22 octobre 2017

Vie d’une Harka en Algérie française

Par Fabrice Dutilleul

Entretien avec Jean-Claude Picolet, auteur de Vie d’une Harka en Algérie française (éditions Dualpha)

(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul)

On a beaucoup écrit sur la guerre d’Algérie… Qu’apportez-vous de nouveau sur cette période ? Tout n’a-t-il pas été déjà dit…

C’est vrai, on a beaucoup écrit sur la Guerre d’Algérie. À mon gré, trop souvent de manière partisane, ce qui fait que l’on juge beaucoup et que l’on explique peu.

En ce qui me concerne, je ne parle pas de cette guerre, mais de la « mienne » si je peux m’exprimer ainsi. Ce que j’ai vu, ce que j’ai vécu avec mes hommes, soit une, puis deux sections de Harkis, des Berbères, dans un poste fortifié, isolé en zone interdite. C’est donc une tranche de ma vie, courte et tellement riche.

Certes, je n’étais qu’un tout petit pion sur un échiquier géant. Mais j’y étais. Mon témoignage a donc une certaine valeur, voire une valeur certaine, car il se veut objectif et unique en lui-même.

Pensez-vous que ce conflit aurait pu être géré autrement et éviter ces milliers de victimes, françaises et algériennes ?

C’est une question difficile car elle se situe à un niveau politique et militaire qui n’était pas le mien. Je n’étais qu’un simple exécutant et mon action opérationnelle ne pouvait se faire que dans le cadre qui m’était défini. L’objectif était fort clair. Je n’avais l’initiative des moyens et du choix que pour les interventions quotidiennes seulement, dans la zone que je devais contrôler. En quelque sorte, je n’étais qu’un vassal aux ordres de son seigneur et maître. Je n’étais maître que de mon fief. Et encore…

À titre personnel, je pense qu’effectivement, ce conflit aurait pu être géré différemment. Les opérations du Plan Challe avaient laminé nos adversaires. Il est reconnu maintenant – même par eux ! – que les Wilayas avaient perdu la moitié de leurs hommes, de leurs armes et de leurs stocks. Sans qu’ils puissent être renouvelés en raison de l’efficacité des barrages frontaliers.

Mais il ne semble pas que le pouvoir civil et militaire ait voulu exploiter la situation. L’affaire Si Salah, bien connue maintenant, en est un parfait exemple. Ce fut un échec voulu par la France. On a réfuté les hommes du terrain, en l’occurrence les Berbères de la Wilaya IV qui œuvraient avec l’accord tacite de la Wilaya III, les Kabyles, des Berbères eux aussi. J’ai la désagréable impression – mais je suis peut-être dans l’erreur – que nous avons privilégié la solution politique avec le GPRA plutôt que la solution militaire avec les djounoud de l’ALN. Ce qui voudrait dire que c’est l’abandon de l’Algérie française qui a été très tôt recherché. Ce qui a débouché sur les incroyables accords d’Évian qui n’ont jamais été reconnus par le GPRA… et donc, bien évidemment, pas appliqués ; sans aucune réaction de notre part, ce qui démontre bien le bradage.

Un correspondant algérien m’a rapporté qu’une première Paix des Braves a été sollicitée en 1955 par des autorités algériennes et par la… Wilaya IV dès 1957, puis en 1958 et 1960. Ce qui serait fort intéressant à creuser. Je voudrais bien pouvoir le démontrer.

Quelles leçons tirez-vous de votre engagement personnel ?

Ce fut une période très riche pour moi malgré les risques encourus, mais peut-être aussi à cause de ces risques dont ma femme et moi étions conscients puisqu’elle a voulu m’épouser avant mon départ pour porter mon nom au cas où… alors que j’y étais justement, pour cette raison, plutôt opposé. C’est sur les djebels que j’ai découvert la mission du chef dans des conditions qui ne pardonnent pas la moindre erreur. Dans mon établissement bancaire, il se disait ironiquement que le plus difficile pour être directeur, c’était d’être nommé. Là-bas, je me suis rendu compte qu’il ne suffit absolument pas d’être nommé, ni comme certain de l’affirmer, il fallait surtout être impérativement reconnu. Et d’autant plus quand vos hommes risquent leur vie du fait de vos décisions. Et je l’ai été et j’en suis on ne peut plus fier ! Cela a pris quelques semaines, mais après, je savais que je pouvais compter sur eux et qu’ils ne m’abandonneraient jamais en « basse campagne » quelles que soient les circonstances. Et j’ai pu réaliser avec eux – c’était de redoutables guerriers – des manœuvres que je n’aurais jamais tentées avec des appelés.

Cela a marqué toute ma vie et bien évidemment ma carrière. J’ai terminé parmi les cadres supérieurs de mon établissement. Les « généraux » en quelque sorte. Et j’ai toujours pris mes décisions avec les conseils de mes adjoints et tenté d’être juste et équitable. Je suis certain que j’ai appris et compris ma mission de chef à la tête de ma Harka. Et j’ai toujours respecté mon personnel ensuite. Comme j’ai toujours respecté mes Harkis qui me le rendaient bien.

Le jeudi 19 octobre, Jean-Claude Picolet était l'invité de l'émission "Synthèse" sur Radio Libertés.

Le jeudi 19 octobre, Jean-Claude Picolet était l’invité de l’émission “Synthèse” sur Radio Libertés.

Depuis près de cinquante ans, les générations qui se succèdent vivent sur le constat d’une rupture franco-algérienne. Est-ce une fatalité ?

Il y a fort longtemps, pendant cent ans dit-on, nous avons affronté les Anglais qui voulaient s’emparer du trône de France, non sans raison d’ailleurs. Nous leur avons résisté et finalement les avons boutés hors du royaume. Tout récemment, à trois reprises en moins d’un siècle, nous nous sommes entre-tués avec les Allemands. Est-ce pour cela que nous les couvrons d’injures en permanence ? Alors pourquoi n’en est-il pas de même avec l’Algérie ? Pourquoi certains de nos anciens adversaires continuent-ils à déverser toute leur haine sur nous ? Et pourquoi nous contentons-nous de ne parler que de repentance de nos prétendus crimes de guerre même au sommet de l’État ?

Si nous avons été ces monstres que l’on tente de conjurer, pourquoi les Algériens accourent-ils chez nous alors qu’ils ont obtenu chez eux ce qu’ils appelaient de leurs vœux ? J’avoue que je ne comprends pas. Il doit y avoir des détails qui m’échappent. Et tout un chacun sait que le diable se cache dans les détails. Je vais finir par me demander si, une fois consommé le butin accaparé lors de l’indépendance, la vie là-bas n’est pas moins rose que ce qui était espéré.

Non, cette rupture franco-algérienne n’est pas une fatalité. Encore faudrait-il que nos hommes politiques aient le courage de s’attaquer au problème.

Vie d’une Harka en Algérie française, Jean-Claude Picolet, éditions Dualpha, collection « Vérités pour l’Histoire », 264 pages, 29 euros. Pour commander le livre, cliquez ici.

Vie d’une Harka en Algérie française (éditions Dualpha).

Vie d’une Harka en Algérie française (éditions Dualpha).

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