La candidate chiraquienne
Un ton devenu doucereux à la limite de la patenôtre, un thème de campagne évanescent, des propositions techniques sans vision d’avenir, un embourgeoisement tranquille de bon aloi, une nouvelle bonhomie de vieux routard de la politique qui évoque un Alain Poher ou un Gérard Larcher, avec un fond lointain d’une rengaine sécuritaire et anti immigrationiste, conservé en arrière-plan pour montrer qu’on est toujours un taureau… aux cornes de caoutchouc : tel est le portrait sans retouche de Marine Le Pen, prête à toutes les compromissions politiques pour obtenir un pouvoir dont son père n’avait jamais vraiment voulu, lui.
On dirait du mauvais Chirac des années quatre-vingt-dix, y compris son rejet haineux de Jean-Marie Le Pen à l’époque. Marine Le Pen est également en train de distiller progressivement le même rejet à l’égard d’Éric Zemmour aujourd’hui.
Marine Le Pen passe donc à la vitesse supérieure, comme le 1er décembre, invitée d’une Ruth Elkrief très compréhensive avec une réelle complicité. Complicité dans les objectifs – tuer politiquement Éric Zemmour – et surtout bien montrer que la grande presse officielle a accrédité Madame Le Pen dans le sacro-saint cénacle d’un système bien-pensant que Jean-Marie Le Pen avait tant décrié en son temps.
D’ailleurs, et c’est ce qui est le plus significatif dans la pensée – si on peut parler de pensée – de Madame Le Pen, c’est son adoption du vocabulaire des opposants d’Éric Zemmour pour l’attaquer, alors qu’elle affirme, encore pour l’instant, qu’il n’est qu’un « concurrent » et non un adversaire. C’est vrai qu’il lui faut ménager l’électorat d’Éric Zemmour pour espérer le capter plus tard.
On croyait rêver en entendant Marine Le Pen, condescendante, commisérative et « paternaliste » – la pauvre ! – donner des leçons à Éric Zemmour, tout en reprenant exactement les mêmes arguments et surtout les invectives, même mouchetées, de la plus parfaite mauvaise foi que ceux utilisés par Xavier Bertrand ou Jean-Luc Mélenchon, en passant par tout le gouvernement Macron et bien sûr l’ineffable Anne Hidalgo… le terme de « guignol » étant seulement suggéré en creux.
Lorsqu’on se rallie au vocabulaire de ses adversaires pour tenter d’éliminer un simple « concurrent », c’est qu’on a déjà rallié aussi l’essentiel de leurs idées, si tant est que Marine Le Pen ne soit pas au fond ce qu’elle a toujours été : une femme de la gauche bobo marquée par un héritage de droite confortable. En outre, elle justifie sereinement ses propos, avec un sourire entendu, en expliquant que la politique est un univers où mauvaise foi et mensonges constituent le lot quotidien. Dont acte, Madame Le Pen, pour revaloriser la chose politique.
Elle va encore plus loin en prenant le parti du journaliste de TF1, Gilles Bouleau, lors de son interview militante d’Éric Zemmour. Elle en profite même pour affirmer que le rôle des journalistes est essentiel et bienfaisant pour la démocratie, tout en disant, goguenarde, qu’ils sont parfois injustes… avec un grand sourire complice à une Ruth Elkrief radieuse.
Interview très réussie pour Madame Le Pen qui a parfaitement intégré les codes du système politico-médiatique pouvant lui permettre d’accéder au pouvoir. Pour faire du Chirac, ou au mieux du Sarkozy. Un Sarkozy d’ailleurs qui ne s’interdit pas d’ailleurs éventuellement d’appeler à voter pour Emmanuel Macron le cas échéant… La boucle serait ainsi bouclée.
On peut se mettre à la place des électeurs de toujours du Front ou du Rassemblement National qui retrouvent dans Zemmour un idéal abandonné et se demander s’ils pourront revoter un jour pour Madame Le Pen qui ferait plus une excellente adjointe de Valérie Pécresse, faute d’être même Chirac.
Richard Dessens est l’auteur de nombreux livres aux éditions Dualpha :
Henri Rochefort ou la véritable liberté de la presse
Histoire et formation de la pensée politique
L’Europe chrétienne ou la mémoire perdue (suivi de) La dictature démocratique
La Démocratie travestie par les mots
Les grands enjeux du XXIe siècle
L’irrésistible ascension de l’Europe des peuples (2016-2020), préface de Philippe Randa
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