31 décembre 2021

La Nouvelle-Calédonie, pour la troisième fois, a dit « non » à l’indépendance !

Par Jean-Claude Rolinat

Dans un décor de bout du monde, la route en latérite meurtrie d’ornières, déroulait son lacet rouge à flanc de montagne. À chaque tournant, je m’attendais à croiser le camion chargé de dynamite det de Charles Vanel sorti du film Le salaire de la peur… Tantôt, j’apercevais les eaux rougeâtres de la rivière aux pirogues ou, plus loin, l’océan Pacifique qui barrait l’horizon d’un trait bleuté à peine esquissé. Place des Cocotiers à Nouméa, avec son kiosque à musique au toit rouge, des Canaques « bullaient » sur la pelouse. Du côté de Dumbéa où se dresse le monument à la mémoire des gendarmes tués à Ouvéa, des vaches à la robe normande vagabondaient sous des… cocotiers !

Une carte postale française !

Images de carte postale qui s’inscrivent à jamais dans ma mémoire. Aujourd’hui point de nostalgie, la Nouvelle-Calédonie a, pour la troisième fois après les référendums de 2018 et 2020, exprimé son désir de rester française, n’en déplaise au FLNKS, la coalition indépendantiste. Ces derniers ont lancé un mot d’ordre de boycott de cette consultation et, à voir le nombre des abstentionnistes, un électeur sur deux, ils semblent bien avoir été suivis assez majoritairement.

Que craignaient-ils ? Qu’une fois de plus, le « non » à l’indépendance ne l’emporte ? Veulent-ils, comme ce fut le cas en Irlande pour un tout autre sujet, que l’on vote et revote jusqu’à obtenir satisfaction, jusqu’à ce que la démographie leur accorde un « oui » sur un plateau, grâce à la loi du nombre ? Dans combien d’années en effet, – peu ! – les Mélanésiens seront-ils plus nombreux que les « Caldoches » de souche européenne ? D’autant plus qu’un grand nombre de ces derniers – nouveaux résidents venus de métropole – sont écartés du suffrage en raison, justement, de leur faible nombre d’années de résidence ? Les Caldoches, mais pas que, n’ont pas voulu de cette indépendance « empoisonnée » en exprimant à près de 96 % des suffrages exprimés leur refus de l’aventure, leur refus d’une soumission aux Australiens ou aux Chinois qui lorgnent le nickel.

Un paysage politique éclaté

Politiquement, l’île est divisée – c’est le moins que l’on puisse dire ! – entre une coalition séparatiste qui dirige l’actuel gouvernement collégial local, et une autre dite « loyaliste », qui s’oppose au divorce d’avec la France. Or, dans le Pacifique, qu’observe-t-on ? Une marée de petits États ne survit que grâce à leurs protecteurs, australiens, néo-zélandais, taïwanais – en échange pour ces derniers, d’un soutien diplomatique – et chinois. Pékin, ce n’est un secret pour personne, lorgne depuis longtemps sur le nickel indispensable pour fabriquer des batteries électriques, cette ressource dont la Nouvelle-Calédonie détient un quart des réserves mondiales. C’est dire pour la France, tout l’intérêt que représente la possession de cet archipel, sans oublier sa situation géographique. Si la province du sud est favorable ultra-majoritairement pour rester française, celles du nord et des îles y sont hostiles, en dépit des avantages matériels que procure la présence de la France en termes d’infrastructures, notamment de moyens hospitaliers. Inutile de récapituler les épisodes sanglants qui ont émaillé l’histoire du « caillou » ces quarante dernières années – la tragique aventure des Tjibaou et autre Machoro, les événements de la grotte d’Ouvéa, avec la mort de Canaques et de militaires – pour frissonner face à l’avenir. Car nous sommes en présence de deux volontés apparemment irréconciliables : les uns veulent l’indépendance, avec un siège à l’ONU, les autres une autonomie locale sous l’aile protectrice et bienveillante de la mère patrie. Globalement, les « blancs », population issue des descendants de bagnards et de colons venus au fur et à mesure du développement, agricole notamment – les cow-boys français sont ici ! – sont pour demeurer français.

Ils ne sont pas seuls, avec une grosse partie des exilés Wallisiens et autres Polynésiens, sans oublier une minorité de Canaques qui savent bien que seule la France est capable d’assurer l’ordre et le développement. Le front canaque divisé – comme l’est cette communauté aux presque 18 idiomes – entre l’Union calédonienne, le Parti de la libération kanak (PALIKA), le Parti socialiste kanak (PSK), l’Union du peuple mélanésien (UPM) et le Rassemblement démocratique (RDO) est, à l’heure actuelle, majoritaire d’un siège dans l’exécutif local. Sur quoi peuvent déboucher des négociations ? Le FLNKS a-t-il refusé de participer au troisième référendum prévu par les accords de Nouméa, par peur de le perdre, une fois encore ? Cette théorique troisième et dernière consultation prévue lors des accords de Matignon (1988) et de Nouméa (1998), est-ce vraiment le grand saut avant un statut définitif ?

Peut-on faire confiance à Macron ?

Le 12 novembre vers 13 heures, Emmanuel Macron – adepte du fameux « en même temps » – a prononcé une allocution que nous aurions pu écrire, reconnaissant les « liens charnels et humains » liant ces îles à la métropole, se satisfaisant du « respect pour la parole donnée à l’accord de Nouméa », et se disant « fier de ce cheminement inédit et pacificateur ». Mais la France « officielle » qui pilotera forcément de nouvelles négociations, ira-t-elle dans le sens des séparatistes ou dans celui des loyalistes ?

Et d’ailleurs, compte tenu de l’élection présidentielle, le président de la République en exercice sera-t-il toujours le même après les échéances d’avril et mai prochains ? La volonté du « bien vivre ensemble », exprimée par des gens raisonnables comme Georges Naturel maire de Nouméa, ou Virginie Ruffenach la blonde leader de « La voix du Non », se heurtera-t-elle à celle de Louis Mapou, le président indépendantiste du gouvernement local depuis février 2021, que l’on décrit comme « un vieux sage », certains sans doute trop lyriques, en faisant même un « Mandela local » ?

Quel statut pour mettre tout le monde d’accord ?

Il faut dire que la porte d’une solution équitable est étroite. L’indépendance ? Ecartée, du moins pour le moment. Une partition ? Le regretté et talentueux écrivain ADG, auteur notamment du roman Le grand Sud (1), qui avait vécu là-bas de nombreuses années, avait évoqué la partition. En effet, sur le papier, les volontés loyalistes et séparatistes recoupent à peu près les votes des provinces nord et sud, ces dernières se partageant territorialement, équitablement l’île principale. Mais, économiquement, cette situation n’aurait aucun sens, le nickel échappant au sud, et le chef-lieu de cette dernière province, Nouméa, étant la tête hypertrophiée – politique, administrative, commerciale, portuaire, hospitalière, culturelle – de toute l’île.

Alors, il faudra mettre sur la table des négociateurs, des projets de compromis entre les uns et les autres, essentiellement des solutions alternatives à l’indépendance totale. La moins mauvaise à notre sens, étant d’élargir encore les compétences du gouvernement local, sans aller jusqu’au statut d’« État associé » que connaissent par exemple, les îles Cook et Niue par rapport à la Nouvelle-Zélande.

Alors, une formule approchant celle que connaît la Polynésie française, « un pays » devenu une région autonome avec son président qui peut, dans certains cas, discuter directement avec ses voisins de questions intéressant toutes les parties sans passer par Paris ? La solution la plus française aura notre agrément.

Disons-le et redisons-le, du festin colonial français, ne restent que des miettes. Mais ces « miettes » – Antilles, Antarctique, Pacifique – nous assurent le deuxième domaine maritime mondial. Si la France veut rester une puissance moyenne de taille raisonnable et respectable, il nous faut, à tout prix, conserver ces domaines et protéger leurs populations.

Note

(1) Éditions Jean-Claude Lattès, 1987.

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