On ne parle jamais autant de la vertu qu’au lendemain de sa perte. Il en va de même pour les Clés de la francophonie. Dans quel bureau des objets trouvés pourrait-on les récupérer ?
Certes l’un de nos plus subtils adeptes de l’humour noir, en tournée dans le sud des États-Unis, provoque son auditoire en prétendant que « le français est une langue d’avenir ». Son aîné Ray Ventura et ses collégiens, tout guillerets, ne prophétisaient-ils pas en 1939 que nous étions à la veille d’aller pendre notre linge sur la ligne Siegfried. Alors ! Tout va très bien Madame la marquise, comme le chantaient ces mêmes fantaisistes.
Dans de nombreux États dont la langue officielle était un héritage de la colonisation, l’enseignement de l’anglais en première langue est imposé. Comment réagiraient les algériens Mohamed Dib et Kateb Yacine qui considéraient le français comme « un butin de guerre ».
Le dépeçage de notre empire colonial terminé et les indépendances d’États proclamées, on peut comprendre le souci de leurs populations de revenir à leurs origines par une pratique des divers arabes dialectaux, du bambara, du wolof, du sereer, du pulvar, du joola, ou encore du malinke… Pourquoi pas !
Mais qu’en France un américano-globish erratique impose ses approximations dans des notices techniques et commerciales incompréhensibles, ou encore sur les ondes, les écrans, et les stades !
Si naguère la langue française était celle des princes, des rois et de leurs diplomates, le régime politique qui prévaut désormais l’aurait-il réformée au nom d’un nivellement égalitariste plus démocratique ? Appauvrissement avéré, sans compter les effets collatéraux qui ont conduit à l’euthanasie de ces originalités linguistiques comme l’argot ou le louchebem professionnel qui, par leur créativité, leurs métaphores inattendues, séduisaient jusqu’aux académiciens français les plus pointilleux. Objectivité oblige, leur ont succédé des idiomes heureusement plus exotiques tel le très romantique rap.
Comment du Bellay pourrait-il « remettre à jour » sa « Défense et illustration de la langue française » alors que déferlent des rafales de mots et expressions venues d’ailleurs ?
Lors de nos réunions publiques devenues depuis longtemps des « meetings », nos hommes politiques ne soulèvent plus les foules mais suscitent des « standing-ovations » autrement plus significatives.
Nos entreprises ne pratiquent plus depuis longtemps les groupes de réflexion obsolètes. Désormais se multiplient de prolifiques « brain-storming sessions ». Imaginez un instant les frères Lumière découvrant que leurs inventions s’inscrivent dans une prétendue « high-tech » contrôlée par un « business plan » indispensable. Il en va de même pour la substitution « drastique » d’un « marketing’s director » à un directeur de la publicité.
En matière de sport un mécénat hypocrite s’est éteint pour voir s’imposer un « sponsoring » beaucoup plus désintéressé. Dans les vestiaires de nos stades les entraîneurs ringards ont été virés au profit de « coaches » autrement plus performants pour conduire leur « team » jusqu’au « final four ». Ils imposent à leurs joueurs des séances d’« interval-training » plus efficaces que l’entraînement fractionné et des exercices de « body building » ou de « fitness » plus efficaces que ceux d’une musculation raisonnée. Pourtant comme nous le soulignions finement en cours de « gym » de nos années cinquante : « Les petits pois désaltèrent ».
Nos élites artistiques, soutenues par la « Jet-set » où se croisent « V.I.P » et « influenceurs », se disputent les « number-one » aux « hit-parades », aux « box-offices » ou encore les « front pages » des « News magazines » et autres « tabloïds ». En 1962, Charles Denner croyait incarner sur le grand écran Désiré Landru, un galant tueur en série, alors qu’il se glissait dans la peau d’un vulgaire « serial-killer ».
En 1961, le concours Eurovision de la chanson était remporté par le Luxembourg avec un texte de Maurice Vidalin interprété par Jean-Claude Pascal. Signe des temps, au cours de ces dernières années nombreux sont les défenseurs de nos couleurs qui interprètent des textes en « yogourt language » (cela leur vaut peut-être de s’assurer avec constance les dernières places).
Alors que nos enfants apprennent à lire dans des albums d’histoires sans paroles avant de se greffer sur une main cette indispensable « tablet » qui leur permettra d’échanger en langue phonétique voire acronymique, nos instances les plus déliées s’étonnent de l’illettrisme et de l’analphabétisme qui submergent nos populations et les ravalent à des niveaux d’inculture insoupçonnés.
Ne voulant pas passer pour un irrécupérable « has been », je me permets de lancer une bouteille à la mer dans cette nouvelle langue vernaculaire qu’est le « Short Message Service » : « LOL, PK, TKP, YOLO, JPP, JTM ». Pour le lecteur que ce billet mélancolique laisse coi, qu’il s’adresse à notre aimable Pap qui se fera un devoir de le traduire.
signé John-Peter Brown !
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