28 avril 2017

Impressions attiques

Par Aristide Leucate

Singulier pays que la Grèce avec ses 131 957 km2 de superficie et ses 15 000 km de côtes maritimes. La terre et la mer y voisinent tant et tant que l’on saisit immédiatement la symbolique de ce coït ininterrompu entre Ouranos et Gaïa, jusqu’à ce que leur fils, Chronos, renvoie son père au firmament pour l’éternité. D’ailleurs, il suffit d’y être pour sentir la présence des dieux, pour peu que l’on daigne humblement les ouïr, à l’occasion d’une brise marine, d’un caressant rayon de soleil, d’un effluve de jasmin ou d’hibiscus ou d’un chant de berger ou d’ânier.

Une montée vers n’importe quelle acropole, quand on a la chance d’éviter des cohortes de touristes se déversant à intervalles réguliers dans ces lieux augustes qui ne leur évoquent rien, sauf le désir frénétique de graver leur narcissisme débordant sur les pellicules numériques de leurs smartphones, cette ascension, donc, est tout à la fois initiatique et mystérieuse.

Un vieux classique Hatier, écorné et bruni de l’Odyssée d’Homère dans la poche vous escaladez, le cœur battant les quelques centaines de marches irrégulièrement disséminées sur un sentier sec et caillouteux qui vous séparent d’un portique en ruine ou d’un édifice en cours de restauration.

L’on songe alors à Ulysse s’en revenant de Troie la belliqueuse avec ses marins, le regard imperturbablement fixé vers l’horizon de sa chère Ithaque s’éloignant toujours plus, chaque fois qu’il paraît s’approcher du but ultime de son voyage.

L’on s’arrête et l’on avise, au bord de la sente, un muret où se poser, ouvrant, non sans en avoir humé les pages jaunies du mince opuscule renfermant la sève – certes, ô combien expurgée, mais quintessencielle, nonobstant – de nos humanités lointainement enseignées par des maîtres encore soucieux de transmettre.

Au chant IX, l’aède chante sa mélopée sublime : « Rien n’est plus doux que patrie et parent ; dans l’exil, à quoi bon la plus riche demeure, parmi les étrangers et loin des siens. »

Difficile de ne pas croiser, en pensée, le troubadour du Liré qui résonne en nous de ces quelques vers non moins sublimes : « en quelle saison/Reverrai-je le clos de ma pauvre maison, /Qui m’est une province, et beaucoup davantage ? »

C’est tout simplement beau… L’on reprend ensuite l’excursion. Nous parvenons enfin au faîte de cette colline où se dressent colonnes et péristyles. Nous devinons un fronton quelque peu endommagé.

Entre Ouranos et son Titan de fils Ôkeanos, le temps nous jauge de sa glorieuse éternité. Ici, c’est la déesse Athéna qui nous ouvre les bras. Nous reviennent alors à l’esprit les mille et une ruses et chausse-trapes imaginées avec la complicité d’Héra, épouse de Zeus, pour faire choir leur sœur, l’envoûtante Aphrodite, coupable d’avoir choisi le camp de l’infâme Pâris qui eut le malheur de lui offrir la pomme de discorde. L’on frémit… Et l’on médite.

La descente vers le village est d’une tout autre majesté. Plus humaine, moins olympienne, mais tout aussi authentique. L’on sent battre le cœur de la Civilisation. Là est Europe et nulle part ailleurs.

L’Un plotinien est condensé, comme suspendu entre l’acropole, à regret laissée derrière nous et cette blanche chapelle au style si typiquement byzantin. Surplombant la mer, cette dernière est solidement accrochée aux flancs de ce petit mont à l’unique chemin escarpé. En contrebas, quelques moutons paissent.

Plus loin, à l’ouest, l’on distingue la grande ville, si étrange en sa ressemblance avec ses homologues occidentales. La modernité est tentaculaire. Implacablement, mue par la déraison technicienne, l’hubris, celle-ci étend son long manteau d’airain et recouvre de sa froide laideur de béton, d’asphalte et de verre les antiques cités de nos pères…

Derrière mes lunettes de soleil, mon regard se pose avec une tendresse nostalgique sur une vieille endeuillée au visage fatigué et irréductiblement renfrogné. Son gilet de laine noire recouvre ses épaules charpentées. Assise devant des nappes et serviettes brodées destinées aux touristes de passage, elle échappe aux millions d’yeux qui passent, hagards, pressés et, somme toute, indifférents sur cette autochtone dont les gestes et la posture trahissent un mode de vie ancestral qui est en train de s’éteindre inexorablement.

Dans mes jeunes années, j’avais rencontré, aux fins fonds du Périgord, des vieilles semblables, identiquement enveloppées de châles sombres. Elles me paraissaient d’une autre époque. Cette Mama hellène, me signale que cette époque c’était finalement la mienne qui s’effilochait sous mon candide regard d’enfant…

Je poursuis ma lente escapade, le cœur empli d’un sentiment mêlé. Un frisson me parcourt l’échine. Les dieux, pensé-je. Ou Dieu, peut-être. On se souviendra que l’apôtre Paul accosta sur l’île de Rhodes en 57…

Bref, toujours cette dialectique de l’un et du multiple, du chaos et de l’harmonie, de l’hubris et de la juste mesure chère aux penseurs attiques, depuis Héraclite.

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Philippe Randa,
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