CRISPR Cas 9 : un enjeu européen
Tripler l’intelligence (le monde en aurait besoin), allonger la durée de vie, corriger les pathologies congénitales ou dégénératives : un fantastique outil fait depuis deux ans le buzz chez les chercheurs. C’est CRISPR Cas 9, extraordinaire découverte réalisée par les brillantissimes Emmanuelle Charpentier, française en poste à l’université suédoise d’Umeå et Jennifer Doudna biologiste à Berkeley. Cette technologie révolutionnaire est sur le point d’être dérégulée par Bruxelles, ce qui fait hurler les écolos intégristes.
Comment modifier une race, une espèce ou un individu ? Ambition aussi vieille que l’humanité. Méthode organique : les croisements sexuels entre races, voire espèces différentes, pour aboutir à des hybrides. Le mulet en est un bon exemple. L’idée est toujours la même : améliorer une lignée en éliminant les tares, et en dopant les qualités. Appliquée aux populations, c’est l’eugénisme, développé largement aux USA et en Europe, avec les nazis ou les danois aidés de la fondation Rockfeller. La seconde étape descend à l’échelon des chromosomes, par exemple en faisant varier leur nombre. Ainsi, il y a belle lurette que l’on consomme des bananes (vous êtes-vous jamais posé la question des pépins ?), des pommes ou même des huîtres ainsi modifiées. Ces chromosomes, l’extravagant Lyssenko encouragé par Staline avait même essayé de les politiser en leur imposant le matérialisme dialectique. Succès très moyen. Le progrès aidant, c’est aujourd’hui à l’échelon moléculaire, donc directement sur les gènes, unités de base de l’hérédité, que se concentrent les possibilités de modifier la Nature. Analyser le génome de chaque espèce vivante est acquis. Bidouiller ces génomes, pour en modifier les caractéristiques est l’autre enjeu.
Jusqu’à CRISPR, c’était extrêmement compliqué ! Il fallait fabriquer des bouts de protéines sur mesure pour chaque gène ciblé. CRISPR Cas 9, ce sont des séquences d’ADN répétitives qui peuvent repérer les gènes, mais sans l’obligation de construire préalablement ces fameux fragments de protéines, tellement complexes et couteux.
« La mise au point d’un CRISPR Cas 9 pour cibler un gène particulier prend une à deux semaines contre un à deux mois avec les anciennes méthodes », explique Tuan Huy Nguyen, chercheur Inserm au Centre de recherche en transplantation et immunologie (CRTI) de Nantes. Et en dix fois moins coûteuse.
La technique, d’une simplicité désarmante, permet à peu près tous les bricolages imaginables, histoire de voir ce que ça donne. Lutter contre les bactéries résistantes aux antibiotiques, ou augmenter la résistance des plantes. Mais la découverte va bien au-delà. CRISPR Cas 9 permet la modification génétique d’à peu près tout : microbes, plantes ou animaux.
En 2014, l’équipe de Jiahao Sha, de l’université médicale de Nanjing, en Chine, a permis de corriger des maladies génétiques in vivo sur des souris.
Modifier un génome au stade monocellulaire de l’œuf est une chose, le rediffuser sur un organisme complet est le problème sur lequel butent les thérapies géniques. CRISPR semble là encore apporter une ouverture : une équipe de l’Institut de technologie du Massachussets, l’a utilisé sur la souris pour corriger une maladie génétique incurable du foie. Trente jours plus tard, ces cellules redevenues saines ont commencé à proliférer et à remplacer les cellules malades. Les perspectives sont donc immenses. Exemple : X, individu fortuné, prévoit pour sa vieillesse de disposer d’une banque d’organes. Première étape : X se fait cloner. Mais le clone aura l’âge cellulaire de son modèle. Mais CRISPR pourra l’améliorer au stade embryonnaire en corrigeant d’éventuels défauts génétiques et en rétablissant, voire en allongeant ses télomères, l’horloge du vieillissement. Et peut-être même agir directement sur X ! On peut aussi imaginer des organismes complets inventés de toutes pièces.
La Suède a déjà conclu que CRISPR-Cas9 ne produit pas d’OGM. Pour Stefan Jansson, du centre des sciences végétales d’Umeå, CRISPR Cas 9 permet de créer une plante parfaitement identique à une plante naturelle. Dès lors, comment imaginer que l’une soit naturelle, l’autre OGM ?
Les écolos intégristes éructent : ainsi, Frédéric Jacquemart, ancien président d’inf’ OGM qui voit la mise sur le marché d’un kit de bombe génétique.
« Je comprends que la créatrice de cette technologie en fasse des cauchemars. À sa place, je n’aurai pas publié des choses pareilles. En tant qu’ancien chercheur en biologie, si j’avais découvert une chose de la sorte, nul doute que je j’aurai tout brûlé ! avec CRISPR Cas 9, c’est préparer le chaos. »
Le risque de faciliter le bioterrorisme est une réalité. Mais si on a la possibilité de guérir les maladies génétiques, faut-il s’en priver ? Reste que si les sociétés occidentales ne se sont guère émues de l’eugénisme ou du communisme qui politisait l’hérédité, les perspectives sont telles désormais qu’elles ne pourront pas faire l’économie d’un débat éthique : quelles limites se donner, pour qui, et pourquoi ? Faut-il corriger la nature, qui n’est pas si sympa, finalement, ou la mythifier ? Nul doute que les Religions, s’invitent aussi à ces questions.