Si le nationalisme a suivi aux Pays-Bas, au fil du temps, la même voie que dans les autres pays d’Europe, un phénomène politique nouveau, qui a modifié fondamentalement la donne, est apparu en 2002 : le fortunisme, du nom de l’écrivain et intellectuel Pim Fortuyn.
Celui-ci a mis en avant le fait que l’islam est désormais un totalitarisme qui menace la société néerlandaise, sa liberté et ses mœurs très libres. Il a estimé, en conséquence, qu’un rempart visant à protéger les Pays-Bas face à l’islamisation doit être érigé. De nos jours, le PVV de Geert Wilders, mais aussi certains partis locaux tels Leefbaar Rotterdam, Forza ! ou la Liste Pim Fortuyn Eindhoven, portent l’héritage des idées de Pim Fortuyn, assassiné par un activiste écologiste radical en 2002.
Si le fortunisme peut être considéré comme une forme nouvelle du nationalisme en rupture avec l’ancienne, ce phénomène a trouvé au départ son origine dans une émanation populiste [nous adhérons ici au sens du terme populiste qui signifie « une révolte du peuple contre les élites visant à enlever le pouvoir à celles-ci et à le rendre à la population », et pas au phénomène récent visant à étiqueter « populistes » des partis patriotiques ou nationalistes afin de tenter de les discréditer].
Selon l’écrivain Henk te Velde(1), les Pays-Bas ne connaissent pas de tradition populiste, mais trois vagues de ce phénomène ont cependant eu lieu au cours de l’histoire du pays : entre 1780 et 1800, entre 1870 et 1940 et à la fin des années 1990 avec les mouvements Leefbaar. Le fortunisme est issu de ces derniers, avant d’en avoir été éjecté.
Hilversum
Le mécontentement au sein des communes à propos de la politique conduite par les partis politiques établis au niveau national atteint un point d’ébullition en 1993 à Hilversum, principalement à cause de la mauvaise gestion financière et de la problématique de la circulation automobile dans la ville.
Un ancien membre du Comité directeur du Parti travailliste (PvdA) et un journaliste fondent ensemble un parti local afin de résoudre les problèmes locaux : Leefbaar Hilversum (Hilversum vivante). L’objectif proclamé est de « rendre Hilversum à ses habitants, afin de rendre Hilversum vivante. »
Le parti, qui cherche avant tout à mobiliser les citoyens mécontents – surtout les abstentionnistes –, obtient 20 % et devient le premier parti de la ville.
Leefbaar Oegstgeest
Les élections municipales de 1994 au sein du village d’Oegstgeest, situé dans la province de Hollande du Sud, voient un parti Leefbaar être érigé et capter les votes des citoyens mécontents en récoltant 42 % des voix, en s’appuyant sur des slogans tels que « Il en va de votre village ! »
Les Néerlandais sont mécontents
1994 est une année importante aux Pays-Bas pour les partis locaux. 23 % des électeurs votent cette année-là, lors des élections municipales, pour un des 650 partis locaux, soit 8 % de plus que quatre ans plus tôt. Ce ne sont plus seulement des partis de village ou des « Leefbaar » qui rencontrent du succès et s’assurent des postes de conseillers municipaux, mais également des groupements politiques axés sur un seul sujet, comme le parti des étudiants et celui des personnes âgées.
Le sentiment que les partis nationaux ne font pas assez pour résoudre les problèmes locaux remue l’ensemble du pays. En quelques années, bien d’autres villages et villes érigent un parti Leefbaar. Le nom et la lutte contre les élites politiques sont les seuls points communs entre ces différents « Leefbaar » qui visent avant tout à résoudre des problèmes locaux.
Leefbaar Utrecht
En 1997, un Leefbaar voit le jour dans une grande ville : Utrecht. Leefbaar Utrecht naît de la résistance contre la politique des partis en place, qui refusent d’écouter les citoyens, et prône le fait que les dirigeants politiques suivent l’avis des citoyens. En 1998, Leefbaar Utrecht obtient 9 sièges et en 2000 devient le premier parti d’Utrecht avec 14 sièges.
Leefbaar Nederland
Les fondateurs de Leefbaar Hilversum et Leefbaar Utrecht franchissent le pas et fondent Leefbaar Nederland (Pays-Bas vivants), qui désire s’engager au niveau national en faveur des citoyens mécontents et non-écoutés qui veulent plus de pouvoir de décision pour la population sous la forme du référendum d’initiative populaire et s’opposent aux vieux partis. Le 25 novembre 2001, Pim Fortuyn est désigné tête de liste pour les élections législatives.
Pim Fortuyn et Leefbaar Rotterdam
Cependant, le 10 février 2002, Pim Fortuyn est expulsé de Leefbaar Nederland en raison de ses déclarations lors d’une interview accordée au quotidien néerlandais Volkskrant, au cours de laquelle il dit que l’article 1 de la Constitution fixant l’égalité des citoyens devant la loi et la non-discrimination doit être abrogé à partir du moment où il entre en conflit avec la liberté d’expression, que l’islam est une culture arriérée et que les Pays-Bas sont pleins.
Pim Fortuyn fonde le 14 février 2002 la Lijst Pim Fortuyn (Liste Pim Fortuyn), mais reste, par contre, tête de liste de Leefbaar Rotterdam – né fin 2001 – lors des municipales.
Élus
Le 6 mars 2002, Leefbaar obtient des sièges de conseiller municipal dans 44 communes et est le premier parti au sein de 12 d’entre elles. Leefbaar Rotterdam (Rotterdam vivante), qui a fait sécession de Leefbaar Nederland, obtient 85 000 voix et 34,7 % à Rotterdam et dispose de 17 des 45 sièges au sein du Conseil municipal. Le succès électoral enregistré par Leefbaar Rotterdam lui permet de participer à la gestion de la cité : le parti obtient trois postes sur sept au sein de l’exécutif.
Pim Fortuyn est victime d’un assassinat politique quelques jours avant les élections législatives du 15 mai 2002. Leefbaar Nederland décroche deux sièges de député lors de ce scrutin et les perd un an plus tard. Privée de son dirigeant, la Lijst Pim Fortuyn (Liste Pim Fortuyn) décroche 26 sièges en 2002, qui se réduisent à 8 sièges lors des législatives de 2003.
Survivances
De nos jours, des « Leefbaar » survivent au niveau local au sein de diverses municipalités telles qu’Oegstgeest, Alkmaar et Apeldoorn, mais disposent de moins d’élus que lors de leur percée électorale. L’exception est Leefbaar Rotterdam, qui dispose de 14 sièges sur 45 au sein du Conseil municipal de cette grande ville portuaire et participe à la gestion de la cité en disposant de trois sièges sur six au sein de l’exécutif. Leefbaar Rotterdam ne doit pas être considéré comme un parti populiste à l’instar des autres Leefbaar, mais comme un parti fortuniste.
Note
(1) VELDE (te) Kenk, Van regentenmentaliteit tot populisme. Politieke tradities in Nederland, Éditions Bert Bakker, Amsterdam, 2010, p. 245.
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Philippe Randa,
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Écrivain et journaliste belge francophone (http://lionelbaland.hautetfort.com). Il parle le néerlandais (flamand), l’allemand et l’anglais. Il a travaillé dans les parties francophone, néerlandophone et germanophone de la Belgique, ainsi qu’aux Pays-Bas, et a vécu en Allemagne. Il est l’auteur de cinq livres : Léon Degrelle et la presse rexiste, Déterna, Paris, 2009 ; Jörg Haider, le phénix. Histoire de la famille politique libérale et nationale en Autriche, Éditions des Cimes, Paris, 2012 ; Xavier de Grunne. De Rex à la Résistance, Godefroy de Bouillon, Paris, 2017 ; Pierre Nothomb, collection Qui suis-je ?, Pardès, Paris, 2019 ; La Légion nationale belge. De l’Ordre nouveau à la Résistance, collection Le devoir de mémoire, Ars Magna, Nantes, 2022.