4 décembre 2017

Où en est le Brexit ?

Par Euro Libertes

En ce samedi soir de novembre, dans cette période où les guirlandes de Noël commencent à décorer nos rues, à se couvrir du glacis de l’hiver dans un froid vif et piquant, la RTS dans son prime time s’est adressée à nos cœurs pour nous informer du sujet le plus brûlant. Le moment a été bien choisi pour nous parler de ces petites anglaises qui ne pourront pas bénéficier cette année de vacances de neige à la montagne… à cause du Brexit.

La RTS dans sa mission d’information a tenu à nous montrer avec acuité les dernières conséquences post-brexit, on ne sait jamais, cela pourrait influencer les téléspectateurs qui se débattent aussi dans ce problème de libre-circulation avec l’UE, et les prévenir qu’il ne faut surtout pas en sortir. Leurs enfants pourraient être privés de vacances de neige. La RTS s’est donc fait un point d’honneur à nous montrer les conséquences concrètes et funestes du Brexit. Dieu soit loué.

Que la RTS ne vous ait jamais parlé des véritables raisons qui ont déterminés les Britanniques à sortir de l’UE n’est qu’une anecdote, savoir pourquoi c’est un pro-UE – David Cameron qui a mis en place le référendum de sortie n’intéresse pas les électeurs de notre pays, l’important est qu’ils se rendent compte que sortir de la libre-circulation reconduit immédiatement à la case Charles Dickens, aux enfants de dix ans qu’on exploite pour coller des étiquettes sur des pots de cirage. (Faire de l’amplification est à la portée de tous n’est-ce pas ? Après le « C’est bon pour la jeunesse » des années 90 il faudra désormais vous habituer à l’ambiance Dickens, vous êtes prévenus.)

Plus sérieusement. Face au lamento nouvelle mode servi par notre radiotélévision d’Etat ce samedi soir il s’imposait de recourir à un fact checking pour vérifier les faits et l’exactitude des affirmations posées dans ce reportage misérabiliste sur les effets du Brexit. Dont acte. La narration par le journaliste y commence ainsi :

« Direction le Royaume-Uni maintenant, Londres et Bruxelles sont en pleine discussion pour préparer le Brexit, mais les effets sont déjà là, pour beaucoup de Britanniques, les prix ont augmentés, nombreux sont ceux qui doivent se serrer la ceinture et s’ils pouvaient revenir en arrière, une majorité de Britanniques choisiraient aujourd’hui de rester dans l’Union européenne, selon les derniers sondages. C’est le grand format de ce journal, il est signé Laurent Burkhalter » (RTS 19h30, 25.11.2017, lien en fin d’article).

On dirait la description d’une erreur tragique.

Suit l’image d’une mère et de ses deux petites filles dans une construction de neige artificielle qui tombe dans un supermarché « c’est peut-être la seule neige qu’elles verront cet hiver, » souligne le journaliste.

Là, on a déjà presque tout dit.

Mais qu’en est-il de ce sondage qui selon la RTS dit que les Britanniques décideraient de rester dans l’UE s’ils devaient revoter aujourd’hui ?

Voici l’avis du professeur John Curtice, chercheur au NatCen, professeur de politique à Strathclyde University, et commentateur en chef à What UK Thinks, organisme non partisan :

« Dans ce contexte, un commentateur sage s’avancerait avec précaution. Il y a clairement une évidence fournie à la lecture la plus récente du sondage YouGov, une preuve suggérant qu’il y aurait pu y avoir une légère inclinaison d’opinion en faveur de Rester (ndt dans l’UE) et, par suite, en faveur d’un Brexit plus souple. Mais de même que cette preuve est à la fois limitée et pas entièrement consistante telle qu’elle est, elle ne fait qu’indiquer un très léger glissement. Bien sûr, il suffirait d’un léger changement pour qu’un deuxième référendum produise un résultat différent de celui du scrutin de l’an dernier – mais il est loin d’être certain que le résultat serait différent si un deuxième vote devait avoir lieu maintenant. La seule conclusion sûre que nous puissions tirer est que la Grande-Bretagne est divisée sur le Brexit – et cela a toujours été le cas depuis le 23 juin de l’année dernière. »

“Has There Been A Swing Against Brexit? 18 October 2017 by John Curtice”

https://whatukthinks.org/eu/has-there-been-a-swing-against-brexit/

 

Et à cela rien d’étonnant, si l’on y rajoute que les résultats des sondages dépendent de qui pose la question et de comment elle est posée, de qui y répond, de même de qui fait la loi de l’opinion dans les médias lorsque le sondage est posé.

Ainsi la question «Avoir plus de contrôle sur l’immigration est-il plus important que d’avoir accès au libre-échange avec l’UE ?» qui a été posée quatre fois avant le référendum et quatre fois après ne varie guère et obtient toujours une majorité claire de 44% pour trouver plus important de contrôler l’immigration contre 41% pour l’inverse. Il y a quand même des moments où on ne peut pas dire qu’un chien est un cheval.

On comprend ainsi que sur les questions de libre-circulation les journalistes de la RTS orientent clairement la manière dont ils présentent les faits. A quoi aurait ressemblé ce reportage sur le Brexit présenté par des journalistes objectifs et non partisans ? Auraient-ils affirmé « nombreux sont ceux qui doivent se serrer la ceinture et s’ils pouvaient revenir en arrière, une majorité de Britanniques choisiraient aujourd’hui de rester dans l’Union européenne » ? Certainement pas. Auraient-ils montré des petites filles qui n’auront pas droit à la neige cet hiver en faisant l’association avec le Brexit ? Il n’est même pas besoin d’y répondre.

Les Suisses ont un problème avec leur radio-télévision d’Etat. Elle les manipule et essaie d’influencer l’opinion des téléspectateurs au mépris des faits.

Pour le reste le reportage de la RTS mélange ses exagérations à des données exactes, mais dont elle limite alors l’analyse. S’il est parfaitement exact que l’inflation britannique sur les produits alimentaires a explosé de 4 % depuis le Brexit du fait de la baisse de la Livre et de son effet sur les importations, dire que les Britanniques doivent désormais se serrer la ceinture est une totale exagération, d’autant que le quintile des plus défavorisés a vu cette année la plus grande progression de tous les salaires au Royaume-Uni, une situation quasi inédite, certes aussi grâce à la hausse du salaire minimum.[1]

Présenter une situation économique post-brexit à la manière de la RTS est totalement aberrant et inacceptable pour qui prétend faire de l’information. Les produits alimentaires ont augmenté ? Oui. Mais c’est le bien de consommation qui allait réagir le plus rapidement du fait de la grande dépendance du Royaume-Uni à ses importations alimentaires. Bien évidemment que dans l’immédiat c’est ce qui allait se passer. Mais c’est aussi de nouvelles chances pour l’agriculture britannique de produire plus de biens locaux. De nouvelles chances qui bien évidemment ne peuvent pas se mettre en place du jour au lendemain alors que l’effet de la baisse de la Livre est lui immédiat sur la hausse du prix des aliments importés. Une leçon en passant pour les Suisses qui ont récemment choisi une plus grande dépendance aux importations alimentaires par le biais du vote sur la pseudo sécurité alimentaire.

Les produits alimentaires ont augmenté ? Oui. Mais les prix de l’immobilier montrent qu’une amorce à la baisse est en train de se mettre en place et pourrait à terme venir soulager grandement les loyers et le portemonnaie des citoyens britanniques et augmenter ainsi leur revenu disponible, c’est-à-dire ce qu’il leur reste concrètement à la fin du mois une fois qu’ils ont tout payé. Ils pourront ainsi réalimenter leur consommation et leur épargne qui actuellement sont en baisse.

La croissance britannique ralentit ? C’est exact. Elle est aussi due pour une bonne partie au ralentissement dans la construction qui découle du ralentissement prévisible de l’immigration. Moins d’immigration c’est moins de logements à construire. Mais comme le souligne la Banque d’Angleterre la croissance britannique devrait reprendre quand les entreprises exportatrices pourront commencer à bénéficier à la fois du coût réduit de la livre sterling et de la reprise de l’économie mondiale qui va induire de nouvelles demandes.

On comprend alors que cette économie post-brexit est dans une période de transition et de redéploiement, qu’il peut y avoir des pertes momentanées pour des gains qui se développeront demain. Dans le jeu du mondialisme et d’une concurrence croissante la reprise en main des coûts immobiliers et une valeur plus basse de sa devise et donc des coûts d’exportation ne sont certainement pas des paramètres que l’on peut négliger, ce sont au contraire des paramètres fondamentaux de compétitivité. Il se pourrait même que le Royaume-Uni soit en train de se préparer une longueur d’avance pour demain. Un pays plus équilibré avec des coûts globalement moins élevés.

Si l’on dresse un tableau général actuel de l’économie britannique, excepté l’inflation actuelle de 2.8 % à laquelle la Banque d’Angleterre va répondre par une hausse du taux d’intérêt à 1% à l’horizon 2020 au lieu du 0.5% actuel, on constate que pour l’instant le taux de sans-emploi n’a jamais été aussi bas depuis 40 ans, que les salaires nominaux continuent d’augmenter, surtout celui des plus défavorisés, même si cette augmentation pour les salaires médians est consommée par la hausse actuelle de l’inflation, que les prix de l’immobilier et des loyers sont en train d’amorcer une baisse, que le montant de la livre est extrêmement favorable aux exportations. N’est-ce pas exactement ce que demande le peuple suisse aujourd’hui ? Et qu’on lui refuse.

Une hausse des salaires, une baisse des loyers, une monnaie plus basse pour les exportateurs. C’est que qui ressort à ce stade de la sortie de la libre-circulation européenne du Royaume-Uni.

On se demande parfois pour qui travaillent les journalistes de la RTS ?

Michel Piccand, 26 novembre 2017

Add. Il est assez étonnant de voir les commentaires que certains dans notre pays osent porter sur les capacités des Britanniques à comprendre les processus économiques. Les Britanniques n’ont rien compris ? A voir. On trouve au Royaume-Uni des raisonnements économiques qui vont bien plus loin que ceux que l’on trouve en Suisse dans notre appareil politico-économique.

Ainsi dans les discussions avant le Brexit qui inondèrent le Royaume-Uni cette position particulièrement étonnante d’un politicien conservateur qui dénonçait la sous-enchère salariale induite par la libre-circulation avec l’UE, qui faisait affluer nombres de ressortissants est-européens qui cassaient le niveau des bas salaires au Royaume-Uni. La première réaction helvétique était de se demander comment  un conservateur capitaliste pouvait trouver inacceptable la sous-enchère salariale. N’est-ce pas précisément ce qui était recherché ? La réponse vaut ici son pesant d’or.

Cet éminent parlementaire britannique, dont la culture économique est ici remarquable, expliquait en substance la chose suivante : les bas salaires induits par l’immigration de l’est au Royaume-Uni sont désormais si bas qu’ils ne permettent même plus à ces salariés de vivre et d’assurer leurs besoins. Alors c’est l’Etat qui doit leur venir en aide par les aides sociales pour compléter leurs salaires. Et finalement, disait-il, c’est comme si c’est l’Etat qui payait une partie du salaire auquel ils devraient avoir droit. Ce qui pour ce conservateur, revenait à dire que l’Etat devant payer à la place des entreprises une partie des salaires qu’elles devraient payer, ces aides sociales revenaient en réalité à subventionner ces entreprises en payant une partie des salaires à leur place. Pour lui, ce n’était plus ici les règles du jeu du capitalisme. De manière sous-jacente on comprenait qu’il s’agissait du débat qui a lieu actuellement dans le monde anglo-saxon sur le capitalisme de copinage ou crony capitalism et dont Trump est le porteur aux USA, et qui dénonce le favoritisme pour certaines entreprises au détriment des autres et de l’ensemble de la collectivité.

La grande intelligence de ce politicien britannique était de comprendre l’autre versant du problème. Que plus les aides sociales deviendraient massives et nécessaires, plus les impôts et la pression fiscale pour les financer allaient s’accroître – situation qui est précisément celle qui était en train de se produire au Royaume-Uni et que justement en conservateur et capitaliste ennemi de l’impôt il cherchait à éviter, et qui selon lui ne pouvait être réglée qu’en sortant de la libre-circulation des personnes avec l’UE et en retrouvant la maîtrise de leur flux migratoire.

Une réflexion éminemment intéressante pour la Suisse, dans tous les cas à méditer. Combien de ces entrepreneurs politiciens libéraux pro-UE en Suisse qui ne voient que leurs gains immédiats, la politique du cochon à gagner, et se moquent des effets que tout cela entraîne sur les structures et le fonctionnement général de toute notre économie ?

REPORTAGE RTS DU 25.11.207 SUR LE BREXIT

https://www.rts.ch/play/tv/19h30/video/angleterre-le-brexit-pese-sur-leconomie?id=9116416

Note

[1] L’évolution des salaires au Royaume-Uni depuis le Brexit diffère selon les secteurs. Le salaire moyen général de juin 2016 à novembre 2017 a progressé de 3.45 %. Les progressions les plus élevées se sont produites dans des secteurs où la concurrence de migrants européens était manifeste, les salaires dans la construction ont progressés sur cette période de 5.2 % et dans les services de 4%. [EARN01 Average Weekly Earnings – total pay. 15 Nov. 2017]

L’ONS, Office for National Statisitics, relevait que ce sont surtout les plus bas salaires qui ont progressés. La part des travailleurs gagnant moins des deux tiers du salaire moyen a chuté de 19.4% en 2016 à 18.4% en 2017. De même le différentiel de salaires entre hommes et femmes chutant à son plus bas niveau depuis que cette donnée a commencé à être prise en compte en 1997. [Annual Survey of Hours and Earnings: 2017 provisional, ONS].

En Suisse, les syndicats ouvriers défendent la libre-circulation des personnes. On n’ose imaginer ce que deviendrait leur légitimité si les mêmes hausses de salaires se produisaient dans notre pays une fois quitté la libre-circulation.

Article paru sur le site LesObservateurs.ch.

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Philippe Randa,
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