(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul).
Plus de vingt morts et cent blessés à Ahvaz, en Iran, lors d’un attentat revendiqué par l’État islamique, le 27 septembre dernier. Le « terrorisme islamiste » est-il toujours un danger et « la guerre contre l’islamisme » est-elle encore d’actualité ?
Tout d’abord, ce que l’on nomme « la guerre contre l’islamisme » n’est qu’une facilité de langage. Certaines puissances occidentales font effectivement la guerre contre ce qu’elles nomment « l’islamisme ». Mais à qui ces musulmans « islamistes » font-ils la guerre ? Pas forcément aux Occidentaux, leurs cibles principales étant des musulmans, des chiites principalement, mais des sunnites également. Ainsi, rappelons qu’aux origines d’Al-Quaïda, il y a la première guerre du Golfe, en 1990. À cette époque, les USA installent, avec l’accord plus ou moins complice des autorités de Ryad, leurs premières bases militaires en Arabie Saoudite. Pour un Oussama Ben Laden, ancien moudjahid ayant combattu en Afghanistan contre l’ennemi soviétique, sorte de « diable athée », c’est une sorte de non possumus, tel qu’on dit à Rome. Que des armées « impies » s’installent à la périphérie du royaume saoudien, dans les Émirats du Golfe persique, passe encore ; mais dans le territoire saoudien, lequel abrite La Mecque et Medine, les lieux les plus saints de l’islam, ce n’est plus jouable. Pour tenter ce parallèle a priori audacieux, un catholique européen peut tolérer une base américaine en Italie, mais pas au sein même du Vatican.
Mais après, il y a le 11 septembre 2001…
Et c’est justement de ce jour que le combat d’Al Quaïda change de nature : après de simples revendications territoriales, un « US Go Home » new-look, son combat semble passer à une dimension plus globale. Ce sera donc le « Choc des civilisations », officiellement théorisé par l’essayiste américain Samuel Huntington, concept à ses yeux validé par les attentats en question. Mais, une fois les cendres des Twin Towers retombées, il est vite devenu évident que cette affaire ne devait rien à un affrontement donné pour eschatologique entre Orient musulman et Occident chrétien. Bref, et ce chacun à sa façon, Huntington et Ben Laden ont marché de concert. Le concept du premier n’était que vue de l’esprit, vue de l’esprit à laquelle le second a fini par donner chair. Un peu comme lors de la Guerre froide, quand les fantasmes des Américains se nourrissaient de ceux des Russes et inversement.
Et ensuite ?
Ensuite, nous en revenons à l’essentiel, cette guerre interreligieuse au sein de l’islam. Les guerres de religions sont souvent les plus meurtrières, mais elles le sont plus encore lorsqu’elles ont lieu au sein d’une même religion. Situation dramatiquement aggravée par les manipulations des uns et des intérêts des autres, du « remodelage » du Proche-Orient par les néoconservateurs qui tenaient alors la Maison-Blanche, jusqu’à la seconde guerre du Golfe de 2003. Et c’est ici qu’on en revient une fois de plus à l’antagonisme multiséculaire entre musulmans sunnites et chiites. Certes, les visions apocalyptiques de certains chrétiens évangélistes américains et autres musulmans à l’esprit enfiévré ont pu voir en ce conflit les prémisses de l’affrontement de type Armageddon censé annoncer la fin des temps en cette vallée de Chaam, laquelle recoupe globalement les actuels territoires de la Syrie et de l’Irak. Il n’empêche que le moteur profond de cette guerre demeure d’ordre confessionnel et que c’est uniquement dans ce cadre que peut s’expliquer l’attentat que vous venez d’évoquer.
On a parlé de ce dernier, certes, mais assez modérément tout de même… Parce qu’il frappe l’État iranien, redevenu ennemi numéro un désigné de la Maison Blanche ?
Si cet attentat n’a pas connu le retentissement médiatique qu’il aurait mérité, c’est précisément pour les mêmes raisons : il ne relève pas de l’habituel manichéisme médiatique. Lequel nous fait savoir, tout en espérant nous faire croire, que l’Iran demeure envers et contre tout un État terroriste. Sous l’administration de Barack Obama, on nous le susurrait à demi-mot. Sous celle de Donald Trump, cela nous est clamé haut et fort. Et qu’importe que cette propagande soit chaque jour démentie par les faits. Car enfin, qui a défait l’État islamique sur le terrain, si ce ne sont les armées syriennes, iraniennes et russes ? Hommage du vice à la vertu, il était donc logique que les reliquats de Daech s’en prennent aujourd’hui à l’Iran plutôt qu’à l’Occident. Vous n’imaginez tout de même pas que les stratèges de l’État islamique, ou ce qu’il en reste, n’aient comme seul horizon de combat l’attaque de salles de concert parisiennes ou de feux d’artifice niçois ? Ils préfèrent s’en prendre à la « tête du serpent », pour reprendre la vulgate saoudienne ; soit Téhéran, cet ennemi qui, non content de n’être pas arabe, participe de plus de l’hérésie chiite.
Si l’État islamique semble avoir quasiment disparu, ne serait-il pas en train de reconstituer ses forces ? D’autres groupes islamistes seraient-ils prêts à prendre la relève ?
Sur le terrain, l’État islamique est cliniquement mort. Mais il existe des cadavres qui bougent encore. Il est mort parce que les puissances sunnites dominantes ont fini par lui retirer leurs puissants et discrets soutiens, qu’ils soient d’ordre logistique ou économique, Arabie Saoudite et Turquie au premier chef. Toujours sur le terrain, le régime syrien, dirigé par la minorité chiite alaouite, est à peu près sauvé. L’ordre russo-iranien règne plus ou moins en maître. Les pays limitrophes ne comptent pas : qui peut bien se soucier des avis du Liban ou de la Jordanie ? Bien sûr, il y a Israël. Mais son actuel gouvernement a pour le moment fait preuve d’une prudence inhabituelle dans le domaine militaire, préférant se cantonner à un activisme diplomatique sans précédent visant à isoler l’Iran, sachant que pour ce faire, il dispose de deux puissants leviers. Le premier, c’est le régime saoudien avec lequel il a conclu un pacte à revers contre Téhéran. Le second, c’est Donald Trump. Nonobstant, le gouvernement israélien, sûrement plus lucide que son pétulant homologue américain, n’est pas sans savoir que ces deux alliés demeurent des plus fragiles.
Alors, quid de l’État islamique ? Combien de divisions ? Combien de ressources, surtout. En fait, de moins en moins. Les dernières qui lui restent semblent consister à s’appuyer sur les minorités arabes et sunnites du « Grand Satan » iranien, pour le coup d’éclat d’Ahvaz. Lequel, en forme de pétard mouillé, a fait long feu, vu son peu de retentissement médiatique. Si Daech entendait se refaire une santé avec cet attentat, l’échec est double. Premièrement parce qu’il est passé inaperçu. Deuxièmement parce que les quelques soutiens dont il pouvait éventuellement disposer en Iran ne survivront pas à la répression de l’appareil étatique iranien. On peut y voir le chant du cygne. Mais aussi la dernière course d’un canard sans tête. Ce qui ne signifie pas pour autant que les problèmes à l’origine de sa création et de son développement aient disparu.
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Ancien directeur du bi-mensuel Flash !, journaliste au site Boulevard Voltaire, collaborateur de revues (Éléments et Réfléchir & Agir), il est l’auteur d’une douzaine de livres, romans, documents historiques. Dernier livre paru : Les Grands Excentriques (Éd. Dualpha, préface d'Alain de Benoist).