19 novembre 2017

Voir Naples et mourir

Par Pierre de Laubier

 

Avec saint Louis, cette chronique mérite enfin son nom : il est en effet le premier à porter le titre de roi de France et plus celui de roi des Francs. L’histoire de France est donc enfin l’histoire de France… mais elle a cessé d’être abominable. N’ayons crainte : elle va vite le redevenir.

L’attribut principal que saint Louis a donné à la monarchie, c’est la justice : tel est le sens de l’image du roi rendant la justice sous un chêne à Vincennes ; tel est le sens de la fondation d’une des deux plus vieilles institutions royales : le parlement, sis dans l’île de la Cité, à l’ombre de la Sainte Chapelle. Mais la justice du roi est subsidiaire, et la noblesse, dont le roi ne dispute pas les prérogatives, ne se révolte plus.

Sous le règne de Philippe III le Hardi (1270-1285), le domaine royal s’agrandit par plusieurs alliances matrimoniales. La famille royale s’est en effet agrandie. Mais pas toujours pour le meilleur, car le jeune roi se trouve sous la coupe de Charles d’Anjou, dernier frère de saint Louis. Celui-ci avait déjà tenté de s’emparer du Hainaut, en 1254, mais l’arbitrage du roi, à son retour de croisade, l’avait empêché de commettre ce forfait.

Mais, en 1263, Charles avait accepté la couronne de Naples, que le pape Urbain IV lui avait offerte, en vue d’évincer d’Italie la maison de Hohenstaufen : c’est l’époque de la lutte des guelfes, soutiens de la papauté, et des gibelins, favorables à l’empereur. Voilà qui n’avait pas été du goût du roi, qui n’avait pas l’esprit de conquête et prévoyait sans doute les difficultés que cette élévation allait entraîner.

Il ne se trompait pas : elles commencèrent dès la seconde croisade du roi (la huitième) : Charles, qui nourrissait l’ambition d’établir son empire sur la Méditerranée, réussit à convaincre le roi de débarquer à Carthage, où, prétendait-il, l’émir du lieu était prêt à mettre une nombreuse cavalerie à leur disposition. On sait comment l’aventure se termina. Mais les désastres sont peu de chose pour éteindre une ambition : en 1277, Charles prétendit au trône de Jérusalem.

Sur la carte, les empires, figurés d’une jolie couleur tendre, font toujours joli. Mais il faut croire que les peuples ne regardent pas les cartes. D’ailleurs, le comte d’Anjou avait trouvé la recette pour susciter des révoltes de ses propres sujets en Provence, dès 1262 : l’abus de pouvoir et la hausse immodérée des impôts. Il fit de même en Sicile, distribuant à ses fidèles des charges et des biens qui ne leur revenaient pas. Ce qui devait arriver arriva : en 1282, la sanglante révolte dite des vêpres siciliennes sonna le glas de la présence française. Le roi d’Aragon, Pierre III, y contribua, et ce fut chose faite après la défaite de la flotte provençale à Malte (1284).

Fin de l’aventure ? Non. Charles parvint encore à entraîner son neveu dans une expédition en Catalogne contre le roi d’Aragon, expédition marquée par deux désastres militaires entrecoupés d’une retraite calamiteuse, et qui se termina par la mort du roi à Perpignan en 1285. Charles d’Anjou était mort la même année, mais ses descendants continuèrent de régner sur Naples. Deux siècles plus tard, les rois de France trouveront là un prétexte pour mener en Italie une longue série d’expéditions aussi chimériques, coûteuses et désastreuses les unes que les autres.

Les chroniques de Pierre de Laubier sur l’« Abominable histoire de France » sont diffusées chaque semaine dans l’émission « Synthèse » sur Radio Libertés.

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