Cléopâtre par Maurice Sartre
Maurice Sartre est professeur émérite à l’université de Tours et spécialiste de l’Antiquité gréco-romaine. Il a commis de nombreux ouvrages devenus des classiques. Avec son dernier opus intitulé sobrement Cléopâtre, sous-titré « un rêve de puissance », il retrace le parcours de la plus célèbre femme de l’Antiquité. Dès son vivant, elle est l’objet de nombreux fantasmes : femme fatale, avide, cruelle, maîtresse et épouse des hommes les plus puissants de son époque. En réalité, elle fut surtout la reine grecque d’un royaume au passé prestigieux, vestige lointain de la gloire d’Alexandre.
L’auteur a conscience de la tâche qui l’attend en étudiant l’histoire de cette reine. Il écrit dans son introduction : « Je ne crois pas excessif d’affirmer que Cléopâtre compte parmi les personnages les plus connus de l’Antiquité, sans aucun doute la femme à laquelle a été consacré le plus grand nombre d’ouvrages en tous genres, pas très loin derrière Alexandre le Grand et César – je laisse de côté Jésus qui appartient à un autre monde – bien loin devant Périclès, Auguste ou Constantin ». Pourtant et aussi paradoxal que cela puisse paraître, il remarque que « les lacunes documentaires sont immenses. Si l’on est capable de fixer avec une relative certitude le moment de sa naissance, on ne sait rien de son enfance, de son éducation, de sa formation. »
Il poursuit son analyse : « malgré l’immense intérêt qu’elle suscite dès l’Antiquité, aucun historien grec ou romain ne lui a consacré une biographie en propre : elle figure dans les biographies consacrées à César, à Antoine, à Auguste, par Plutarque ou par Suétone, elle est mentionnée fréquemment par les historiens de la Rome républicaine, Velleius Paterculus, Florus, Appien, Dion Cassius, mais bien plus comme la maîtresse de César puis d’Antoine que comme une reine poursuivant ses propres objectifs politiques ». Les personnages féminins ne sont abordés, dans une large majorité, que par le reflet des hommes qu’ils ont côtoyés. Il s’agit d’une triste réalité de l’étude historique à laquelle cette biographie échappe.
Ne soyons donc guère étonnés de lire le propos suivant : « lorsque par hasard Cléopâtre passe au premier plan, c’est pour de mauvaises raisons : la propagande d’Octave, avant comme après Actium, s’emploie à peindre Antoine comme le jouet de la Reine, son complice prêt à lui vendre les biens de Rome en Orient. Elle devient alors l’Égyptienne, une Orientale rusée, ce qui permet aussi de faire passer Actium pour une victoire sur un royaume étranger, non comme la conclusion d’une guerre civile entre deux Romains ambitieux. »
Sartre énonce le fait suivant : « À bien des égards, Cléopâtre subit les effets des conceptions sexistes des historiens de toutes les époques. Alors qu’elle est plusieurs fois reine seule et que, lorsqu’un frère règne avec elle, elle domine souvent cet associé, on préfère la considérer d’abord comme la maîtresse de César, puis comme l’épouse d’Antoine, et, fort logiquement, on finit par se demander si elle ne va pas essayer de séduire Octave ! »
Il est évident que la séduction fait partie de l’histoire et des relations hommes-femmes. Subséquemment, l’auteur écrit « qu’il ne s’agit pas de minimiser l’influence que ses liaisons amoureuses ont pu avoir sur ses choix politiques (ou l’inverse) : elle n’a certes pas choisi ses amants au hasard. Encore faut-il ne jamais perdre de vue qu’elle est reine, descendante d’une illustre et puissante dynastie, et qu’au-delà de ses passions amoureuses – dont il faudra essayer de sonder la sincérité et la profondeur – la reine nourrit un projet politique pour elle-même et son royaume. »
Pour comprendre Cléopâtre, il faut savoir « que son enfance se déroule dans un monde en plein bouleversement où le royaume lagide traverse une série d’épreuves dues autant à des crises internes qu’à des conflits extérieurs ». Ainsi, l’auteur stipule « qu’enfant elle reste probablement ignorante des dessous de la vie politique à Alexandrie, adolescente, elle dut rapidement comprendre quels enjeux essentiels avait à défendre le souverain et quel rôle jouait Rome dans l’ensemble de la Méditerranée ». Femme de pouvoir, « Cléopâtre n’ignorait sans doute rien de l’histoire de la dynastie. Elle savait que depuis plus d’un siècle, précisément en -176, les crises de succession s’enchaînaient, avec d’incessants combats entre frères, sœurs, enfants rivaux. »
Ce passé familial, forcément connu par la jeune reine, explique sûrement le peu de confiance qu’elle accorde aux personnes qui la servaient : « l’histoire avait appris à la jeune fille à se méfier de tous. »
En effet, elle n’oublie jamais que « les tentatives d’usurpation avaient été multiples. Chaque crise ne trouvait d’issue que par la mort de l’un ou de plusieurs des compétiteurs ». De fait, quand Cléopâtre arrive sur le trône, « elle sait que son royaume ne possède plus les ressources qui avaient été les siennes au temps de sa splendeur ». Concrètement, les luttes familiales pour le pouvoir, les crises internes (religieuses, politiques, sociales) et l’appétit des voisins, notamment la montée en puissance de Rome dans le bassin méditerranéen, affaiblissent considérablement le royaume égyptien.
Consciente du poids de l’héritage, Cléopâtre « reine grecque, reprend à son compte tous les cultes traditionnels de la dynastie. La divinisation systématique des rois et des reines lagides s’est accompagnée de la nomination de prêtres et prêtresses voués à leur culte ». Cléopâtre sait que le clergé exerce un ascendant considérable sur le peuple égyptien. Ainsi, elle met tout en oeuvre pour se l’attacher. L’entreprise est réussie : « en faisant preuve de sollicitude et de générosité envers les sanctuaires d’Egypte, Cléopâtre n’innove pas par rapport à ses prédécesseurs. Elle maintient des relations étroites avec le haut clergé, qui jouit d’une influence certaine sur le peuple et garantit ainsi la tranquillité des populations en cas de difficultés. »
L’auteur rappelle que « Cléopâtre a préféré s’assimiler à des déesses existantes, Aphrodite, Sélénè, Isis. Avec Isis, elle choisit de s’identifier à une déesse d’origine égyptienne, mais dont le culte est devenu dès l’époque hellénistique un grand culte méditerranéen familier aux Grecs. Isis apparaît comme une déesse aux fonctions multiples, emblème de la maternité (Isis Lactans), protectrice de la navigation (Isis Pharia), inventeur de l’écriture et des arts ; elle peut s’identifier à presque toutes les divinités féminines du panthéon grec, Athéna, Aphrodite, Perséphone, Déméter, Tyché ». Comme nous le voyons, elle fut également douée dans l’art de la propagande, car en définitive le choix d’Isis répondait aux désirs des grecs et des égyptiens.
Lucide au sujet des forces et faiblesses de son royaume, Cléopâtre poursuit néanmoins un but politique : rendre sa gloire à l’Egypte. Pour cela, elle déploie une activité diplomatique et personnelle intenses comme le démontre Sartre au fil des pages. Elle s’allie avec César, lui donne un fils Césarion. Après l’assassinat de son maître et protecteur aux Ides de Mars, elle place ses espoirs dans Marc Antoine et se donne littéralement à lui. Ce dernier devient son partenaire politique, son époux et le père de trois de ses enfants.
Prenant parti dans la guerre civile qui déchire le monde romain, elle espère profiter de cette situation pour replacer l’Egypte sur le devant de la scène. Si elle s’implique autant dans les aléas de la politique romaine, c’est surtout pour affermir son pouvoir et permettre à l’Egypte de revenir indépendante. Cependant, elle échoue et la défaite navale d’Actium scelle une fois pour toute son « rêve de puissance ». Après la victoire totale d’Auguste, l’Egypte n’est plus une alliée de Rome ou même un royaume client mais une province romaine. Se voulant maîtresse de son destin jusqu’au bout et ne désirant pas être exhibée lors du triomphe d’Octave à Rome, elle orchestre son suicide d’une manière qu’Hollywood n’aurait pas reniée.
Cependant, ne perdons pas de vue l’analyse historique : « La mort de Cléopâtre marque d’une certain façon bien plus que la fin d’un règne. C’est la fin d’une dynastie héritière d’une part prestigieuse de l’Empire d’Alexandre. La fin du royaume lagide permettait à Rome de boucler son Empire méditerranéen, plus aucun rivage du mare nostrum n’échappait à son contrôle ». Sartre précise « qu’Auguste se glissa sans peine dans le costume de pharaon que les prêtres égyptiens taillaient dès son avènement à quiconque devenait le maître effectif du pays, et son image en pharaon sur le mur du temple d’Hathor à Tentyra (Dendérah) que Cléopâtre avait tant chéri rappelle encore aujourd’hui le passage sans à-coups d’un règne à l’autre », mais ceci relève d’un autre sujet tout aussi passionnant…
Voici une des idées majeures du livre : Cléopâtre doit être considérée pour ce qu’elle fut réellement et non analysée sous le prisme de ses alliés ou ennemis de la gente masculine. Le mérite de Sartre réside dans le fait qu’il ne succombe pas à une certaine vision historique, imposée à la fois par la littérature et le cinéma américain, qui transforment Cléopâtre en une femme-déesse aux charmes envoûtants résistant aux assauts de Rome. De plus, l’auteur n’hésite pas à porter un regard critique sur l’objet de son étude. Effectivement, il brise les images toutes faites éloignées de la vérité historique et détruit les mythes qui se répètent depuis de nombreuses années. Il base son étude sur les textes, les inscriptions, les images figurant sur les monuments et les monnaies comme tout historien doit le faire.
Pour notre plus grand plaisir, Sartre nous fait revivre avec talent la réelle histoire de Cléopâtre VII Théa Philopator, reine volontaire, perspicace et autoritaire.
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