Eurussie : un nouvel enjeu de notre monde
Lorsqu’en 1986, Mikhaïl Gorbatchev dans un discours fleuve aborde le thème d’une « maison commune européenne », il est le continuateur d’une vieille idée qui a fait couler autant d’encre que de sang. De Gaulle invoquait déjà dans les années 60 une Europe « de l’Atlantique à l’Oural », incluant cette Russie (qu’il se gardait bien d’appeler URSS…) éternelle au positionnement géopolitique incontournable car unique, surtout dans un monde globalisé. Avant eux, Khrouchtchev (pour d’autres raisons) et la politique de la IIIe République française allaient aussi vers une entente entre la France, ou l’Europe, et la Russie.
Mais l’Europe, atlantiste depuis la fin de la IIe Guerre mondiale, a renforcé ses alliances vers des USA sortis de leur politique de Monroe, au nom d’un bouclier anti-communiste, parti de la « liberté » et fruit du containment américain.
Se protéger momentanément et tactiquement contre un adversaire idéologique doit être dissocié d’alliances avec des peuples ou des pays dont les enjeux historiques, de civilisation, et même économiques sont d’un intérêt commun à un ensemble géopolitique.
La fin de l’URSSS relance, juste après le discours prémonitoire de Gorbatchev, le serpent de mer d’une « Eurussie », surtout lorsque les USA devenus le gendarme unique du monde sont remis en cause de toutes parts et confrontés à la montée en puissance de la Chine.
Car le problème de l’Europe, et à fortiori d’une Eurussie, repose dans l’allégeance aux USA et à ses propres intérêts. Malgré leur toute puissance dans les secteurs essentiels du pouvoir (militaire, communications, langue, économie), les USA mettent tout en œuvre pour verrouiller leur rang de leader du monde et pour lui imposer ses deux critères fondamentaux de notre modernité : les Droits de l’Homme et la loi du marché. La grande sociologue Dominique Schnapper, membre du Conseil Constitutionnel, a parfaitement décrit ces seuls fondements de nos démocraties libérales dans son ouvrage Qu’est-ce que la citoyenneté ?. On ne peut que s’associer à ses désabusements.
Dans ces conditions, comment envisager un rapprochement avec la Russie ? Rapprochement certes révolutionnaire qui imposerait de mécontenter nos « amis » américains, notamment sur le point de signer avec eux – les rodomontades d’usages visant à accréditer une « souveraineté » européenne, terminées – le grand traité d’asservissement dit Grand Marché Transatlantique ou TAFTA. Le grand mouvement en tenaille opéré par les USA dans le monde se rapporte à la signature en novembre 2015 du TPP (Traité Trans Pacifique), petit frère pour le Pacifique – ou grand frère – du GMT pour l’Atlantique. Le fondement économique de ces traités ne peut occulter la réalité politique qu’ils recouvrent dans un monde où l’économique a supplanté le politique, offrant une victoire totale aux thèses du libéralisme et partant à son anéantissement identitaire des peuples anesthésiés par le consumérisme et l’iPhone…
Ainsi, l’isolement de la Chine et de la Russie est en passe de réussir. Ce qui incite, non par amour, mais par raison du moment, la Russie à passer accords sur accords avec la Chine. Surtout lorsqu’une Europe béate et badant les USA, prend fait et cause pour toute opposition à la politique de Vladimir Poutine, en Ukraine ou ailleurs.
C’est sous-estimer, à terme – court, moyen ou long ? – la position d’une Russie, gigantesque trait d’union du monde : ses frontières sont communes avec les USA (détroit de Behring), la Chine, le Moyen-Orient et l’Europe. Autant d’atouts opposés à autant de provocations d’encerclement de la part des USA depuis la Guerre Froide jusqu’à aujourd’hui. Mais le monde n’est plus divisé entre bolcheviques et libéralisme. Les identités incarnées dans les religions ou le regain des racines civilisationnelles ne sont-elles pas les nouveaux enjeux de notre monde ?
L’Europe avec ses 500 millions d’habitants et son 1er PIB du monde serait une puissance de recentrage du monde, avec une Russie blanche de plus de 100 millions d’habitants et ses ressources de matières premières – et notamment gaz et pétrole – considérables.
Vieille utopie trop souvent entachée d’arrière-pensées tacticiennes, l’union de l’Europe et de la Russie reste à construire…, mais au prix du renoncement aux alliances d’Après-Guerre.
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