24 février 2019

Élections européennes

Par Richard Dessens

Le 26 mai prochain, l’Europe vote. Enfin, la moitié de l’Europe vu le taux d’abstention habituel à cette élection. Ce qui laisse rêveur quant à ces 50 % d’Européens non concernés par leur devenir. Moutons se laissant traîner à l’abattoir pour certains. Consommateurs au sens civique anesthésié par les démocraties libérales pour beaucoup. Citoyens désenchantés, écœurés, retranchés dans des solutions crypto-anarchistes encore. Jeunesses massivement abstentionnistes et totalement dépolitisées : les démocraties ont réussi parfaitement avec elles leur stratégie d’accaparement du pouvoir aux mains d’élites idéologisées.

En tout état de cause, quel que soit le résultat, il sera illégitime, comme la plupart des élections d’ailleurs, manquant totalement de fondement populaire. Être élu avec les voix d’environ 20 % des peuples constitue une imposture qui est le cœur de la crise démocratique terrible que nous traversons. Crise démocratique parfaitement assumée par nos élites qui s’en accommodent très bien et qui les sert en réalité.

La première obligation démocratique est de susciter l’adhésion au système démocratique en faisant s’appliquer le principe de souveraineté populaire par un vote massif et quasi généralisé. L’échec des démocraties est patent.

Démocraties tenues en main par des élites omniprésentes qui verrouillent un système auquel adhère une minorité de votants. Comment s’étonner alors que le référendum d’initiative populaire soit un repoussoir absolu pour un tel pouvoir ? Les élites avancent que laisser l’initiative d’un vote à une minorité, surtout sur des sujets dits sensibles – c’est-à-dire chasse gardée des tenants de l’idéologie dominante, est une folie. Cette seule affirmation est un déni de souveraineté.

Ce ne sont pas les initiateurs d’un référendum qui font le vote final. Si plus de 50 % du peuple vote par exemple le rétablissement de la peine de mort, pourquoi interdire un tel vote ? Cela prouve simplement que les décisions majeures sur le plan sociétal, prises par les élites vont à l’encontre de la volonté populaire. C’est donc cela la définition de la démocratie postmoderne. Quant à ceux qui prétendent qu’une élection notamment référendaire peut faire l’objet de nombreuses manipulations, ils sont seulement frustrés de leurs propres instrumentalisations dont ils sont coutumiers dans toutes les élections.

Il y a de nombreuses dictatures, certainement odieuses, qui recueillent l’adhésion d’une large majorité des peuples. D’autres, minoritaires, qui s’imposent par la force. Nos démocraties s’apparentent de plus en plus à cette seconde catégorie de dictatures. La différence subtile repose sur une terrible boutade bien connue de Coluche : « La dictature, c’est « Ferme ta gueule », tandis que les démocraties c’est « Cause toujours ». »

Or, le grand combat européen annoncé par Emmanuel Macron entre démocraties libérales légales mais illégitimes, et démocraties illibérales, ou populismes, lèpres ou crypto-fascismes si ce n’est encore pire, repose sur la peur de peuples en réveil. L’avatar des Gilets Jaunes français, ou un Brexit dur de plus en plus assumé par le Royaume Uni, les votes italien, hongrois, autrichien, polonais, sans compter les poussées anti-libérales de toutes sortes partout en Europe, constituent des évènements certes disparates, protéiformes, mais révélateurs d’un mal-être européen en ordre dispersé de plus en plus inquiétant pour les intérêts des élites qui depuis plus de cinquante ans tiennent dans une main de fer les dogmes de leur idéologie dévastatrice.

Tout est alors bon pour détourner un peuple mal élevé de mal voter. Après un « Grand débat » qui n’est qu’un exercice didactique et pédagogique, l’annonce en France d’un référendum à choix multiples le même jour que l’élection européenne serait une nouvelle manipulation habile pour le pouvoir en place. Les citoyens s’y laisseront-ils encore prendre ? Wait and see.

Le combat devient frontal même si l’on sait déjà que les mouvements frondeurs, illibéraux ou populistes ne pourront jamais obtenir la majorité au Parlement européen sans dépasser au mieux 25 % des députés. La peur, plus belle idée politique des démocraties, la stigmatisation primaire, les manœuvres subtiles, le poids des élites, les ukases des marchés et des experts idéologiques de l’économie mondialisée, se chargeront d’imposer une majorité démocratique incontestable, fondée sur 30 % au plus des votes européens.

Mais l’analyse de la situation de l’Europe amène à se poser la question de l’incompatibilité de la démocratie réelle avec les impératifs de la mondialisation. On retrouve ici la primauté triomphante de l’économie sur le politique depuis la fin de la IIe Guerre mondiale.

Le politique s’incarne dans la démocratie, c’est-à-dire la souveraineté des peuples. L’économique se définit dans la croissance, le progrès et les profits infinis, c’est-à-dire la souveraineté des puissances économico-financières incontrôlées. Les préoccupations des peuples n’ont aucune commune mesure avec celles des puissances économiques. Les uns sont soudés autour d’un vivre ensemble, de leurs identités, lorsque les autres ne vivent que pour leurs égoïsmes, et pour la mixité humaine rentable d’une masse indifférenciée de consommateurs dociles.

La démocratie est leur adversaire le plus dangereux autant qu’elle est un justificatif apaisant dont elles ont fait leur outil de pouvoir autonome. La démocratie post-moderne et sa religion droit-de-l’hommienne, sont devenues l’arme redoutable permettant aux puissances économico-financières mondialisées d’imposer leur vision d’un monde à la merci des marchés, peuplé de citoyens dénaturés et transformés en zombies.

Lorsque les peuples européens remettent en cause cette démocratie de la mondialisation, ce n’est pas la démocratie qu’ils contestent, au contraire, c’est la démocratie qu’ils réclament, contre la démocratie déguisée sous les oripeaux des puissances financières. La réponse haineuse des missi dominici de l’économie mondialisée mis en place, à commencer par Emmanuel Macron qui en constitue l’un des plus beaux fleurons, renvoie à un dialogue volontairement de sourds.

Pour eux, la démocratie c’est d’abord le triomphe de l’économie, de la finance, de la croissance et d’un progrès devenu glaçant par les horreurs contre nature qu’il annonce. La souveraineté du peuple, simple principe sans substance, doit être contenue dans les limites de prétendues valeurs culpabilisantes et indiscutables leur laissant la voie libre.

Le combat pour la démocratie passe par celui contre la mondialisation. Les peuples veulent se réapproprier la démocratie, ce qui est insoutenable pour leurs adversaires libéraux. La lutte des partisans de la mondialisation passe en revanche par son édulcoration et sa forme de coquille vide, mais remplie de slogans et de grands principes creux censés la justifier aux yeux des plus crédules et des plus naïfs.

Un fossé sépare les uns et les autres et les accusations tirées de l’Histoire récente, lèpre ou nazisme, à l’encontre de ceux qui ont soif de vraie démocratie, sont une imposture qui renvoie à leurs auteurs les réalités du totalitarisme moderne qu’ils incarnent.

Il faudra encore quelques étapes dans l’insupportable pour que le réveil des peuples se traduise par un retour à leur souveraineté réelle.

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