Je casse donc j’existe : la démocratie à l’épreuve des casseurs
Une corrélation semble inquiétante : de moins en moins d’inscrits sur les listes électorales, de plus en plus de protestataires dans les rues. Faut-il y voir une relation de cause à effet ?
Lorsque je participais aux opérations de politique de la ville à Lyon, dans les cités périphériques, nous avions tenté avec une association d’éducation populaire bien implantée, de faire un peu de marketing citoyen en allant y démarcher les jeunes. L’objectif : les inciter à s’inscrire sur les listes électorales pour les responsabiliser.
Avant 1997, l’inscription n’était pas automatique et obligeait une démarche. Le hic, c’est que cette noble intention était bien davantage notre projet que le leur.
Face à notre idéalisme, ils nous opposaient, goguenards, une lucidité cynique : « Vu notre origine, nous avons rien à attendre des politiques, sinon recevoir du fric lorsqu’on leur met la pression. On brûle des voitures, on casse le gymnase, les sociologues débarquent, et à défaut d’avoir du boulot, on peut jouer au foot avec les flics la journée, se battre avec eux la nuit, et avoir un peu de thunes pour faire du sport, du hip hop et partir en vacances gratos. Que demander de plus ? Alors, hein ! le vote, la citoyenneté, tout ça, nous, on n’est pas contre, mais notre méthode est beaucoup plus efficace. »
Et d’autant plus intéressante que les auteurs ne risquent pas grand-chose, car les délits sont faiblement sanctionnés. Le souci de retour à la paix sociale aboutit souvent à leur classement ou à des peines de principe.
Quant aux poursuites civiles, les fauteurs de troubles sont insolvables et les assurances ou le fonds d’aide aux victimes payent. D’où l’intérêt d’une méthode de revendication qui semble aujourd’hui partagée de plus en plus.
Grâce aux Gilets Jaunes, le gouvernement a dû s’intéresser un peu plus aux gens modestes et c’est bien ce mouvement qui, en forçant l’écoute, a obtenu que ce qui était impossible la veille le devienne soudain le lendemain.
Si l’on se penche sur les statistiques INSEE de l’abstention, elles sont préoccupantes…
Élections européennes : 40 % en 1974, puis augmentation régulière jusqu’à 58 % en 2014.
Élections présidentielles au premier tour : 15 % en 1965, là encore croissance régulière jusqu’à 22 % en 2017 avec un pic à 28 % en 2002.
Élections législatives : 23 % en 1958 au premier tour, 51 % en 2017 !
Corrélativement les violences urbaines semblent bien avoir augmenté, encore conviendrait-il de définir précisément ce que l’on met sous ce terme.
Une chose est sûre, elles n’ont pas diminué. Pourtant leur prévention s’est traduite outre les rodomontades, par beaucoup d’argent, de moyens et de plans divers.
Alors, et même si par l’extrémisme des gilets jaunes nous en avons tous profité, il conviendrait de s’interroger sur une question débilitante : ne serait-ce ce pas au contraire, la certitude de cette manne d’apaisement qui inciterait de plus en plus de citoyens à se laisser séduire par ces formes de contestation plutôt que par leur carte d’électeurs ?
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