Gérard de Villiers, son altesse sérénissime
Pour savoir qui était « vraiment » Gérard de Villiers, il y a évidemment ses deux cents SAS mettant en scène son avatar de papier, le prince Malko Linge. Une autobiographie, aussi, Sabre au clair et pied au plancher, publiée chez Fayard en 2005, mais dans laquelle on n’apprend finalement pas grand-chose de cet homme chérissant le secret autant que les honorables correspondants qu’il avait dans les services du même nom. Cinq années après la mort du grand homme, l’un des écrivains français contemporains les plus lus au monde, une biographie vient enfin combler le vide : Gérard de Villiers, son altesse sérénissime.
Le livre est signé du journaliste Benoît Franquebaume, qui officie, entre autres périodiques, à Marianne, après avoir longtemps été reporter à France Dimanche, là où, justement, l’objet de son livre fit ses premières armes. Ce qui explique peut-être pourquoi cet ouvrage possède ces deux qualités si rares aujourd’hui : il est bien écrit et, de plus, écrit sans préjugés. Ce qui est encore moins commun.
Pour ses éternels détracteurs, Gérard de Villiers était un pithécanthrope. Un bloc de haine. Raciste et phallocrate. Soit une sorte d’ennemi public numéro un, à en juger des actuels canons de beauté humaniste. L’auteur a ainsi déniché un entretien accordé à Actuel, alors magazine phare de la contre-culture d’alors, en 1971.
Question du journaliste Philippe Gavi : « Vous n’avez jamais eu de procès en diffamation ? »
Réponse de Gérard de Villiers : « Un avec un Nègre du Dahomey, dont j’avais pris le nom par inadvertance. »
Gavi, toujours : « Et les Burundais, les Irakiens, ils ne sont pas vexés ? »
Villiers, encore : « Au Burundi, ils ne savent pas lire. Les Irakiens ont menacé de me faire un procès après « Les pendus de Bagdad ». J’en serais très honoré. Ce n’est pas de ma faute s’ils pendent les Juifs. »
Alors, « raciste », Gérard de Villiers ? Sept ans plus tard, Philippe Gavi, devenu journaliste à Libération, remet la question sur le tapis et se voit répondre : « C’est un mauvais terme. Disons qu’il y a des groupes ethniques plus avancés. Dans une classe, vous avez un premier et un dernier. Ce n’est pas du racisme de dire que quelqu’un est le dernier. »
Par les temps qui courent, ces propos n’auraient-ils pas un petit quelque chose de, comment dire… singulièrement décalé, au vu de nos actuelles mœurs médiatiques ?
D’ailleurs, pour rassurer les néopuritains, l’auteur de ces lignes, qui a également bien connu l’affreux bonhomme, peut confirmer que le défunt était plus misanthrope que véritablement raciste. Ce qui ne l’empêchait pas d’avoir ses têtes. Pas franchement philosémite, il passait néanmoins toutes ses vacances d’été avec Claude Lanzmann. Il cachait mal sa détestation des Arabes, mais dissimulait encore moins sa sympathie pour les Libanais, chrétiens et chiites du Hezbollah, ou encore les Palestiniens, de l’OLP comme du Hamas. Rassurez-vous, il n’aimait guère plus les Français ; à l’exception de Jean-Marie Le Pen, évidemment. Il était de droite, mais comptait finalement plus d’amis à gauche.
Bref, Gérard de Villiers n’était que contradictions. Benoît Franquebaume insiste d’ailleurs longuement sur ses rapports insidieux entretenus avec l’argent. Cet argent, le père de SAS en faisait certes grand cas ; mais c’était pour mieux le dilapider. Riche, il a vécu à crédit avant de mourir pauvre. Idem pour les femmes. Un misogyne transi auprès du beau sexe, cela s’est déjà vu. En fait, plus que de les chérir, il aimait tout simplement être amoureux. Méprisé de son vivant, il fut quasiment canonisé par Le Monde et L’Obs, journaux qui, à l’en croire, n’avaient comme usage destiné que celui des commodités. Mais c’était après la parution d’un portrait dithyrambique du New York Times en faisant l’un des écrivains les mieux renseignés de la planète, la CIA n’hésitant pas à faire scrupuleusement traduire chacun des ouvrages. Ce qui fut confirmé peu après, dans un numéro spécial de La Revue des deux mondes, à l’occasion duquel Hubert Védrine redisait en quelle haute estime il tenait l’homme et, surtout, ses précieuses informations.
C’est donc toute cette complexité que l’auteur fait ici ressortir avec grand talent. On le sent à la fois fasciné et horrifié par son sujet, lui reconnaissant toutefois une certaine forme de grandeur, malgré de très humaines formes de petitesse. Un honorable livre pour un homme qui ne l’était pas moins ? Oui.
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