La présence basque en Amérique française
Après la cause irlandaise, la lutte basque est probablement la plus connue des luttes indépendantistes européennes. Les attentats ayant toujours été plus vendeurs que les élections régionales, les Québécois sont abreuvés depuis des années d’articles concernant les frappes de l’ETA, le principal groupe armé du Pays basque, une région chevauchant la France et l’Espagne. Par contre, depuis que les plastiquages et autres gestes d’éclat ont cessé, la cause basque est tombée dans l’oubli.
Ce que peu de gens savent, c’est que les Basques ont une histoire riche au Québec et que ce peuple si différent des autres Européens a laissé une empreinte indélébile sur les rivages du Canada français.
Dès le début du XVIe siècle, les pêcheurs basques traverseront l’Atlantique pour aller pêcher la morue au large du Labrador et dans l’estuaire du Saint-Laurent. Ils précèdent Champlain et même Cartier, mais ne font que suivre les traces des marins bretons et normands. S’ils semblent venir originellement pour la morue qu’ils font sécher avant de retourner en Europe, les marins basques découvrent également une grande quantité de baleines noires et boréales.
Cet animal, traqué par les Basques sur leurs côtes, s’y fait plus rare et la chasse ne suffit plus à la demande. Il faut savoir que la viande de baleine est prisée, car elle est associée au poisson et est donc consommée durant le carême. Les fanons sont quant à eux utilisés pour fabriquer divers objets comme des arcs, des casques, des boucles, etc. L’huile sert pour sa part à la lubrification et à l’éclairage, mais également à la fabrication de savon.
Dès 1540, des expéditions spécifiquement organisées pour la chasse à la baleine se mettent en place. Les marins traversent l’océan, s’installent sur la rive, y construisent des fours et un camp dans lequel ils passeront l’été et ensuite, ils lancent leur baleiniers de la rive pour traquer et tuer au harpon les immenses mammifères marins, une pêche des plus dangereuses et meurtrières. Cette activité prend son essor et chaque année, ce sont des milliers de Basques qui traverseront pour s’adonner à cette activité lucrative. Peuple pieux, des prêtres traverseront avec les baleiniers. Pratiquée intensivement jusque dans la décennie 1580, elle aura un impact majeur sur la population de baleines qui déclinera dramatiquement. Il y aura donc une baisse de la chasse à la baleine, qui reprit un peu au XVIIIe siècle.
Les plus importantes bases de baleiniers seront installées à l’Île aux Basques face à Trois-Pistoles et sur la côte du Labrador. C’est d’ailleurs près de Red Bay au Labrador qu’une épave d’un galion basque, le San Juan, sera découverte en 1982.
À ce jour, trois galions ainsi que plusieurs embarcations ont été trouvés le long de la côte. Il y aura également des bases établies sur la Côte-Nord où ils marqueront la toponymie locale par des noms comme Mingan.
S’ils quittent le pays au début de l’automne, il est arrivé que certains doivent rester au Canada, car la chasse avait été trop bonne et la cargaison prenait trop de place. Contre un dédommagement substantiel, certains attendaient la saison suivante.
En parallèle, les Basques se lancent également dans la chasse aux phoques, notamment sur les Îles-de-la-Madeleine. Ils durent d’ailleurs affronter à deux reprises les corsaires anglais pour établir leur monopole sur cette île.
Ils traitèrent également avec les Amérindiens, particulièrement les Micmacs, établissant un poste de traite à Tadoussac. Ils en vinrent à dominer la traite de fourrure dans le golfe du Saint-Laurent au XVIe siècle.
En fait, pour l’anecdote, lorsque Jacques Cartier rencontrera des Micmacs lors de son premier voyage en 1534, il constatera que plusieurs portent une croix au cou et que plusieurs de leurs objets, comme les canots et les paniers, arborent une croix basque.
Comme on le sait, la langue basque n’est pas une langue indo-européenne. Les Basques furent donc habitués à traiter avec des Français et des Espagnols dans des langues n’ayant aucune similarité avec la leur. Il fut donc facile pour eux de marchander dans une langue d’affaires inventée avec les Micmacs, qui conservent à ce jour certains mots d’origine basque dans leur lexique. Même nous (les Québécois) avons conservé certains mots basques comme « orignal ».
La présence basque en Amérique française créera tout de même des remous et les Inuits, ainsi que la Compagnie de Caen et la Compagnie des Cents associés, s’opposeront à leur présence. Cela n’empêchera pas plusieurs pêcheurs de nouer des liens avec les Français suite à la création de la Nouvelle-France où les Basques espagnols seront tolérés même lors des guerres opposant la France et l’Espagne.
Avant le XVIIe siècle, la présence basque en Amérique est temporaire et saisonnière. Ce n’est qu’à ce siècle que s’établissent de façon durable quelques dizaines de Basques, 225 hommes célibataires au total d’après le chercheur André Desmartis. Installés le long du littoral et se mariant avec des Canadiennes-françaises, les Basques se dilueront et adopteront la culture locale. L’exception à cette règle sera le village gaspésien de Paspébiac où l’héritage basque est toujours vivant, la plupart des habitants provenant d’un seul navire s’étant échoué à cet endroit. Leur concentration à cet emplacement leur permit de conserver leur culture propre.
La présence basque au Québec est encore visible notamment à cause de quelques noms de famille comme Turbide, Bernatchez et Castilloux qui dénotent une ascendance directe. Il y a également un centre d’interprétation, le Parc de l’aventure basque en Amérique, situé à Trois-Pistoles, qui est à la fois un musée et un centre culturel. Certains festivals basques y sont organisés et on peut y jouer à la pelote basque, un sport traditionnel ressemblant au squash, mais joué avec une petite raquette de bois pleine, la paba. Seulement, l’organisme en charge a été déclaré en faillite en décembre dernier et aujourd’hui, l’avenir de ce lieu est incertain, la Caisse Desjardins locale ayant les clés des lieux et toute activité étant arrêtée.
Les Basques ont donc eu une influence certaine dans le développement de notre nation. Ils font partie des peuples européens qui ont tenté la grande aventure américaine, traversant l’immensité atlantique à leurs risques et périls pour le Nouveau Monde.
(Source : Le Harfang, avril/mai 2016).