Demain la dictature
Entretien avec Philippe Bornet, auteur de Demain la dictature (Éditions Presse de la Délivrance)
(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul)
D’après une enquête de l’IFOP de novembre 2018, 41 % des Français sont d’accord pour confier le pays « à un pouvoir politique autoritaire, quitte à alléger les mécanismes de contrôle démocratique s’exerçant sur le gouvernement ». Un étudiant sur deux s’accommoderait d’un régime autoritaire. Si l’Histoire ne repasse pas les plats, souvent elle balbutie. Une dictature apparaît quand les douze conditions suivantes sont réalisées dans l’ordre : 1. Désordre dans la rue, 2. Impéritie du gouvernement, 3. Mécontentement dans l’armée et la police, 4. Guerre ou menace de guerre, 5. Échec et peur des élites, 6. Prestige d’un général, 7. Séduction de l’intelligentsia, 8. Crédit des pouvoirs financiers, 9. Désignation d’un coupable, 10. Répartition du butin, 11. Changement de Constitution, 12. Approbation populaire. La méditation des leçons du passé est la seule prophétie des gens raisonnables.
Votre livre est-il un livre d’histoire ? De politique ? Ou de philosophie ?
La Politique est, depuis Platon, un des chapitres de la Philosophie. Je suis parti des faits historiques, convenablement résumés et mis en perspective, et je me les suis mis tous sous les yeux. J’ai rapidement compris en lisant Renan que la dictature est un phénomène typiquement latin. Dans les pays germains, en raison de la « faustrecht », l’auctoritas va toujours de pair avec la potestas. Être fort pour le droit allemand, c’est être le chef sans discussion et sans partage puisque le plus fort est le plus capable de faire régner l’ordre. Il faut aussi éliminer de notre étude le monde anglo-saxon. À part Cromwell, qui est d’ailleurs plutôt le vainqueur d’une guerre civile, il n’y a pas de dictateur en Grande-Bretagne ni aux États-Unis. Probablement aussi parce que dans cette partie du monde, on ne se met jamais dans la situation d’en avoir besoin. L’Angleterre est une île et les États-Unis le sont aussi. La menace extérieure n’y est jamais aussi prégnante qu’en France.
Quelle a été votre méthode ?
La subsomption kantienne. Cette aptitude à apercevoir le général dans le particulier.
Si je suis capable de m’apercevoir que « les équidés » font partie des « mammifères », j’y parviens par une opération mentale qui est la subsomption. Percevoir l’ensemble le plus vaste qui puisse abriter toutes les dictatures sans contenir les tyrannies, puis en déterminer tous les points de définition, telle a été ma méthode. J’ai confronté ensuite mes propres conclusions avec celles de théoriciens des siècles passés.
Comment définissez-vous cette dictature ?
Je la définis en douze points dont la réalisation séquentielle permet d’accomplir un cycle politique complet avec apparition d’une dictature. Pour ces douze points, je me permets de vous renvoyer à mon livre. Le plus important est que le propre d’une dictature est sa parfaite légalité. C’est cette légitimité qui permet de distinguer le dictateur du tyran (Staline, Mao) ou de l’homme à poigne de fer comme on en voit souvent au cours des guerres : Clemenceau, Roosevelt, Churchill.
Peut-on revoir en France une dictature ?
Bien sûr. Je dirais même qu’elle est imminente. D’après Curzio Malaparte, le risque de coup d’État est plus élevé que jamais dans les pays occidentaux. Il est vrai que le coup d’État et la Dictature sont deux choses différentes : les papes et les cardinaux, les parangons de démocratie font des coups d’État.
Cette analyse pessimiste pour la démocratie ne m’est pas particulière. D’après Emmanuel Todd, « il existe un subconscient inégalitaire dans notre société. La stratification éducative a provoqué une fermeture du groupe des éduqués supérieurs sur lui-même… Le vieillissement de la population va aussi dans le sens d’une préférence pour l’inégalité. Que devient la démocratie quand les gens sont en moyenne beaucoup plus âgés et riches ?…
Ce qui réémerge aujourd’hui, ce sont les traditions propres du continent européen, et elles ne sont pas propices à la démocratie libérale.
Je pense que la démocratie est éteinte en Europe. Le gros de l’histoire humaine, ce n’est pas la démocratie. L’une de ses tendances lourdes est au contraire l’extinction de la démocratie… Mais un historien sait qu’il y a une vie après la démocratie » (Libération, 6 septembre 2017).
« La France est au seuil de la dictature », a déclaré de son côté Alain Soral, sur le blog Égalité et Réconciliation, le 28 janvier 2018, en ajoutant : « Le pays est aujourd’hui totalement soumis au pouvoir mondialiste. La situation est tendancieuse. Les personnes qui défendent les vraies valeurs de la France sont persécutées. L’initiative de Macron a pour objet d’entraver la fonction du journalisme alternatif, la réinformation. »
Alain Soral a également expliqué que pour ces mêmes raisons, il y a aujourd’hui plus de cinquante procès intentés contre lui en France.
« La dictature, ce n’est pas en Russie, et ce n’est pas Poutine qu’il faut montrer du doigt, c’est la France et sa position soumise (grâce à Macron) à cette domination. Il est évident qu’aujourd’hui, les autorités illégitimes sont inquiètes. Leur guerre contre les “fake news” est une tentative pour entraver le journalisme alternatif, le journalisme de la résistance qui n’existe que sur une seule et unique plate-forme où tout reste possible : Internet. »
Dictature et populisme sont-ils synonymes ?
La dictature est un système qui restaure brutalement l’auctoritas et se fait avaliser par le peuple. Quant au populisme, j’en attends encore la définition. Peut-être cela consiste-t-il à être plus démophile que démocrate ?
D’après Jacques Julliard, « Le populisme apparaît lorsque l’opposition des masses et des élites devient le caractère distinctif ». Quand la distance entre les élites de droite et de gauche est moins importante qu’entre les élites et la masse, le populisme ne serait pas loin. Je conviens que c’est une bonne définition de ce qu’on appelait autrefois le césarisme et qui mène tout droit à la Dictature puis à la Monarchie. Et il termine ainsi : « Quand les sociologues de l’élitisme […] rendent mieux compte de la réalité que les sociologues de la lutte des classes, c’est que la société est en train de changer de paradigme. Nous n’en sommes plus très loin » (Marianne, 26 octobre 2018).
Hitler, Mussolini, Franco, Salazar, Staline étaient-ils des dictateurs ?
Hitler est parvenu légalement au Pouvoir avec des pouvoirs étendus et cumulés de chancelier et de Premier ministre qu’il a conservés pendant une période de guerre. Mussolini était un dictateur commissaire ; il fut nommé et chassé par le roi, resté souverain. Franco était le vainqueur de la guerre civile espagnole. Il a reconstruit l’État autour de sa personne. Staline est un tyran, maintenu au pouvoir par l’emprisonnement massif, le parti unique et la guerre. Salazar était un dictateur typique, qui n’avait besoin pour assurer sa sécurité que de deux sentinelles devant sa maison particulière, ce qui dénote un incontestable appui populaire.
Et Pétain ?
Pétain a hérité les pleins pouvoirs votés à Daladier jusqu’en 1942. Il disposait déjà légalement de la potestas et de l’auctoritas. En réalité, ce fut Laval, intrigant dans l’ombre qui voulait un changement constitutionnel et se faire attribuer le titre de successeur désigné.
Le coup du 10 juillet 1940 fut voulu par Laval, non pour porter Pétain à la dictature mais pour être, dans son ombre, son homme lige et son successeur. Le coup parlementaire était légal sauf à contester la délégation du pouvoir constituant dont disposait l’Assemblée nationale en vertu de la loi constitutionnelle du 25 février 1875. Comme le remarque Robert Aron : cette irrégularité était moins grave que celle de la « délégation couramment pratiquée par le Parlement depuis 1936 : celles des décrets-lois accordés par les Chambres au gouvernement ». Laval était en compétition avec Weygand pour la vice-dictature.
Les Français souhaitent-ils une dictature ?
Si j’en crois le baromètre politique 2017 du CEVIPOF, ils sont 49 % à souhaiter un dirigeant indépendant des élections. Un régime illibéral. Une étude confirme cette étude avec des chiffres un peu inférieurs (41 %).
Le dictateur est-il toujours un général ?
Presque toujours. Il y a une exception : Louis-Napoléon Bonaparte qui, formé comme officier d’artillerie par l’armée suisse, organisa un coup d’État – plus policier que militaire d’ailleurs –, parti de l’Élysée.
Pourquoi n’y a-t-il jamais de dictateur en dehors des pays latins ?
En effet, je ne saurais en citer un seul. Cromwell s’est imposé comme vainqueur d’une guerre civile en Angleterre. Jamais aux États-Unis. Jamais en Allemagne. Jamais en Russie. En revanche, nombreux furent les tyrans et les tyrannies à plusieurs têtes.
Si la dictature est la brusque conjonction de la potestas et de l’auctoritas, il est logique que les peuples qui ne séparent jamais l’une de l’autre, ne connaissent jamais la dictature. C’est seulement dans les pays latins que l’on différencie le pouvoir et la légitimité du pouvoir. Qui t’a fait duc ? Qui t’as fait roi ?
Vous persistez à écrire qu’Hitler n’était pas un dictateur ?
Oui. Un dictateur n’est pas un monarque dont on a mauvaise opinion, suivant la définition de Thomas Hobbes pour désigner les tyrans. Le terme dictateur, est généralement utilisé à mauvais escient, en place du mot tyran, pour flétrir un homme de Pouvoir.
Les dictateurs sont-ils un retour de l’extrême droite ?
Suivant Jacques Bainville, il y a plutôt plus de dictateurs de gauche que de droite. En France, Cavaignac a exercé quelques jours une dictature sanglante, parfaitement républicaine, en 1848. La plus sanglante de notre Histoire.
Les dictateurs font-ils des coups d’État ?
Souvent, mais pas toujours. Sylla n’a pas fait de coup d’État quand il est rentré d’Asie. Ni Pétain en juillet 1940. Quant à de Gaulle, son arrivée au pouvoir s’est produite sans user de la force… mais il ne s’en est fallu que de quelques heures.
Les dictateurs prennent-ils leur retraite ?
Oui. Fréquemment. Le Pouvoir use. Le Pouvoir absolu use absolument. Sylla, dictateur à vie, prit sa retraite pour filer le parfait amour avec la jeune Valeria. Louis-Napoléon adoucit considérablement son Pouvoir en vieillissant. Quant à de Gaulle, il finit par démissionner alors que rien ne l’y obligeait, prenant prétexte d’un échec au référendum de 1969.
De Gaulle était-il un dictateur ?
Il l’a écrit en tout cas : « La dictature momentanée que j’ai exercée au cours de la tempête et que je ne manquerais pas de prolonger ou de ressaisir si la patrie était en danger, je ne veux pas la maintenir puisque le salut public se trouve être un fait accompli. »
Qu’est-ce que la souveraineté ? Comment sa définition permet-elle d’expliquer les formations des dictatures ?
La souveraineté a toujours été définie classiquement comme la réunion de deux entités : la puissance (potestas) et l’autorité (auctoritas). Mieux vaut ne pas traduire ces mots en français car le sens actuel est différent et expose au contresens. Autorité s’entend de nos jours comme un synonyme de personne ayant autorité, agent de l’ordre. Dans l’esprit public, c’est un porteur de képi avec un bâton blanc et un sifflet. Puissance désigne souvent plus les performances d’un moteur de course que les attributions d’un homme d’État.
Qui a inventé la souveraineté ?
Personne. Dans la famille, constituée d’une petite troupe de cent ou deux cents personnes avec le père, la mère, tous les enfants voire petits-enfants, épouses, esclaves, serviteurs, têtes de bétail etc., la souveraineté est, comme le reste une affaire de couple. Le père a la puissance, il lutte, chasse, laboure, plante, construit, fait la guerre ; la femme a l’autorité, elle surveille le feu et garde le trésor, accorde l’hospitalité, dirige les enfants et décide de la paix… et de la guerre.
Je ne peux approuver ce genre de phrase que je lis souvent « 1968 a fait disparaître l’autorité paternelle ». Pour la simple raison que cette autorité, le père n’en a jamais disposé.
La femme décide de la guerre ! ?
N’avez-vous jamais lu L’Iliade ? La femme décide de la guerre d’autant plus qu’elle en est souvent l’enjeu. Chez les lions de l’Atlas, les femelles se divertissent au spectacle des mâles qui s’entre-tuent pour les conquérir, luttes qu’elles ont elles même provoquées.
Lorsque ses fils ont grandi et qu’il leur faut une épouse, la guerre permet à la femme souveraine de leur fournir une compagne sans risque d’inceste ou de consanguinité.
C’est également la femme qui met fin à la guerre. Tite-Live a parfaitement décrit cet événement dramatique dans la guerre des Sabines.
« Alors, les mêmes Sabines, dont l’enlèvement avait allumé la guerre, surmontent, dans leur désespoir, la timidité naturelle à leur sexe, se jettent intrépidement, les cheveux épars et les vêtements en désordre, entre les deux armées et au travers d’une grêle de traits : elles arrêtent les hostilités, enchaînent la fureur, et s’adressant tantôt à leurs pères, tantôt à leurs époux, elles les conjurent de ne point se souiller du sang sacré pour eux, d’un beau-père ou d’un gendre, de ne point imprimer les stigmates du parricide au front des enfants qu’elles ont déjà conçus, de leurs fils à eux et de leurs petits-fils ».
Qu’appelez-vous souveraineté fractale ?
À Rome, les trois cents familles se réunirent : les potestas paternels constituèrent la potestas du roi puis des consuls. Les faisceaux portés par les licteurs en sont le symbole parlant : ils sont entourés des trois cents sceptres représentant la puissance paternelle. Ces faisceaux s’inclinent lorsque le peuple se tient dans ses comices.
Parallèlement, les prérogatives de l’autorité féminine furent transférées au Sénat. La femme donne des conseils, le Sénat aussi (et ceux-ci sont suivis comme des ordres). La femme accorde l’hospitalité à son foyer, le Sénat reçoit les ambassadeurs. La femme garde le feu ; le Sénat a la clef du trésor. La femme est la gardienne du temps, le Sénat fixe le calendrier liturgique etc.
La potestas paternelle diminue avec l’âge. L’auctoritas féminine augmente avec le nombre des enfants mâles.
Vous voyez que la souveraineté se partage entre (potestas) homme et auctoritas (femme) dans la famille comme dans la Cité. Elle reste aussi la même dans la Nation et dans l’Empire. Bref, elle est invariante par changement d’échelle. Ce qui est la définition de l’objet fractal.
Est-ce une synthèse entre Rousseau et Hobbes, entre les Anciens et les Modernes ?
Mais Hobbes est un moderne, comme Bodin et Maurras. Parmi les théoriciens du pouvoir absolu, il n’y a guère que Joseph de Maistre qui soit un Ancien.
La dialectique hégélienne fait merveille ici. Oui, la souveraineté est bien le fruit d’un contrat social mais d’un contrat entre familles et non entre célibataires sans enfants nés de parents inconnus. D’ailleurs qu’est-ce que la féodalité sinon la signature progressive, de proche en proche, d’un pacte social entre suzerain et vassal ? La Souveraineté existe par une loi de nature, elle se construit par l’Histoire et se conquiert par la Guerre.
Finalement la souveraineté est un de ces dualismes comme la Philosophie aime à s’en repaître : l’Un et le Multiple, la Grâce et la Liberté, le Bien et le Mal etc.
Quel est le rôle de Dieu dans la souveraineté ?
C’est Lui qui la fonde. Il la dépose dans sa créature où Il l’établit par une loi de nature, la répartissant entre Adam et Ève. Elle se retrouve dans les sociétés naturelles comme la famille, la Cité et dans les sociétés humaines comme la Nation et l’Empire.
Pour exercer le pouvoir, il faut donc être un dieu comme à Thèbes, parler avec les dieux comme à Rome ou être autorisé par Dieu comme à Reims.
EuroLibertés : toujours mieux vous ré-informer … GRÂCE À VOUS !
Ne financez pas le système ! Financez EuroLibertés !
EuroLibertés ré-informe parce qu’EuroLibertés est un média qui ne dépend ni du Système, ni des banques, ni des lobbies et qui est dégagé de tout politiquement correct.
Fort d’une audience grandissante avec 60 000 visiteurs uniques par mois, EuroLibertés est un acteur incontournable de dissection des politiques européennes menées dans les États européens membres ou non de l’Union européenne.
Ne bénéficiant d’aucune subvention, à la différence des médias du système, et intégralement animé par des bénévoles, EuroLibertés a néanmoins un coût qui englobe les frais de création et d’administration du site, les mailings de promotion et enfin les déplacements indispensables pour la réalisation d’interviews.
EuroLibertés est un organe de presse d’intérêt général. Chaque don ouvre droit à une déduction fiscale à hauteur de 66 %. À titre d’exemple, un don de 100 euros offre une déduction fiscale de 66 euros. Ainsi, votre don ne vous coûte en réalité que 34 euros.
Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.
Quatre solutions pour nous soutenir :
1 : Faire un don par virement bancaire
Titulaire du compte (Account Owner) : EURO LIBERTES
Domiciliation : CIC FOUESNANT
IBAN (International Bank Account Number) :
FR76 3004 7140 6700 0202 0390 185
BIC (Bank Identifier Code) : CMCIFRPP
2 : Faire un don par paypal (paiement sécurisé SSL)
Sur le site EuroLibertés (www.eurolibertes.com), en cliquant, vous serez alors redirigé vers le site de paiement en ligne PayPal. Transaction 100 % sécurisée.
3 : Faire un don par chèque bancaire à l’ordre d’EuroLibertés
à retourner à : EuroLibertés
BP 400 35 – 94271 Le Kremlin-Bicêtre cedex – France
4 : Faire un don par carte bancaire
Pour cela, téléphonez à Marie-France Marceau au 06 77 60 24 99