Strasbourg, juin 2019. Bienvenue au Club !
On connaît la suprême astuce de Satan qui consiste à faire croire au naïf qu’il n’existe pas, pour mieux s’approprier son âme. Il en va de même pour la ruse diabolique qui consiste à frapper certains mots d’une désuétude combien dommageable. Elle n’altère pourtant en rien la réalité du concept qu’ils recouvraient jusqu’alors. Et c’est curieusement dans le vocabulaire politicien que ce phénomène est le plus répandu.
Il est aujourd’hui de bon ton de stigmatiser la faible culture du personnel politique. Pour autant les carences des institutions tant nationales, qu’européennes et internationales n’en sont-elles pas la cause ? C’est pourquoi il convient d’apporter aujourd’hui une modeste contribution à la formation de nos futurs élus et notamment aux candidats aux élections européennes du printemps prochain, trop souvent sortis du néant tel le lapin du chapeau de l’illusionniste. Pour ce faire, exhumons de nos grimoires quelques substantifs aussi poussiéreux qu’oubliés, avant de les confier à leur réflexion… des fois qu’ils en aient quelque usage ou, plus probablement, qu’ils en soient les victimes.
ÉHONTÉ : « Qui n’a pas honte en commettant des actes répréhensibles… Un mensonge éhonté. » Pour connaître le sens actuel du mot « honte » adressez – vous à un collégien au sortir de son établissement. Il vous en déclinera d’improbables acceptions, lui qui l’utilise à longueur de journée. « Tu as vu son jean, c’est la honte ! ».
ÉQUIVOQUE : « Qui peut s’interpréter de plusieurs manières et n’est pas clair ». D’aucuns prétendent qu’en politique l’équivoque n’est jamais une imprécision fortuite mais une méthode de communication bien rodée.
FORFAITURE : « Crime d’un fonctionnaire qui commet certaines graves infractions aux devoirs : concussion, prévarication, trahison ». Encore faut-il que l’usager éventuel de ce terme rare connaisse la signification juridique de ces trois mots, ce qui est loin d’être le cas.
IGNOMINIE : « Déshonneur extrême causé par un outrage public, une peine, une action infamante : honte, infamie, opprobre. » En quelle occasion avez-vous entendu les mots « infamie » et « opprobre » proférés par un politicien ? Si oui, à quel siècle cela remonte-t-il ?
IMPOSTEUR : « Personne qui abuse de la confiance d’autrui par des mensonges, en usurpant une qualité ». Très récemment un parlementaire « en marche » confessait l’inutilité de son rôle en matière de législation, condamné qu’il était à entériner systématiquement des textes rédigés par le pouvoir exécutif. Et cet honnête homme de se demander si, à l’instar de Monsieur Jourdain prosateur malgré lui, il ne pratiquait l’imposture à l’insu de son plein gré.
IMPUDENCE : « Effronterie audacieuse ou cynique qui choque, indigne. Mentir avec impudence… ». Testez ce mot autour de vous, vous serez étonné du silence assourdissant qui vous sera opposé. Il est vrai que pour passer de l’impudence à l’imprudence il ne faut pas manquer d’r.
OUTRECUIDANCE : « Confiance excessive en soi : fatuité, orgueil, présomption ». Encore un mot inutilisable de nos jours. La confiance en soi ne doit pas avoir de limites si l’on en croit les coaches professionnels qui désormais prolifèrent dans les marigots des partis politiques comme le moustique tigre dans les étangs du Languedoc. Quant à la seule présomption revendiquée par nos politiciens, c’est la présomption d’innocence.
PALINODIE : « Rétractation de ce qu’on a dit ou fait, changement d’opinion ». Le dernier homme politique à avoir utilisé ce mot est Gaston Deferre qui avait ainsi baptisé ses voiliers, non sans humour, reconnaissons-le. En tout dernier recours on pourra faire sienne la salutaire interprétation d’Edgar Faure concernant ces retournements inattendus : « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent ».
TURPITUDE : « Caractère de bassesse, d’indignité ». On notera que ce mot était le plus souvent utilisé au pluriel pour dénoncer globalement les agissements d’un homme réputé infréquentable ou, pire encore, inamendable. Comme parade efficace à une telle accusation, l’élu se référera à son vécu passé d’écolier (« C’est celui qui dit qui l’est ! ») ou à ses réflexes de pongiste ou de tennisman pour renvoyer la balle (« C’est l’hôpital qui se fout de la charité »).
Pour autant faut-il regretter ces temps révolus au cours desquels, entre une séance de spiritisme et le lutinage d’une jeune bonne, l’impayable Totor, fils turbulent d’un général d’Empire pouvait écrire : « La terre est sous les mots comme un champ sous les mouches. Le mot dévore, et rien ne résiste à sa dent. »
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