Chine : le retour des empereurs ?
(Propos recueillis par Guillaume Mansart)
La Chine n’est plus présentée sur la scène internationale comme une dictature. Ce n’est pas non plus une démocratie. Qu’est-ce qui la définirait le plus justement ?
Je pense que le terme « d’autocrature » serait le plus pertinent. On y vote, certes, mais cela ressemble plus à un plébiscite qu’à autre chose. Il est vrai qu’on ne saurait gouverner plus d’un milliard de Chinois avec une démocratie libérale à l’occidentale. Ce pays est une mosaïque de peuples et de langues. Toute son histoire, des empereurs de jadis jusqu’à aujourd’hui, en passant même par la parenthèse de Mao Tse-Toung, a toujours tendu vers l’unification.
En ce sens, le président Xi Jimping, en se donnant les moyens de se représenter indéfiniment, se considère comme le continuateur de la Chine impériale. Pour lui, le communisme, comme le capitalisme, ne sont que des moyens, pas une fin. On peut d’ailleurs observer un phénomène similaire en Russie et en Turquie, là où Vladimir Poutine et Recep Erdogan se voient, l’un en tsar et l’autre en sultan. Ces dirigeants raisonnent sur le temps long et ont une vision « englobante » de leur histoire ; au contraire de la France, où nous vivons encore sur la rupture de la Révolution, nombre de nos dirigeants persistant à penser que notre pays est né en 1789, alors qu’il remonte au baptême de Clovis, voire plus loin encore. Voilà au moins une chose qu’Emmanuel Macron paraît avoir comprise, lorsqu’il assure que la mort du roi Louis XVI a laissé une place dont chacun ressent le vide, de manière plus ou moins consciente.
Qu’en est-il de la « guerre économique » entre la Chine et les USA qui défraie régulièrement la chronique mondiale : réalité ou fantasme ?
Il s’agit bien évidemment d’une réalité. Ce qu’il y a de pratique, avec la CIA, c’est qu’elle publie un rapport chaque année. Il y a dix ans, ses analystes estimaient que les USA avaient encore une décennie de puissance sans partage devant eux. Dix ans ? Nous y sommes. Ils misaient encore sur l’effacement de la Russie, ce qui devait leur permettre d’affronter leur ennemi véritable, la Chine. La Russie ne s’est pas effacée, bien au contraire, et la guerre larvée, qu’elle soit économique ou politique, est bel et bien là, avec les Chinois.
C’est à cette aune qu’il faut interpréter les mesures protectionnistes que Donald Trump tente de mettre en œuvre, mesures destinées, non point à protéger les intérêts des travailleurs américains, mais à enrayer la puissance chinoise. Sachant que Pékin détient une large part de la dette américaine, il est permis de douter, à long terme, de l’efficacité de ces manœuvres. Pour ajouter à l’embarras de la Maison blanche, encore faut-il savoir que la Chine entend se doter d’une armée susceptible de rivaliser avec celle des USA. D’où la récente crise entre Corée du Nord et Corée du Sud, qui pourrait bien se résoudre sous l’égide de Pékin, condamnant ainsi Washington au rôle de simple spectateur. D’où, encore, le redéploiement de la puissance américaine dans l’Océan pacifique, devenu le théâtre d’influence de ces deux pays. La preuve en est que les Américains se désengagent de leurs traditionnelles zones d’influence. Ils ont laissé la Russie gérer la crise syrienne et, en accordant à Jérusalem le statut de capitale israélienne, ils signifient que le Proche-Orient n’est plus une priorité.
Mais il y a une différence entre ces deux expansionnismes. Contrairement aux Américains, les Chinois se contentent du seul domaine économique, n’exportent pas leur culture, pas plus que leurs valeurs : bref, ils n’entendent pas imposer un quelconque « Chinese way of life »…
On en parle peu, pourtant la Chine est confrontée elle aussi au terrorisme islamique… Qu’en est-il ?
Méfions-nous du vocable de « terrorisme » qui recouvre à peu près tout et n’importe quoi, des indépendantistes kurdes du PKK aux narcotrafiquants d’Amérique latine en passant par l’État islamique. Celui auquel vous faites allusion concerne la minorité musulmane des Ouïgours, travaillée par le wahhabisme saoudien. Leur lutte est plus d’ordre séparatiste que religieux. Tout comme, en Chine, les persécutions anticatholiques concernent principalement les croyants reconnaissant plus l’autorité du Vatican que celle de l’Église catholique nationale ; toujours la hantise du démembrement de l’Empire et des influences étrangères…
Certes, les « terroristes » en question brandissent souvent l’étendard religieux, mais leurs revendications sont avant tout d’ordre politique, sans oublier le fait que le véritable « terrorisme », c’est le « terrorisme » d’État, ce qui est un tout autre sujet.