L’antisémitisme de troisième génération
Le ministère de l’Intérieur a annoncé une hausse de 74 % des actes antisémites en 2018. Seraient enregistrées, à travers ce chiffre, autant les profanations que les insultes ou les agressions allant jusqu’au meurtre (cliquez ici).
Les assassinats de Sarah Halimi (le 4 avril 2017) et de Mireille Knoll (le 23 mars 2018) perpétrés par la furie salafiste ont, en effet, marqué les esprits. Mais, dans le même temps, les jeunes des banlieues dites « défavorisées » voient partout – en « bons chrétiens » qu’ils sont – la main des Illuminati. Pis encore quand le professeur de philosophie se sent obligé de baisser les yeux lorsqu’une élève ouvertement salafiste affirme sans vergogne que les sophistes étaient « les Juifs de l’époque ».
Alain Finkielkraut avait eu le courage, il y a une quinzaine d’années, de dénoncer un antisémitisme de deuxième génération. Celui-ci fut conçu idéologiquement par la lutte antiraciste des années quatre-vingt. En somme, SOS Racisme a fécondé son propre antisémitisme. Par conséquent, une certaine gauche sociale, celle de Gérard Filoche (exclu, en novembre 2017, du Parti Socialiste à cause d’un tweet explicitement antisémite), celle des anarcho-libertaires (souvent des enfants d’universitaires ou de magistrats) et celle des factieux nationaux-bolcheviques se devait d’aller au bout d’une logique de séduction à l’endroit de son armée de réserve contre le capitalisme : les musulmans.
Seulement, cette armée de réserve ne rend pas la pareille aux élections. La stratégie du think tank progressiste Terra Nova n’a, en réalité, fonctionné que durant les élections nationales de 2012. Les adeptes du Coran ont, depuis, fait sécession avec le reste de la population : d’après un sondage de l’Institut Montaigne (de septembre 2016), 29 % des musulmans considèrent que la charia (« la loi islamique ») est plus importante que la loi de la République. Il reste que, depuis la création du Consistoire central israélite de France en 1808 par Napoléon 1er, l’affaire Dreyfus (de 1894 à 1906) et les lois sur le statut des Juifs promulguées par le régime collaborationniste de Vichy (de 1940 à 1941), la question juive en France est devenue, stricto sensu, obsessionnelle.
La question des origines a, à ce point, inoculé son poison que beaucoup ne jugent autrui qu’à l’aune, non de ce qu’il dit et fait, mais de ce qu’il est. « Dis-moi d’où tu parles et je te dirai qui tu es », pense inlassablement la belle âme postmarxiste. Car, quand l’essence précède l’existence, aucune discussion n’est possible. En outre, la société du spectacle crée les conditions de possibilité d’une production massive d’idoles. Alors, le conflit social, largement nourri par le conflit culturel, introduit une ligne de fracture entre les riches et les pauvres, autrement dit une frontière illusoire entre les Juifs et tous les autres.
En somme, l’antisémitisme d’aujourd’hui n’est plus seulement à l’extrême gauche, ni exclusivement à l’extrême droite. Les buveurs de cocktails des quartiers gentrifiés pactisent volontiers avec des porteurs de keffieh. Ce sont les mêmes qui ne voient dans le port du voile qu’un déguisement d’un nouveau genre. Ceux-là même veulent penser que tous les Juifs sont richissimes et que tous les curés sont homosexuels au mieux, pédophiles au pire. Entre l’idolâtrie des Autres et la haine viscérale de l’ordre judéo-chrétien, ne demeure subrepticement qu’un besoin pour se rassurer face à une angoisse larvée : celui d’instaurer un ordre islamo-libertaire.
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