Au Vatican, le 6 mai dernier, sous les impressionnantes voĂ»tes de la salle Royale du premier Ă©tage du Palais apostolique, la SociĂ©tĂ© pour la remise du Prix international Charlemagne de la ville dâAix-la-Chapelle attribua le Prix 2016 au Pape François pour « ses efforts visant Ă promouvoir les valeurs europĂ©ennes de paix, de tolĂ©rance, de compassion et de solidarité ». Fabuleux hommage du vice Ă la vertuâŠ
Pour qui ne connaßtrait pas le prix Charlemagne, nous nous bornerons à citer la définition proposée par Pierre Hillard, un spécialiste incontesté du sujet : « Ce prix est une véritable récompense attribuée aux personnalités les plus diverses ayant contribué favorablement à la cause européenne. Il va de soi que les personnes qui obtiennent cette distinction ont dû montrer, au cours de leurs activités, « patte blanche » pour mériter une telle reconnaissance. »
Que le premier rĂ©cipiendaire de cette distinction fĂ»t le pĂšre du mouvement paneuropĂ©en, Richard Coudenhove-Kalergi (1950), nâĂ©tait pas innocent, ses fondateurs (des citoyens dâAix-la-Chapelle menĂ©s par le Dr Kurt Pfeiffer) lâayant dĂ©libĂ©rĂ©ment conçue sous le sceau du gouvernement mondial euroatlantique.
Coudenhove-Kalergi nâa, en effet, jamais fait mystĂšre, de fonder, sur les dĂ©combres anciens de lâEmpire carolingien, une « fĂ©dĂ©ration Charlemagne » par « des lois [Ă©tatiques] qui prĂ©voient un transfert des droits de souverainetĂ© au profit dâinstances supranationales. [âŠ] La prise de position de lâAmĂ©rique et de lâAngleterre sera absolument dĂ©cisive pour la mise en forme de lâ »idĂ©e Charlemagneââ. [âŠ] La rĂ©alisation dâune ââfĂ©dĂ©ration Charlemagneââ est, pour cela, dans les intĂ©rĂȘts des Anglais comme des AmĂ©ricains. Lâunion atlantique deviendrait une fĂ©dĂ©ration Ă trois avec lâEmpire britannique comme pont entre lâAmĂ©rique et lâEurope. »
DĂ©cerner ce prix Ă François, premier pontife non europĂ©en puisque argentin, dĂ©montre, par surcroĂźt, quâil peut finalement ĂȘtre attribuĂ© Ă nâimporte qui, du papou de Nouvelle-ZĂ©lande Ă un sujet du Bouthan, pourvu que lâimpĂ©trant ait montrĂ© quelques appĂ©tences non contestĂ©es pour le « projet europĂ©en » (« europĂ©o-mondialiste » serait plus juste si lâon ne redoutait pas la redondance).
AssurĂ©ment, François nâa guĂšre dĂ©mĂ©ritĂ© de lâOligarchie bruxelloise, surtout depuis quâil dĂ©cida, en avril dernier, de repartir de lâĂźle grecque de Lesbos en emmenant trois familles musulmanes jusquâau Vatican.
Ainsi, dans son discours dâacceptation, le pape se prend Ă rĂȘver, Ă la maniĂšre dâun Martin Luther King, « dâune Europe oĂč ĂȘtre migrant ne soit pas un dĂ©lit, mais plutĂŽt une invitation Ă un plus grand engagement dans la dignitĂ© de lâĂȘtre humain tout entier ». Aubaine rhĂ©torique inespĂ©rĂ©e pour les Juncker, Schulz, Tusk et consorts, espĂ©rant mettre de leur cĂŽtĂ© une majoritĂ© de catholiques europĂ©ens circonspects, sinon rĂ©ticents, Ă lâĂ©gard de la politique migratoire germano-bruxelloise.
Le comble du jĂ©suitisme, oĂč lâambiguĂŻtĂ© spĂ©cieuse le dispute Ă la tartufferie sophistique, est atteint lorsquâil Ă©voque « les racines de lâEurope [âŠ] consolidĂ©es au cours de son histoire du fait quâelle a appris Ă intĂ©grer dans une synthĂšse toujours neuve les cultures les plus diverses et sans lien apparent entre elles ». Ainsi, Ă©cornant, Ă peu de frais lâĂąme Ă©ternelle du continent, occulte-t-il le fait matriciel grĂ©co-romain et chrĂ©tien de lâEurope, qui constitue tout Ă fois lâidentitĂ©, lâĂ©thique et lâesthĂ©tique de ce « germen » Ă nul autre pareil.