Ces chrétiens qui ont résisté à Hitler
Historien et écrivain, Dominique Lormier est l’auteur d’une centaine de livres (documents historiques, biographies, littérature). Chevalier de la Légion d’honneur et membre de l’Institut Jean Moulin, il retrace à travers vingt-sept portraits choisis d’hommes et de femmes catholiques, protestants et orthodoxes, une histoire de la résistance chrétienne face à Hitler.
Trop souvent, certains stigmatisent l’attitude des chrétiens en général, et de l’Église catholique en particulier pour leur passivité ou complaisance supposées à l’égard du régime hitlérien. Lormier tord le cou à ces légendes noires en étant factuel et sans jamais tomber dans le parti pris idéologique. Il est important de ne jamais céder à l’anachronisme quand nous souhaitons comprendre le passé.
D’emblée, précisons que « lors de l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler en janvier 1933, l’Allemagne compte 40 millions de protestants et 20 millions de catholiques ». Le nouveau chef d’État du Reich perçoit très vite l’importance de se concilier les chrétiens pour atteindre ses objectifs politiques : « en mettant en avant sa lutte contre le communisme, Hitler tente de séduire de nombreux chrétiens, afin de faire oublier que le nazisme est composé, en grande partie, d’athées convaincus et de néopaïens ouvertement racistes, antisémites et antichrétiens, comme Martin Bormann, Reinhard Heydrich, Alfred Rosenberg et Heinrich Himmler. »
Comme chacun sait, l’Église Catholique romaine avec Mit brennender Sorge rédigée pour le Pape Pie XI en 1937 par Eugenio Pacelli, futur Pie XII, dénonce le non-respect du concordat du 20 juillet 1933, critique l’idéologie nationale-socialiste, condamne le racisme, le culte de l’État, du chef et le paganisme. Lormier écrit que « l’incompatibilité du nazisme avec le catholicisme est au cœur de cette encyclique ».
Le Programme en 25 points du Parti ouvrier allemand national-socialiste, adopté officiellement dès l’année 1920, présente et résume leurs principales revendications. Cependant comme l’écrit Lormier, « malgré l’antisémitisme et le nationalisme de cette déclaration (1), de nombreux chrétiens allemands voient dans le nazisme le meilleur rempart contre le communisme athée, coupable en Russie soviétique d’importants massacres contre les croyants ». À ce jour, nous devons quand même rappeler que le communisme reste l’idéologie responsable du plus grand crime contre l’humanité.(2)
Au cours de son texte introductif, Lormier rappelle une vérité occultée ou méconnue : « le régime hitlérien entend ménager l’élite protestante prussienne, qui compte de nombreux officiers conservateurs, anticommunistes, occupant des postes importants dans la Wehrmacht ». Très vite, les catholiques allemands tentent de résister aux nationaux socialistes, raison pour laquelle « le nazisme s’en prend surtout à l’Église catholique à cause de son caractère universel et de sa forte indépendance institutionnelle ».
Par ailleurs, les archives américaines de l’Holocauste Mémorial Museum – citées par l’auteur dans son ouvrage – soulignent que « l’Église catholique ne fut pas aussi fortement divisée idéologiquement que l’Église protestante. Les dirigeants catholiques furent initialement plus méfiants du national-socialisme que leurs homologues protestants ». Il est intéressant de se souvenir que « la majorité des Églises luthériennes allemandes restent fidèles, en apparence, aux dirigeants du IIIe Reich, au nom de l’anticommunisme et du patriotisme ».
C’est un chiffre trop peu cité mais « on dénombre trois à quatre fois plus de prêtres catholiques allemands envoyés dans les camps de concentration que de pasteurs protestants de la même nationalité, alors que ces derniers sont trois plus nombreux que les prêtres durant la période du nazisme ».
Citons d’illustre mémoire, le frère franciscain Maximilien Kolbe, détenu dans le camp de concentration d’Auschwitz, qui se porte volontaire pour remplacer un père de famille, Franciszek Gajowniczek. Ce dernier avait été désigné pour mourir. Après deux semaines sans nourriture et sans eau, les gardiens le font exécuter au moyen d’une injection de phénol. Il a été canonisé en 1982 par Jean-Paul II.
Depuis des années, certains racontent que la France et le peuple français se sont montrés conciliants voire plus avec le Troisième Reich. Lormier revient sur ces mensonges en étant très pragmatique, c’est-à-dire en puisant dans les sources.
À ce sujet, il cite Simone Weil : « J’avais suffisamment travaillé sur la Shoah pour savoir que la France avait été de loin le pays où le pourcentage de juifs déportés s’était révélé le plus faible, un quart de la communauté et, toujours en proportion, très peu d’enfants. Ce phénomène ne trouvait son explication que dans une réalité indéniable : nombreux étaient les Français qui avaient caché des juifs, ou n’avaient rien dit lorsqu’ils savaient qui en protégeait ».
Cette philosophe juive convertie au christianisme ajoute : « Les Français ont agi avec un courage digne de respect, pour n’en tirer aucun profit. Beaucoup durent même se priver pour nourrir des bouches supplémentaires. La plupart d’entre eux ne se sont jamais fait connaître, n’ont pas reçu d’honneurs, de pensions, de médailles ». Ces rappels salutaires sont nécessaires dans une époque où nombreuses sont les officines qui tirent à boulets rouges sur notre passé en recourant aux mensonges.
Chaque chapitre est consacré à l’une des 27 figures retenues par l’auteur. L’ambiance de l’époque est parfaitement retranscrite : filatures dans le métro parisien, diffusion de journaux clandestins, minages de voies ferrées, dissimulation de preuves, arrestations, combats, messages cryptés etc. Nous arrivons, grâce au talent d’écriture de l’auteur, à percevoir ce qu’ils ont réellement vécu. Aujourd’hui nous en sommes loin.
Nous découvrons des gens de l’ombre, qui ne demandaient rien à personne, agir comme de vrais héros pour combattre l’envahisseur germanique et libérer leur pays. Ainsi, le père Bockel participe à des sabotages ferroviaires et à des embuscades contre les convois allemands. Le père Corentin se spécialise dans les filières d’évasion d’aviateurs et de résistants. Soupçonné par la Gestapo, des agents viennent l’arrêter au couvent Saint François. Ils ouvrent le feu. Blessé, il est transporté dans une clinique où avant de mourir « il pardonne à ses bourreaux ». Il meurt des suites de ses blessures. Ses derniers mots sont : « J’offre ma vie pour mes frères et mon pays ».
Un autre exemple, parmi d’autres que nous avons retenu, est celui du colonel Rémy, animateur du réseau la Confrérie Notre-Dame. Ce dernier a vécu « sous une tension croissante, pesante et oppressante, risquant à chaque instant d’être arrêté. Il affronte cette situation grâce à une force intérieure considérable et une foi religieuse mystique. Chaque fois qu’il est en danger, il implore la Vierge Marie. Il trouve dans la prière une force et un réconfort nouveaux ».
En refermant le livre, nous nous sommes immédiatement posé trois questions : est-ce que nous aurions résisté ? En des circonstances similaires, serions-nous capables de mourir en chrétien après avoir subi la torture et l’emprisonnement ? Ces héros, nos héros, sont-ils morts pour que plus de 70 ans après le pays soit ouvert aux quatre vents et livré aux contempteurs de la souveraineté française ? Chacun sera libre de répondre ou non à ces questions et de tirer sa propre conclusion.
Les personnalités mises en avant par Lormier sont inconnues pour la plupart ou méconnues même quand il s’agit des quatre maréchaux de la victoire, Philippe Leclerc de Hautecloque, Pierre Koenig, Jean de Lattre de Tassigny, Alphonse Juin. Leur héroïsme nous touche. Leur sens du sacrifice et du devoir en surprendra plus d’un. Difficile de tous les citer, mais les civils et les clercs résistants représentent les humbles, les modestes, les sans-grades dont les livres d’histoire parlent trop peu. Ce livre rétablit des vérités historiques et rend hommage aux anonymes avec justesse. Napoléon avait dit : « Impossible n’est pas Français ! » Ces portraits nous montrent qu’avec l’aide de Dieu, tout est possible…
Notes
(1) Programme en 25 points du NSDAP, notamment le point 24: « Nous exigeons la liberté au sein de l’État de toutes les confessions religieuses, dans la mesure où elles ne mettent pas en danger son existence ou n’offensent pas le sentiment moral de la race germanique. Le Parti en tant que tel défend le point de vue d’un christianisme positif, sans toutefois se lier à une confession précise. Il combat l’esprit judéo-matérialiste à l’intérieur et à l’extérieur, et est convaincu qu’un rétablissement durable de notre peuple ne peut réussir que de l’intérieur, sur la base du principe : l’intérêt général passe avant l’intérêt particulier. »
(2) Le Livre noir du communisme. Crimes, terreur, répression est un ouvrage rédigé par un collectif d’universitaires, publié en 1997 par les Éditions Robert Laffont. Rédigé pour marquer le quatre-vingtième anniversaire de la Révolution russe de 1917, il dresse un bilan des victimes des régimes communistes.
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