Même sur le blé la France perd !
Pour la première fois dans l’histoire de l’Europe, la France perd son rang de premier exportateur de blé au profit de l’Allemagne. La presse évoque le climat – celui-ci a bon dos ! – ; s’il est un facteur non négligeable, l’Allemagne a néanmoins reçu les précipitations venues de l’Ouest qui, tel le nuage de Tchernobyl dans l’autre sens, ne s’arrêtent pas aux frontières.
L’évènement ne fera pas les unes, il est pourtant d’une importance considérable ; il nous renvoie à nous-mêmes et à notre fameux modèle français, à nos faiblesses, à nos impasses ! 28,68 millions de tonnes contre 41 millions l’année dernière, la France ne pourra en exporter qu’environ 5 millions contre 6 à l’Allemagne.
Quand l’Allemagne connaissait la pénurie…
Qui se souvient que l’obsession du Lebensraum (espace vital) sous le régime nazi était liée aux limites de capacités productives agricoles de l’Allemagne, de même les Randkolonien prévues en Ukraine à partir de 1941 s’expliquent ainsi, même si elles ne se justifient pas, dans une population nombreuse et urbanisée ?
Les nazis créèrent la corporation nourricière (Reichsnärstand), structure qui englobait toute la vie agricole avec à sa tête Walter Darré, chef de la paysannerie du Reich. Le but était évidemment totalitaire, mais répondait (mal) à une angoisse de pénurie, le tout encombré d’un fatras idéologique qui confinait au ridicule : le Blubo (blut and boden).
Le régime avait rendu la propriété agricole inaliénable et héréditaire au profit de l’aîné. En effet, la paysannerie allemande, avant l’arrivée d’Hitler au Pouvoir, était fortement endettée, et les saisies nombreuses ; la révolte couvait dans les campagnes qui prenait la forme de grève des impôts. Cette jacquerie chronique fut récupérée par les nazis qui, par la contrainte et le contrôle de la paysannerie, purent limiter les pénuries : il fallait à tout prix préserver l’arrière de la faim. On se souvient que c’est ce facteur qui conduisit en 1918 à la défaite.
Oui la terre peut mentir !
Les capacités pédologiques et climatiques de l’Allemagne sont, sans conteste, inférieures à celles de la France. La SAU (surface agricole utile) est plus petite pour une population plus nombreuse ; il apparaît donc que dans la compétition, à partir de 1957 dans le cadre de l’Europe des 6, la France dispose d’un avantage certain.
Les négociateurs des premiers traités européens ont tous en tête, par un esprit de division de travail un peu simpliste, que la France sera le pourvoyeur alimentaire de l’Allemagne, ce qu’elle fut au moins jusqu’à la fin des années quatre-vingt. On me permettra ici d’évoquer le souvenir d’un salon de l’agriculture des années soixante-dix, où dans un coin modeste et effacé, les quelques stands de l’agriculture allemande, sont éclipsés par le triomphe un tantinet arrogant d’une agriculture française puissante, ayant su se moderniser, largement grâce la PAC.
Côté allemand, les plus âgés se souviennent peut-être de la Reichserntedankfest : « Fête nationale de remerciements pour la moisson », mais ce n’est pas au régime que l’agriculture allemande doit ces remerciements : plutôt à ses méthodes.
Que s’est-il donc passé ?
On a coutume d’opposer l’agriculture et l’industrie… Posons-nous la question d’une marque de tracteur français de nos jours, on cherchera longtemps.
Aujourd’hui, les progrès de l’agrochimie, de la mécanique, de la génétique permettent des augmentations de productivité même sur des terres moins bien dotées par la nature. Certes nous sommes sur un modèle productiviste et, avant le blé, les Allemands taillaient déjà des croupières aux Français dans le domaine du lait et du porc, mettant à mal le modèle breton qui souffre et se révolte ces dernières années.
Ce modèle productiviste a, de plus, en France, affaibli les sols, et l’on assiste à une baisse des rendements.
Le problème est qu’il est difficile de savoir si, globalement l’agriculture allemande a mieux respecté la terre, sachant qu’elle est moins apte à une production intensive.
Bien sûr, on évoquera par exemple, la main-d’œuvre peu chère utilisée par les exploitations allemandes (et les abattoirs) venue de l’Est, selon une vieille habitude historique. Quant à la PAC, elle recule en France comme en Allemagne. Certains penseront que c’est une bonne chose, d’autres le déploreront, mais on ne peut avoir le beurre (les produits), l’argent du beurre (les prix) et le sourire de la crémière, dite encore mondialisation « heureuse ».
La France doit s’interroger sur ses coûts, ses productions, ses circuits, ses réglementations, ses normes. On sait que la France applique avec une rigueur zélée les normes européennes avec lesquelles les Allemands sont plus souples.
Ses institutions syndicales, la FNSEA, le Crédit agricole, la MSA, autant de structure lourdes, coûteuses, sclérosées, pléthoriques en effectif… Les chambres d’agriculture et le ministère qui ont vu croître le nombre des fonctionnaires en raison inverse du nombre des paysans.
Une bureaucratie qui fait penser à la Pologne des Kolkhozes (ceux-ci furent supprimés dès 1956 en Pologne par Gomulka), et là-dessus, le triste ministre de l’agriculture Le Foll et ses aveux d’impuissance chronique !
Bref, la France si belle, si riche de ses terroirs, de sa tradition millénaire de façonnage du paysage, la France si douée pour la bonne chère (« Heureux comme Dieu en France » dit le proverbe… allemand) doit revoir sa politique agricole.
Que le mauvais temps ait aidé à cette prise de conscience relève du simple réel, à condition qu’on ne le dénie pas et qu’on ne se cantonne pas à cette seule explication.
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Philippe Randa,
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