« LA question centrale est en fait celle de la finalité de l’école »
Propos recueillis par Yann Vallerie.
Breizh Info évoqué ce lundi la sortie d’une excellente « histoire incorrecte de l’école », livre à lire pour bien comprendre l’évolution des enjeux et des missions de l’Education nationale notamment, mais surtout de la scolarité des enfants à travers les siècles. Parce que le sujet de l’Éducation est fondamental, nous avons jugé important d’aller plus loin que notre chronique, en interrogeant Virginie Subias Konofal, auteur du livre, pour l’évoquer mais aussi pour faire le point sur ce qui se trame aujourd’hui pour nos enfants.
Pourquoi avoir décidé d’écrire cette histoire incorrecte de l’école ?
Virginie Subias Konofal : L’idée m’en est venue en corrigeant les copies de mes étudiants de l’ILFM. Ils critiquaient vertement l’école « d’aujourd’hui » en l’opposant à une école « d’avant » qui n’aurait pas eu les mêmes défauts et qui aurait fonctionné.
Il m’est assez vite apparu qu’ils mythifiaient l’école de Jules Ferry, telle qu’elle est mise en scène dans Le Grand Meaulnes ou les livres de Pagnol, et, par le cinéma, dans l’imaginaire collectif, et qu’ils méconnaissaient assez largement ce qui avait précédé. Je leur ai d’abord proposé une sélection de livres devant ouvrir leurs perspectives historiques, mais ils avaient du mal à en assimiler la matière, souvent dense et technique. J’ai donc décidé de condenser tout cela en un petit livre, qui permettrait d’appréhender assez rapidement et simplement les grands débats autour de l’école.
J’ai voulu montrer que les lois Ferry ne marquaient pas la naissance de l’école en France – tous les gens informés le savent bien, mais le grand public semble malheureusement l’ignorer ! – mais plutôt l’aboutissement d’un long processus, et son infléchissement significatif.
J’étais fatiguée d’entendre dans tous les débats des arguments qui laissaient croire que l’école était sortie du néant, parfaite, à la fin du XIXe siècle, et que les hussards noirs étaient le modèle indépassable du bon professeur.
Avez vous trouvé le fameux point de basculement, selon votre parabole du plongeur, de l’Éducation en France ?
Virginie Subias Konofal : Il me semble que ce point de basculement théorique est justement la série de lois que l’on attribue à Jules Ferry. De ces lois scolaires, on extrait quatre termes. On nous dit que l’école devient alors « publique, gratuite, obligatoire et laïque ». En réalité, elle était gratuite depuis fort longtemps, pour ceux qui avaient besoin de cette gratuité, c’est-à-dire pour les pauvres. L’Eglise, qui avait été la première éducatrice de France et qui avait structuré progressivement les énergies éducatives libres et éparses, était soucieuse d’enseignement populaire et avait mis en place tout un système de redistribution.
Rien n’est jamais parfait, évidemment, mais quand on parlait de gratuité avant la fin du XIXe siècle, il s’agissait d’une réalité, et non d’un paiement caché via les impôts. Car aujourd’hui tout le monde paie l’école « gratuite », et particulièrement les parents, par le biais des impôts indirects auxquels personne n’échappe, comme la TVA. Elle n’a rien de « gratuit ». L’école publique existait aussi depuis bien longtemps, et ce qualificatif était lié simplement à son mode de financement. Etaient publiques les écoles financées par l’État ou l’une de ses ramifications – qu’elles fussent religieuses ou non-confessionnelles – et étaient privées les écoles financées sur deniers privés – qu’elles fussent elles aussi religieuses ou non. Enfin elle était obligatoire jusqu’à 14 ans depuis une ordonnance royale promulguée par Louis XIV en décembre 1698.
Les lois Ferry n’ont fait que confirmer ce que les générations antérieures avaient construit et qui portait ses fruits, puisque le taux d’alphabétisation de la génération précédant ces fameuses lois était excellent. Ferry introduit deux nouveautés qui me semblent constituer le point de basculement évoqué : la laïcité, qui détache le processus scolaire de toute spiritualité et remet en débat la question de sa finalité, et l’accélération du processus d’uniformisation qui avait débuté au milieu du XIXe siècle. C’est l’association de l’uniformisation – des structures, des formations, des méthodes, des supports, des programmes, des examens – et de la laïcité qui a lancé finalement le mouvement descendant et sclérosant, qui donne ce que l’on connaît aujourd’hui.
On voit bien, en lisant votre livre, que des conflits sur l’éducation au sein de ses instigateurs ont toujours existé. Néanmoins, il semblerait que la prise en main par les pédagogistes ait fabriqué une fracture jamais atteinte par le passé. Pourquoi ?
Virginie Subias Konofal : LA question centrale est en fait celle de la finalité de l’école, en tant que structure, et de la finalité de l’enseignement, en tant que formation. Les hommes du début du XXe siècle ont prétendu chasser Dieu de l’école. Mais la formation des enfants était vue comme une activité transcendante, liée au dépassement de soi et à l’élévation par la culture. Le processus était compréhensible tant que l’objectif de cette élévation était le salut de l’âme, tant que Dieu formait son horizon. Chassant Dieu, il a fallu le remplacer par quelque chose. Cela a été la Nation.
Et cela a fonctionné tant que les mentalités sont restées réceptives. Le processus de formation, d’éducation même dans son ensemble, est une tension, et donc une tension vers quelque chose. Le problème est la définition de ce point vers lequel on tend. Le « miracle » Ferry, pour autant qu’il existe, est en fait la réalisation du miracle Guizot auquel s’ajoute l’expertise acquise par la structure au XIXe siècle, entre autre en ce qui concerne la formation des enseignants. Mais après la IIe Guerre Mondiale, le patriotisme devient inaudible, la notion de nation devient illégitime et toute transcendance s’effondre. On ne sait plus pourquoi on met les enfants à l’école, si ce n’est pour qu’ils trouvent une petite place dans la société. La structure tourne, mais comme une toupie sans impulsion ; elle ne pouvait que s’arrêter.
Les pédagogies, ce sont ceux qui ont pensé que ce mouvement pouvait être perpétuel et trouver sa source en lui-même. Aujourd’hui le vrai problème n’est pas seulement structurel, politique ou pédagogique ; il est philosophique en ce sens qu’il touche à la finalité même de l’école, à la définition de l’homme qu’elle doit former. C’est sur ce point que plus personne n’est d’accord. Les pédagogistes n’ont fait qu’occuper le devant d’une scène qui était en fait déjà vide. On s’est focalisé sur des problèmes de méthode, d’organisation et de pédagogie parce qu’on n’avait plus de réponse à apporter à la vraie question centrale qui est celle des finalités et qui est d’ordre anthropologique.
Que pensez vous du nouveau ministre de l’Education nationale ? Sera-t-il à même selon vous de changer de mammouth (et non pas réformer) ?
Virginie Subias Konofal : Je n’ai pas de réel avis sur la question. Je ne pense pas que grand chose soit possible tant qu’on ne sortira pas d’un système à la fois centralisé et uniformisé. Pour l’instant on ne s’occupe que de détails, et je n’ai pas vu surgir les grandes questions, parmi lesquelles au premier chef celle du financement de l’école. Je ne suis donc pas très optimiste.
Vous êtes responsable du pôle de culture générale au sein de l’ILFM, et membre du bureau de la fondation pour l’école; Pouvez vous nous parler de vos activités quotidiennes. Il semblerait que l’école hors contrat ait le vent en poupe…
Virginie Subias Konofal : Les écoles indépendantes sont en effet très dynamiques. Chaque année, elles sont nombreuses à ouvrir, grâce à l’énergie d’acteurs de la société civile. Lors de cette rentrée, le cap de la centaine d’écoles nouvelles a été passé, ce qui prouve que les gens sont de plus en plus nombreux à avoir le courage de sortir du système. Il leur faut réapprendre à se battre pour leur liberté. Car c’est un vrai combat, puisque le moins qu’on puisse dire est que les autorités ne leur facilitent pas la tâche. Sur écoles-libres.fr on peut trouver l’annuaire de presque toutes les écoles indépendantes.
Il y en a forcément une près de chez vous ! Il faut que les gens aient le courage de sortir de leur zone de confort, et de sortir surtout de la peur et de l’auto-censure. La situation actuelle est orwellienne ! Plus besoin de répression, les barrières sont dans la tête des gens. Heureusement nombreux sont ceux qui commencent à se libérer et à oser prendre des initiatives. La Fondation est là pour les aider, sur le plan technique, pédagogique, administratif et financier. L’ILFM est là pour former des enseignants libres et responsables. Aucune pédagogie n’est imposée : plusieurs systèmes sont proposés, avec des approches différentes, des méthodes différentes. Chacun se forme et cherche ce qui lui correspond, en quoi il croit et qu’il est prêt à mettre en oeuvre.
Pour vous, quelle forme prendrait l’école idéale ?
Virginie Subias Konofal : Il n’y a pas d’école idéale, comme il n’y a pas d’enfant idéal ou de parent idéal. Il y a des humains qui se rencontrent et qui parcourent un bout de chemin, certains se mettant au service des autres pour l’édification de tous. L’erreur du système actuel est d’avoir cherché justement le modèle parfait, c’est-à-dire s’appliquant à tous de la même façon. Mais toute uniformisation est stérilisante. L’humain est divers, mouvant, et riche de cette diversité. Il faut cesser de voir l’école comme une structure. Ce singulier même – l’école – n’a peut-être pas de sens. Il faudrait parler des écoles, comme on parle des élèves. Dès qu’un livre vous parle de « l’élève », comme s’il y avait un modèle standard, comme pour les téléphones ou les voitures, il faut se méfier ! L’enseignement, c’est d’abord une relation humaine, une rencontre entre un adulte, avec sa personnalité, sa culture, son expérience et ses savoirs, et un jeune. Si la rencontre n’a pas lieu, l’apprentissage ne se fait pas. Si elle a lieu, même dans une classe de 35 élèves, quelque chose passe. Le premier pas vers « l’école idéale » serait de mettre en place les conditions de cette rencontre, le second serait de respecter la liberté de chacun et de faire confiance aux hommes plus qu’aux structures, la troisième serait de définir clairement vers quoi le professeur et ses élèves marchent, ensemble.
Avez vous, enfin, des livres à conseiller aux parents qui s’interrogent sur l’éducation et la scolarité de leurs enfants , et qui ne veulent pas subir les brimades mentales des soldats du pédagogisme ?
Virginie Subias Konofal : Pour les parents, quelques livres peuvent être utiles. S’ils veulent étayer leur diagnostic sur l’école actuelle, les livres de Philippe Nemo (Pourquoi ont-ils tué Jules Ferry ?) et de François-Xavier Bellamy (Les Deshérités) sont des incontournables. Le blog de Jean-Paul Brighelli est très stimulant aussi, et il avait été un des précurseurs de la bronca contre le système (La fabrique du crétin). L’ouvrage de Ghislaine Wettstein-Badour (Lettre aux parents de futurs illettrés, 2000) est très éclairant pour l’école primaire, et les articles de Nathalie Bulle sont passionnants. Elle est chercheur au CNRS et ses travaux s’adressent aux lecteurs avertis, mais sont une belle nourriture intellectuelle. J’aime beaucoup aussi La Querelle de l’Ecole qui est la retranscription des émissions Repliques tenues par Alain Finkielkraut sur France Culture.
Ce sont des débats, donc on a presque à chaque fois deux avis opposés sur une même question, comme celle de la sélection à l’école par exemple, ou de la culture générale. Pour chercher des perspectives plus positives, plus constructives, on peut aller lire les ouvrage d’Elisabeth Nuyts ou de Jean-Daniel Nordman. Enfin je viens d’acheter L’École dans la Littérature de Claude Pujade-Renaud, qui recense et analyse les évocations de l’école dans les oeuvres littéraires du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle. C’est une approche originale, mais qui intéressera peut-être plus les professeurs que les parents !…
Article paru sur le site Breizh Info.
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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.