalé à l’état leibnizien de « monade » ou d’individu narcissique, égotiste et capricieux) et d’arraisonnement du monde par le marché pris en ses trois composantes indissociables que sont le capitalisme (et sa logique auto-alimentée d’accumulation perpétuelle), le productivisme (qui dévalorise le travail par la quête effrénée de la réduction de son coût) et le consumérisme (carburant des deux autres) parachevant ce que Michel Clouscard dénommait le « capitalisme de la séduction ».

Au fil des pages, Alain de Benoist démontre parfaitement en quoi le libéralisme et le capitalisme sont les deux faces mondialisées d’une même médaille que l’on appelle la modernité (récusant l’immanentisme holiste des sociétés précapitalistes, la raison individuelle ayant force de vérité « légale » engendre une métaphysique de la subjectivité reposant sur l’axiomatique de l’intérêt) cette congruence systémique participant elle-même, selon nous, de cet esprit apatride et nomadiste (« liquide » aurait dit Zygmunt Bauman) qui débouche sur le mondialisme.

Le but du capitalisme est de quantifier tout ce qui, auparavant était jugé sur sa valeur intrinsèquement qualitative (ce que l’on appelait aussi la valeur d’usage depuis Aristote[2]). N’est marchandise que ce qui peut être fongible dans l’échange. La marchandise devient ainsi un mode prédominant de relation sociale (d’où sa « fétichisation ») par le processus de médiatisation qu’elle instaure entre les objets entre eux mais aussi et surtout entre les sujets et les objets (la tyrannie du désir que ces derniers font régner sur ceux-là).

Si la richesse se jauge en quantités matérielles de bien produits, la valeur, quant à elle, se mesure à l’aune du degré atteint pour le produire (ce que Marx appelait le « travail abstrait »). Or, en système capitaliste, la valeur peut être dévalorisée du seul fait qu’elle n’a d’autre valeur que le prix qu’on lui assigne (sans préjudice de la mensuration réelle et précise de ladite valeur, question laissée d’autant plus en suspens par les libéraux capitalistes qu’ils abandonnent absurdement aux marchandises elles-mêmes le soin de fixer leur propre étalon de valeur comme si elles étaient douées de vie !). La plus-value provient alors de la surproduction de marchandises entendues comme vecteur d’argent, celui-ci, profitant du flux des échanges marchands, accroissant son volume dans des proportions toujours plus illimitées[3].

Si le libéralisme est doté d’une « puissance destructrice » à nulle autre pareille, c’est aussi parce que les hommes sont également réduits à l’état de marchandise. Comme l’observe Christian Höner, « les comportements des gens deviennent ainsi paradoxalement une “qualité” des choses. Ces rapports “rentrent” dans les choses et “animent” le corps des marchandises qui peuvent alors se « comporter » par rapport à d’autres marchandises ». Les portes sont alors grandes ouvertes aux délires démiurgiques du transhumanisme qui pourrait apparaître comme le second souffle du capitalisme. L’homme « augmenté » (bien que rabaissé à l’état androïde) est un consommateur aux potentialités mercantiles et consuméristes inouïes ! C’est ce qui fait dire encore à De Benoist que « le capitalisme est en réalité un système où ce sont les marchandises qui règnent et où les hommes ne sont que les exécutants de leur logique sous l’emprise abstraite de la valeur en mouvement[4] ».

En outre, arasant les différences et extirpant les particularismes, le libéralisme « ne peut aboutir qu’à la destruction généralisée de tout ce qui n’a pas de valeur marchande ou peut lui être sacrifié ». Érigé en totem, sa remise en cause devient un tabou que l’on ne saurait transgresser sans encourir les foudres des prêtres de la bien-pensance. La pensée unique est son garde-chiourme idéologique, le capitalisme globalisé son horizon.

Celui-ci se bouche, nonobstant, avec L’Épiphanie des populismes, soit les réactions du Demos en mal de kratein, la démocratie « libérale » (une tautologie pour les libéraux pur jus) étant contestée pour n’être plus « le régime qui consacre la souveraineté du peuple, mais celui qui “garantit les droits de l’homme” », ces derniers « prim [ant] la souveraineté du peuple au point que celle-ci n’est plus respectée que pour autant qu’elle ne les contredise pas ». C’est l’assomption de l’État de droit débouchant, dans la perspective libérale et individualiste (pléonasme réel, celui-là) sur « des tas de droits », selon la plaisante formule du regretté constitutionnaliste, Guy Carcassonne. Alain de Benoist souscrit ainsi à l’opinion de Marcel Gauchet, selon laquelle « à être invoqués sans cesse, les droits de l’homme finissent par paralyser la démocratie ».

Déniant toute légitimité aux idées comme aux peuples qui en sont l’expression dans leur forme politique, les libéraux se retranchent derrière une légalité formelle dont juges, journalistes et techniciens blanchis sous le harnais du politiquement correct sont les gardiens, consacrant ainsi le règne de l’expertocratie qui « assied son pouvoir sur l’idée que le peuple est “incompétent” et qu’il vaut mieux laisser à “ceux qui savent” le soin de conduire les affaires publiques » (Alain de Benoist, Boulevard Voltaire, 9 octobre 2016).

 

Notes

[1] Précisons que certains textes ont été repris du monumental essai Critiques. Théoriques (L’Age d’homme, 2003) du même auteur.

[2] Encore que selon la Théorie critique de la valeur, cette valeur d’usage soit « forcée » et purement artificielle au sens où elle s’intègre dans le processus de production et participe elle-même de la mise en valeur de la marchandise. En d’autres termes, elle ferait partie intégrante du prix et, partant, viendrait « grossir » la valeur d’échange. Ainsi, cette valeur d’usage serait d’autant plus abstraite qu’elle n’apparaîtrait plus, de manière résiduelle (mais certaine), que dans la plus-value. La Théorie critique de la valeur repousse donc l’argument transhistorique de Marx qui en tenait pour un certain universalisme de la notion de valeur d’usage (cf. Qu’est-ce que la valeur ? De l’essence du capitalisme. Une introduction », Christian Höner, sur le site palim-psao.fr.)

[3] Dans un espace fini comme notre planète (sans préjudice de nouvelles conquêtes spatiales en cours d’étude au sein de tous les centres spatiaux du monde), le capitalisme risque de se retrouver aux prises avec une nouvelle contradiction dont il a le secret. La marchandise se dévalorise nécessairement, sa valeur d’usage se désagrégeant en valeur d’échange, laquelle se trouve survalorisée (sinon « surdéterminée » pour parler comme Althusser) en argent. Ce faisant, cette subsomption de la marchandise sous « l’argent en tant qu’argent » (selon l’expression de Marx) a pour effet de rendre celle-là très secondaire au point d’être ravalée à l’unique fonction d’alibi pour produire davantage d’argent.

[4] Ce faisant, les valeurs authentiques sont galvaudées sinon méprisées, quand, au nom des vulgaires valeurs marchandes ou celles, tout aussi artificielles de l’Etat de droit, tout se vaut au risque impensé que plus rien ne vaut rien. Quand tout est sens dessus dessous, plus rien ne fait sens (soit ce qui est communément admis comme la règle générale, d’où les expressions de « sens commun » et de « bon sens »). Alain de Benoist souligne, à bon droit, que « le règne du capitalisme se traduit finalement par une clôture du sens qui n’a pratiquement pas de précédent dans l’histoire. Cette clôture du sens, qui est aussi une clôture du possible, aboutit bel et bien au nihilisme. (…) Le monde libéral c’est le monde du non-commun. »

Alain de Benoist, Contre le libéralisme (Le Rocher)

Alain de Benoist, Contre le libéralisme (Le Rocher)

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