3 novembre 2017

Une croix sur les croisades

Par Pierre de Laubier

Saint Louis mourut de la peste à Tunis, au cours de la huitième croisade. Mais il ne l’a jamais su, car le mot « croisade » lui était inconnu : il ne fut inventé qu’au siècle suivant. Quand on raconte l’histoire, on se sert souvent de mots fabriqués après coup, ce qui contribue à rendre les choses obscures.

Pour comprendre ce qu’ont été les croisades, il faut comprendre ce qu’elles n’ont pas été : une guerre de conquête, ni même de reconquête, ce qui les distingue de la reconquête de l’Espagne contre les Maures qui s’acheva par la prise de Grenade en 1492.

Les barons d’Occident n’avaient d’ailleurs rien à reconquérir : ils n’avaient jamais possédé la Palestine. Jérusalem était tombée aux mains des Perses en 614, puis des Arabes en 637. Charlemagne entretint des relations diplomatiques et militaires avec le calife abbasside de Bagdad. C’est qu’ils avaient des ennemis communs : les Omeyyades en Espagne, et aussi l’empereur de Constantinople, avec qui Pépin et Charlemagne étaient en conflit en Italie.

Haroun al-Rachid fit cadeau d’un éléphant à Charlemagne et lui promit le libre accès des chrétiens aux lieux saints. On en resta là jusqu’au jour où les Turcs seldjoukides prirent Jérusalem, en 1071. Les habitants chrétiens et les pèlerins, maltraités, réclamèrent l’aide du pape. La première croisade, prêchée par Pierre l’Hermite à l’appel d’Urbain II, ne fut pas l’affaire des rois. Elle se composa de la croisade des gueux, qui échoua, et de la croisade des seigneurs, qui aboutit à la prise de Jérusalem en 1099, sous la conduite de Godefroy de Bouillon.

Ce dernier refusa « de porter une couronne d’or là où le Christ avait porté une couronne d’épine », et c’est son frère qui devint roi de Jérusalem. Mais ce royaume fut difficile à défendre, car prendre la croix, c’était faire un vœu, et ceux qui l’avaient accompli s’en retournaient tout simplement chez eux. C’est pourquoi on eut l’idée de fonder les ordres militaires et hospitaliers, jusqu’alors inconnus.

Dans leur aspect militaire, les croisades furent bien entendu menées par la noblesse qui, seule, avait le droit de faire la guerre. Mais elles ne furent pas seulement militaires. Sinon, comment la croisade des gueux, ou celle des enfants (1212), ou celle des pastoureaux (1251 et 1320) ont-elles pu exister ?

La neuvième et dernière croisade permit au royaume de Jérusalem de survivre jusqu’en 1291, date de la conquête par les Mamelouks. Ceux-ci ne se montrèrent pas plus tolérants que les Seldjoukides, mais ils laissèrent l’accès aux lieux saints et les croisades cessèrent quand leur cause disparut.

Tout événement a de nombreuses causes, mais en oublier la raison essentielle, c’est se condamner à n’y rien comprendre. Les historiens positivistes et marxistes ont tenté de ramener les croisades à des causes triviales : la pression démographique ; mais le XIIIe siècle est une époque de prospérité et l’apport de population fut quasi nul. L’appât du gain ; mais les marchands vénitiens et génois avaient accès aux richesses de l’Orient et les croisades gênèrent leur commerce.

Aujourd’hui encore, on voit refleurir une imagerie romantique et guerrière de la croisade, pour illustrer le désir de résister à l’intrusion de l’islam en Occident. Mais ne l’oublions pas, les croisés, avant de prendre l’épée, ont pris la croix.

Les chroniques de Pierre de Laubier sur l’« Abominable histoire de France » sont diffusées chaque semaine dans l’émission « Synthèse » sur Radio Libertés.

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Philippe Randa,
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