Benjamin Constant de Rebecque, un exceptionnel arriviste
Benjamin Constant de Rebecque (1767-1830)
Fils d’un officier suisse, servant aux Pays-Bas néerlandais, il descend d’une famille de calvinistes d’Artois qui ont, au XVIe siècle, fui leur contrée natale après une intrigue politico-religieuse contre le maître espagnol. Né en pays vaudois, dans le canton de Berne, il ne sera jamais citoyen français et se signalera toujours par sa haine du catholicisme.
Il passe sa jeunesse à lire, voyager et batifoler. Il contracte un premier mariage, en 1789, avec Johanne-Wilhelmine von Cramm, épousée pour le renom de sa famille… l’honnête Benjamin se sait vérolé depuis un voyage antérieur en Grande-Bretagne. De 1788 à 1794, il est chambellan du duc de Brunswick et se signale par ses prises de positions contre « l’anarchie parisienne. »
En septembre 1794, il est remarqué par Germaine de Staël, la fille richissime de Necker : c’est le début d’une liaison de 15 années, orageuse et pesante, mais qui lui assure le gîte, le couvert et, croit-il, l’occasion de percer en politique. Tous deux arrivent à Paris le 24 mai 1795. Benjamin achète à vil prix quelques Biens Nationaux, polémique avec Jean-Baptiste Louvet dans Les Nouvelles politiques de l’ex-académicien Jean-Baptiste Suard, puis se réconcilie avec cet homme en vue : Louvet est député et membre de l’Institut, reconstitué par les Thermidoriens.
Benjamin se fait l’apologiste du Directoire, espérant sans succès, devenir citoyen français et se faire élire aux Cinq-Cents. Selon la Constitution de 1791, les descendants de huguenots chassés par la révocation de l’Édit de Nantes pouvaient redevenir citoyens français (ce qui n’était pas le cas de sa famille), tandis que la Constitution de 1795 n’admettait la naturalisation d’un étranger que s’il justifiait de sept années de résidence ininterrompue sur le sol français.
Fréquentant systématiquement les « gens en place », il fait le siège de Joseph Bonaparte (après avoir été débouté par Sieyès qui ne veut pas de concurrent doué d’un talent d’écrivain). Le frère aîné du Premier Consul lui obtient une place au Tribunat, le 24 décembre 1799, en dépit de sa nationalité étrangère, sur laquelle Benjamin ment effrontément.
Napoléon espère disposer de son style romantique qui plaît tant à l’époque, mais le Suisse joue à l’idéologue et veut faire carrière en tant qu’opposant au Premier Consul. Pour n’avoir pas compris que les beaux jours du parlementarisme stérile étaient momentanément terminés, il est chassé du Tribunat en janvier 1802, puis prié de quitter le sol français, l’année suivante.
Un nouveau mariage, en 1808, avec le grand amour de sa vie, Charlotte von Hardenberg, déjà deux fois divorcée, provoque la rupture avec Germaine de Staël en 1810. C’est alors qu’il tente de lier sa destinée à celle de Jean-Baptiste Bernadotte, ex-maréchal d’Empire, devenu en 1810 prince héritier de Suède. Du Béarnais, il ne reçoit qu’une décoration !
Il se rallie, un peu par hasard, à Napoléon lors des Cent-Jours et devient Conseiller d’État (le 20 avril 1815), chargé de rédiger L’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire, que le public nomme « La Benjamine », publié le 22 avril 1815. La loi du 12 janvier 1816 punit du bannissement tous ceux qui ont servi « l’usurpateur » durant les Cent-Jours en acceptant une fonction officielle (ainsi que tous les régicides qui ont approuvé cet Acte additionnel).
Réfugié à Londres après la défaite de Waterloo, il y publie son meilleur livre : Adolphe. Revenu à Paris, il parvient à se faire élire député d’opposition en 1819 et en 1824. Dès 1825, il travaille pour la coterie orléaniste. En 1830, devenu roi des Français, Louis-Philippe lui octroie de quoi payer ses dettes et le fait président d’une section du Conseil d’État, le 27 août… cet exceptionnel arriviste meurt le 8 décembre et le nouveau roi, pour conforter son trône, lui fait des funérailles nationales le 12 : un grand écrivain est toujours utile à un parti politique.
Au physique, c’était un homme grand, mou et rouquin, myope et zézayant, mais nullement un lâche, comme certains l’ont prétendu. Grand littérateur romantique, il est en politique l’archétype du carriériste vénal, un caméléon uniquement préoccupé de satisfaire son ambition. Ses thèses libérales et anticatholiques n’ont rien d’original, étant tirées de la philosophie des Lumières.