De l’hypocrisie et de la misogynie républicaines
La récente élection de Richard Ferrand comme président de l’Assemblée nationale a inspiré divers commentaires politiques sur lesquels je ne désire pas m’attarder, tant ils reflètent la banalité de leurs auteurs. Cependant, elle a motivé la rédaction de cet article. Effectivement, cette nomination officielle (1) permet de pointer deux failles intrinsèques du gouvernement républicain : l’hypocrisie et la misogynie.
L’image que renvoie Ferrand semble être celle d’un homme triste, à l’image d’une rose fanée mise rapidement dans un pot de fleurs et aussitôt jetée à la poubelle car n’offrant plus les charmes pour lesquels on se l’était attaché. Pour rappel, le natif de Rodez abandonna promptement ses rêves de grandeur, lui qui occupa de manière éphémère le rôle de ministre de la Cohésion des territoires, en raison de la révélation de l’affaire des Mutuelles de Bretagne (2).
Le président de la République ne pouvait s’encombrer d’un proche soupçonné, voire plus, de montages financiers douteux… Emmanuel Macron, son chef, son mentor et ami le poussa donc vers la sortie, tel un joueur de cartes se débarrassant d’une figure trop faible dans son jeu. La jurisprudence Cahuzac (3) dut peser dans le choix de Jupiter. Ce dernier ne pouvait raisonnablement pas installer Ferrand en porte-drapeau d’une république irréprochable dans un monde en Marche. Cependant, l’affaire qui avait été classée sans suite vient d’être relancée par une plainte de l’association Anticor.
Elle se trouve actuellement en instance au tribunal de Lille. Cette menace constante n’a donc pas empêché le Président de soutenir ardemment la candidature d’un fidèle de la première heure. Celles et ceux qui attendaient un vrai changement concernant le choix d’un personnel politique irréprochable resteront béats et drapés dans une naïveté digne de Candide.
L’heureux élu, une fois sa nomination actée, a fanfaronné : « Vous me pardonnerez de ne pas être une dame ».
Cette déclaration sonne comme une défaite pour les promoteurs de l’égalitarisme qui se présente en réalité comme un nivellement par le bas. Ces niveleurs croyaient dur comme fer à l’avènement d’une femme présidente de la chambre basse.
Deux jours avant l’élection, la principale concurrente de Ferrand, Barbara Pompili avait clamé qu’elle incarnait « un message d’audace, de renversement des codes, un message appelant à casser le plafond de verre pour les femmes ».
À ce jour, nous pouvons dire qu’il ne volera pas en éclats de sitôt.
La présidence de l’Assemblée Nationale, nonobstant les propos de certains, se révèle importante dans notre système politique actuel. Celui qui l’occupe n’est autre que le quatrième personnage de l’État, après le Président, le Premier ministre et le président du Sénat. Ainsi donc, beaucoup espéraient voir une représentante de la gent féminine succéder à Rugy, car il fallait une femme.
En fin de compte, il ne s’agissait pas de désigner une personne en vertu de ses qualités. Non, il convenait d’envoyer un signal fort à la société en mettant une femme, là où il n’y avait jamais eu que des hommes… Il s’agit d’un truisme qui montre la faiblesse abyssale de ceux qui tiennent et promeuvent ce genre de raisonnement. Quant à nous, nous préférons juger une personne sur ses réelles compétences plutôt que de prendre en considération son sexe, sa couleur de peau, ses origines voire sa religion.
Une nouvelle fois, dans la pure et antique tradition républicaine un homme est promu au perchoir. Les détracteurs dénoncent, encore et toujours, la surreprésentation des hommes au sommet de l’État, malgré les promesses d’Emmanuel Macron au cours de sa campagne. Comme dit si bien l’adage populaire : « Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent ».
Sans compter Ferrand, sur treize personnes (en seize mandatures), il n’y a eu que des hommes depuis 1958 à la tête de l’Assemblée nationale. De plus, en remontant le cours de l’histoire nous ne trouvons aucune femme qui ait officié en tant que présidente de la soi-disant représentation nationale. Il s’agit d’un phénomène surprenant, parce que l’actuel président de la République et ses prédécesseurs ont longtemps promu la féminisation des postes les plus importants de l’État : « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ».
Cette misogynie institutionnelle, masquée par l’avalanche de bons sentiments et sous couvert de l’idéologie des Droits de l’Homme, est en réalité une marque de fabrique. En effet, depuis l’établissement de la Première République nous constatons les données suivantes :
Aucune femme n’a occupé la première place de l’État.
À ce jour, une seule femme fut Premier ministre (4).
Aucune femme ne présida le Sénat.
Aucune femme ne dirigea l’Assemblée nationale.
Cet état de fait est tristement révélateur des fondamentaux républicains. Que penser d’un mode de gouvernement qui depuis son avènement crie et proclame l’égalité en droit et en devoir de chaque citoyen, par la force législative, tout en excluant les femmes des postes les plus importants ? Pas grand-chose…
Alors que les femmes disposaient du droit de vote aux Temps féodaux (5), et d’une manière générale rappelons que les peuples de France votaient plus sous les rois que sous les présidents, il a fallu attendre 1944 pour qu’elles recouvrent un droit enlevé par la Révolution et le Code civil. Ironie de l’histoire, le droit de vote des femmes est mentionné dans l’article 21 du projet de constitution du 30 janvier 1944 du maréchal Pétain, tant honni par ceux-là mêmes qui le mirent au pouvoir.
Le 21 avril 1944, le droit de vote est enfin, non pas accordé, mais à nouveau permis aux femmes en France par une ordonnance du Comité français de la Libération nationale, signée par Charles de Gaulle depuis Alger. Le droit de vote des femmes est confirmé par l’ordonnance du 5 octobre sous le Gouvernement provisoire de la République française, mais il n’entrera en vigueur que le 29 avril 1945 pour les élections municipales, puis en octobre pour les élections à l’Assemblée constituante…
Comme le disait Saint Thomas d’Aquin, « la cohérence est le moteur de la vérité ». Qu’y a-t-il de plus incohérent, et donc éloigné de la vérité, qu’un système qui promeut dans ses textes et par la voix de ses hommes forts, l’égalité ou plus exactement l’égalitarisme entre tous les individus, tout en laissant les femmes de côté voire en les reléguant comme des citoyens de troisième zone (6) ?
La royauté capétienne n’a jamais prétendu à l’égalitarisme et heureusement, pas plus qu’elle n’a fait commerce de l’égalité. Ce serait mentir que de défendre cette idée. Hugues Capet, Philippe Auguste, Saint Louis et Louis XIV ne peuvent être considérés comme des précurseurs de Rousseau, Saint Just, Marat et Robespierre. Cependant dans sa sagesse, la monarchie a très souvent reconnu les talents des femmes et des hommes, sujets du roi de France ou non (7), qui désiraient se mettre à son service. De fait, il n’est donc guère étonnant que plusieurs femmes se soient retrouvées à la tête de l’État monarchique. Nous citons les régentes du royaume :
Blanche de Castille (8 novembre 1226 au 25 avril 1235)
Anne de France, dite Anne de Beaujeu (30 août 1483 au 27 juin 1491)
Louise de Savoie (15 juillet 1515 au 18 février 1516)
Catherine de Médicis (5 décembre 1560 au 17 août 1563)
Marie de Médicis (14 mai 1610 au 2 octobre 1614)
Anne d’Autriche (18 mai 1643 au 7 septembre 1651)
Marie-Thérèse d’Autriche (12 juin 1672 au 13 août 1672)
Nous pouvons également rappeler que les deux impératrices Marie-Louise et Eugénie de Montijo devinrent régentes quand leurs maris partirent à la guerre. Précisons également que cette courte liste ne prend pas en compte, les reines et les princesses qui exercèrent une réelle influence sur leur mari, frère ou enfant sans avoir eu de titre officiel. Que les républicains ne l’oublient pas, derrière chaque grand homme il y a très souvent une femme…
Notes
(1) Il ne s’agit pas d’un ordre direct du Palais Présidentiel, mais nul ne doute que le chef de l’État a fortement conseillé aux siens de choisir le candidat que lui-même avait…. choisi. De fait, les élus LRM ont dû souverainement abandonner leurs principes démocratiques auxquels ils disent être tant attachés.
(2) Les Mutuelles de Bretagne font l’objet de révélations du Canard enchaîné du 24 mai 2017 au sujet de leur directeur général pendant deux décennies (de 1993 à 2012), Richard Ferrand, devenu député en 2012 puis ministre en 2017, au sujet d’un appartement acheté puis loué.
(3) Sous la présidence de François Hollande, Cahuzac exerce la fonction de ministre délégué chargé du Budget auprès du ministre de l’Économie et des Finances, au sein des gouvernements Ayrault I et II, du 16 mai 2012 au 19 mars 2013. À cette date, il démissionne après des accusations de fraude fiscale. Il est ensuite exclu du PS et renonce à retrouver son mandat de député. En mai 2018, en appel, il est condamné pour « fraude fiscale » et « blanchiment de fraude fiscale » à deux ans de prison ferme et deux ans avec sursis, cinq ans d’inéligibilité et 300 000 euros d’amende.
(4) Édith Cresson fut chef de gouvernement sous François Mitterrand du 15 mai 1991 au 2 avril 1992.
(5) Le Moyen Âge, une imposture de Jacques Heers ; La femme aux temps des cathédrales de Régine Pernoud.
(6) Contrairement au principe révolutionnaire de l’égalité des individus, le Code civil maintient les femmes célibataires et les épouses dans une condition juridique inférieure à celle des hommes. Par exemple, la femme non mariée, même majeure, ne peut faire partie du conseil de famille et exercer la tutelle sur d’autres membres en difficulté de la famille. La femme ne peut être témoin dans les actes d’État civil ni dans les actes privés. La femme mariée est placée sous l’entière dépendance de son époux. Elle doit obéissance à son mari (article 213), c’est le mari qui fixe le lieu du domicile conjugal, même à l’étranger. La mère n’a pas d’autorité parentale sur ses enfants et c’est le père qui est seul responsable de l’éducation des enfants. L’époux gère les biens de sa femme et dispose à sa guise des biens communs acquis pendant le mariage. Pour comparaître en justice, vendre, donner ou hypothéquer ses biens personnels, l’épouse doit demander à chaque fois l’autorisation à son mari. En cas d’adultère de la femme, l’époux peut faire enfermer son épouse dans une maison de correction pour une durée de 3 mois à deux ans. Si l’époux tue l’amant de sa femme dans le domicile conjugal, il est excusable. Par contre l’homme n’est reconnu adultère que s’il introduit sa maîtresse sous le toit conjugal et il n’est passible que d’une amende de 100 à 2000 francs. La femme qui tue son mari adultère ou la maîtresse de celui-ci n’a pas d’excuse. Curieuse conception de l’égalité…
7) Nous pensons, entre autres, à Giulio Raimondo Mazzarino plus connu sous le nom de Jules Mazarin qui fut un diplomate et homme politique, d’abord au service de la Papauté, puis des rois de France Louis XIII et Louis XIV. Il succéda à Richelieu en tant que principal ministre d’État de 1643 à 1661.
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