La politique de Philippe IV le Bel trahit un changement de conception de la nature des liens entre le roi et ses sujets : les principes de la fĂ©odalitĂ© cĂšdent le pas Ă la notion de souverainetĂ©. Ăa peut se comprendre. Lâennui, câest que le roi nâa reçu aucun mandat de ses vassaux â qui sont aussi ses Ă©lecteurs â pour agir ainsi. Nul nâa remis sa propre souverainetĂ© entre les seules mains du roi.
Pourtant, Philippe le Bel agit comme si câĂ©tait le cas. Les baillis et sĂ©nĂ©chaux, Ă©tablis par Philippe II afin de recueillir les plaintes des sujets dĂ©sireux dâen appeler de la justice seigneuriale Ă la justice du roi, se mirent Ă lever impunĂ©ment toutes sortes de taxes. En fait, le roi fit comme si la France tout entiĂšre Ă©tait le domaine royal, soumis Ă lâimmixtion de ses fonctionnaires (qui ne sont encore que quinze cents).
Il voudrait bien traiter de mĂȘme ses vassaux ecclĂ©siastiques, ce qui lâentraĂźna dans un grave conflit avec le pape. Câest ainsi quâen 1301, opposĂ© Ă la crĂ©ation de lâĂ©vĂȘchĂ© de Pamiers, il fit arrĂȘter lâĂ©vĂȘque nommĂ© par Boniface VIII, en vertu dâune accusation de haute trahison forgĂ©e de toutes piĂšces par Guillaume de Nogaret, son principal conseiller. Le pape convoqua les Ă©vĂȘques français Ă Rome pour examiner cette conduite. Nogaret fit publier une version falsifiĂ©e de cette lettre, de maniĂšre Ă blesser lâamour-propre des Français. IndignĂ©, le pape excommunia Philippe le Bel et dĂ©lia ses sujets de leur serment de fidĂ©litĂ©.
Nogaret, dĂ©cidĂ©ment expert en faux (câest lui qui a inventĂ© les accusations contre les Templiers), accusa le pape de toutes sortes de crimes imaginaires, non sans lâaccabler dâinjures : « MaĂźtre de mensonges, blasphĂ©mateur, pestifĂ©rĂ©, loup dĂ©vorant ». Le roi fit rĂ©diger par ses fidĂšles lĂ©gistes une demande de mise en jugement devant un concile, dont il fit donner lecture dans le jardin de son palais (1303). Il enjoignit aux auditeurs dây adhĂ©rer ; ceux qui dĂ©clinĂšrent cette aimable invitation furent jetĂ©s en prison. Pendant ce temps, Nogaret, sâĂ©tant rendu en Italie Ă la tĂȘte dâune bande de soudards, avait surpris Boniface VIII Ă Anagni. SommĂ© dâabdiquer et accablĂ© dâavanies, le vieillard resta inĂ©branlable. Au bout de deux jours, la ville se souleva contre les intrus et les chassa. Mais Boniface VIII, brisĂ© par lâĂ©preuve, mourut peu aprĂšs.
Son successeur, BenoĂźt IX, leva lâexcommunication du roi, mais pas celle de Nogaret. QuâĂ cela ne tienne : celui-ci le fit empoisonner. Philippe le Bel fit alors Ă©lire un homme Ă sa main, ClĂ©ment V, qui se hĂąta dâabsoudre Nogaret et alla jusquâĂ dĂ©clarer que le roi nâavait agi que « par un zĂšle bon et juste ». Toutefois, cet homme courageux, craignant (non sans raison) lâhostilitĂ© des Romains, sâĂ©tablit Ă Avignon (1309). Un siĂšcle durant, ses successeurs, français comme lui, allaient demeurer dans cette ville.
LâĂ©tablissement de la papautĂ© en Avignon mit un terme au principe dâunitĂ© de la chrĂ©tientĂ© entretenu par les papes. Lâabaissement de la papautĂ©, devenue un instrument du roi de France, priva lâEurope dâun arbitre capable de refrĂ©ner les ambitions nationales. Enfin, le sĂ©jour des papes en Avignon prĂ©para le grand schisme dâOccident de la fin du XIVe siĂšcle. Pour le plus grand bien de la France ? Rien nâest moins sĂ»r.
Les chroniques de Pierre de Laubier sur lâ« Abominable histoire de France » sont diffusĂ©es chaque semaine dans lâĂ©mission « SynthĂšse » sur Radio LibertĂ©s.
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Philippe Randa,
Directeur dâEuroLibertĂ©s.