Philippe Pichon, poète méconnu célèbre : 40 ans en poésie (1984-2024)
Par Fabrice Dutilleul
Philippe Pichon est l’auteur d’une trentaine de livres, romans et récits, essais et études littéraires, parfois même documents et écrits polémiques, mais c’est à travers la forme poétique que s’exprime le plus parfaitement sa sensibilité lyrique, qu’il explore la mémoire et ses failles, qu’il associe l’intime et le silence.
Tenir une forme de Journal poétique pour faire front. Pour résister aux noirceurs, celles de l’époque et celles des épreuves intimes. Écrire dans l’accueil de ce qui vient : la maladie, la vieillesse ou la joie « sans pourquoi ». Saluer la beauté passagère, la maigre euphorie, étreindre la vie si fragile et fugitive soit-elle.
C’est ce que tente une fois encore Pichon dans S’approcher du silence, et mourir comme l’on se tait, à paraître début 2025 aux éditions du Verbe haut, pour fêter ses 40 ans de et en poésie.
En effet, irrigué par ses sources tutélaires – la nature, la solitude, les livres – il poursuit ainsi une aventure commencée dans les années 80.
Pichon écrit son premier poème à 7 ans, gagne son premier concours littéraire à 8 ans (il est alors en CE2), et, encouragé par le poète Pierre Oster et l’éditeur Jean Breton, publie ses premiers textes à 17 ans dans la mythique revue Poésie 1 des éditions Saint-Germain-des-Prés.
De 1986 à 2004, s’en suivront des publications en revues, dans Poésie présente (sous dir. René Rougerie), Jointure (sous dir. Jacques Arnold), et Visages du XXe siècle (sous dir. Michel Beau).
Son premier recueil de poèmes, Ombre close, date de 1987. Pichon est tout juste majeur. Excusez du peu, il paraît chez l’éditeur Pierre de Tartas, sous forme de livre d’art, est illustré par l’artiste Jean Commère et tiré à 200 exemplaires[1].
Et c’est bien au Puy-en-Velay (Haute-loire), à l’occasion d’une commémoration de Frédéric Mistral, que certains des textes du recueil sont déclamés et mis en scène lors des Fêtes Renaissance du Roi de l’oiseau en la Commanderie des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem ; il y a reçoit le Prix national Albert Boudon-Lashermes.
Ses amis poètes s’appellent Jacques Réda, Charles Le Quintrec, Andrée Chédid, Hélène Cadou, qu’il rencontre à la Maison de Poésie de la rue Ballu, au dernier étage de la S.G.D.L., et surtout Jacques Charpentreau, son président, qui lui ouvre les colonnes de sa revue, Le Coin de table.
C’est aussi l’époque où, à Carnac, chez l’éditeur Jean Grassin[2], il côtoie les amants des Muses, Pierre Osenat (« Prince des Poètes ») et Pierre Béarn, le patriarche de la bande (102 ans), à qui l’on doit le fameux « boulot métro dodo »[3]. C’est le temps, où, à Paris, il fréquente un autre Héros du Pinde, le poète parnassien Pierre Lepère, qui deviendra son meilleur ami.
Tout s’accélère ensuite : sociétaire des Poètes français ; vice-président de l’Association artistique de la Préfecture de Police (A.A.P.P.) ; lauréat à quatre reprises de l’Académie des Jeux floraux (Toulouse), la plus vieille société littéraire d’Europe (instituée en 1323) ; premier prix de poésie classique par-ci, distingué et couronné par-là, jusqu’au prix de la découverte poétique Simone de Carfort (richement doté par la Fondation de France), en 2023, pour Cieux défunts, ciels défaits (préfacé par James Sacré, illustré par Jacques Cauda), et, au prix Baudelaire, la même année, pour le diptyque Entre deux échos de Villon… suivi de …et dix absinthes de Verlaine.
Citons encore, parmi ses derniers recueils, aux éditions Siloë, en 2023, Tout est trop vaste pour les mots et J’ai laissé fuir le soir, annoté par la comédienne, autrice et metteuse en scène Morgane Lombard.
Dans Cieux défunts, ciels défaits [« Coup de cœur » des libraires indépendants, Livre Hebdo, avril 2023], le questionnement à l’œuvre dans les mots s’enrichit d’un dialogue avec un « Très-haut ». Manière d’en accueillir les résonnances.
Le poète fait passer dans ses « fragments et instantanés » une attention aigue aux choses de la nature et de la vie, et le langage juste et fin qui convient à ce regard sensible.
Ancré dans la modernité (avec des études sur Saint-John Perse, Pierre Emmanuel, Pierre-Jean Jouve) et pourtant grand admirateur des poètes finiséculaires, de Verlaine à Rimbaud, de Baudelaire à Mallarmé, il n’hésite pas à renouer avec les formes de la narration poétique et à réinventer les rythmes de ce qu’on pourrait nommer l’élégie contemporaine.
Le poète écrit dans une langue française parfumée qui parle au nom de la rose et qui se montre lumineuse dans ses amples versets. Ainsi, grâce à France Inter, un large public a pu découvrir, parue chez Prolégomènes, sa trilogie de fragments, Aux basaltes de l’âge (2021), L’Éphémère en héritage (2021) et La joue pas rasée de la solitude (2022).
Les textes de Pichon participent d’une même inspiration, et d’abord d’une même quête. Sa poésie interroge la légitimité de ce qu’est l’Infini retrouvé. Il est attentif au travail de ses voix, aux rapports de la langue et de l’histoire, du vivre et du dire, du verbe et du silence qui font sens en créant ensemble le rythme.
Dans S’approcher du silence…, sa poésie se nourrit fondamentalement de l’exploration d’une intimité inquiète, peuplée de souvenirs et de fantasmes que l’auteur se doit de « travailler » pour faire pièce aux tourments de la chair et de la conscience.
Avec une poignée de mots, de notes, de phrases réajustées et de versets qui consolent ses flâneries et ses errances, il rassemble contre son souffle un paysage rond et creux qui le précède et se soulève au rythme de son pas. Le jour qu’on ne voit pas lentement se rapproche, poussé par les nuages bas, décombres fumants de l’espace. La mer sans fin dénombre ses épaves.
En somme, Pichon tient ses paysages contre lui, comme un panier de terre humide et sombre. La pluie errante en lui parcourt le lecteur d’une connaissance désabusée. Il est ce passant parmi d’autres, puis plus personne – sinon ce bâton d’aveugle qui sonde au fond de toute mémoire.
Photo de Philippe Pichon : © Anissa Jalisse.
À noter à l’agenda :
La presse célèbre, cette année, ses quarante années d’entrée en poésie (1984-2024). À commencer par France Culture et Radio Courtoisie : Philippe Pichon sera l’invité de Marie-Anne Maleyre, le 20 novembre prochain, de 12h à 13h30, et de Pascal Payen-Appenzeller, le 4 décembre, à partir de 14h.
Il sera par ailleurs en dédicace au salon d’automne de ‘L’autre Livre’, au Palais de la Femme, à Paris (XIIe), le samedi 9 novembre 2024, au stand des éditions Sans Crispation, pour la signature de son dernier roman, Déjeuners sur l’herbe avec Nathalie Rheims.
Pour toute information :
Philippe Sarr (Sans Crispation) : 06-14-82-10-99
ou sanscrispation.editions@gmail.com
https://sanscrispation-editions.fr/
Pour aller plus loin :
Son dernier essai, À sauts et à gambades (Ardavena, 2024), avec son pote Jacques Cauda, un livre de critiques littéraires acerbes, recueille les suffrages unanimes de la presse, de « Service Littéraire » au « Matricule des Anges » et à Radio Libertaire !
Pour toute information : https://ardavena.com/
Bibliographie (sélective) :
Poésie
*Ombre close, poèmes, avec une lithographie et deux eaux-fortes originales de Jean Commère, Pierre de Tartas, 1987 (épuisé) ; réédition courante, préface d’Yves Duteil, Les Presses Littéraires, 1999 (épuisé).
*Les Poudrins de la mémoire, coll. « Les Bergers de l’évasion », Dutan, 2020 (vol.1) et 2021 (vol.2).
*[Entre] presque [et] rien, coll. « Les Bergers de l’évasion », Dutan, 2021.
*Tous nos silences ont leurs secrets, coll. « L’Alphabet de Siloë », deux volumes, Siloë, 2021.
*Aux basaltes de l’âge (I), Prolégomènes, 2021.
*L’Éphémère en héritage (II), Prolégomènes, 2021.
*La joue pas rasée de la solitude (III), Prolégomènes, 2022.
*Entre deux échos de Villon… suivi de …et dix absinthes de Verlaine, coll. « L’Alphabet de Siloë », deux volumes, Siloë, 2022.
*Le ciel ne fait pas l’ombre d’un regard, fragments, coll. « Poésies au présent », Douro, 2022.
*Cieux défunts, ciels défaits, versets, coll. « La Bleu-Turquin », présenté par James Sacré, illustré par Jacques Cauda, Douro, 2023.
*Tout est trop vaste pour les mots, fragments, coll. « Hors d’Îlot », Silöe, 2023.
*J’ai laissé fuir le soir, fragments, coll. « Hors d’Îlot », note de Morgane Lombard, Silöe, 2023.
*S’approcher du silence, et mourir comme l’on se tait, le Verbe haut, 2025 (à paraître).
Essais & études
*« Saint-John Perse ou l’apostrophe polyphonique de la modernité », Le Coin de table, n°19, juillet 2004 et n°20, octobre 2004, La Maison de Poésie / Plein Chant.
*« Pierre-Jean Jouve ou l’exorcisme du temps », Le Coin de table, n°40, novembre 2009, La Maison de Poésie / Plein Chant.
*« Pierre Emmanuel ou la raison ardente », Le Coin de table, n°42, avril 2010, La Maison de Poésie / Plein Chant.
*Le cas Céline, coupable mais de quoi ? coll. « Patrimoine des Lettres », Dualpha, 2007 ; 2e éd. Dualpha, 2008 ; 3e éd. revue et augmentée Dualpha, 2019.
*La Tentation anarchique. Lettre ouverte à Julien Coupat, Jean-Paul Rocher, 2011.
*Pourquoi la littérature [du vagin] respire mal. Les daltoniennes de l’écriture inclusive, le Verbe haut, 2023.
*À sauts et à gambades, avec Jacques Cauda, Ardavena, 2024.
*Des années Solex aux minutes MacDo. Lectures buissonnières, 1950 à nos jours, le Verbe haut, 2024 (à paraître).
*À hue et à dia. Carnet de lectures d’un nomade sédentaire, France Univers / Michel Mourlet éditeur, 2024 (à paraître).
*Apollinaire et l’Esprit nouveau, un alcool de Bibliothèque rose suivi de Les Bourlingueurs, le Flair, 2025 (à paraître).
*rimbaud@verlaine.fr, le Flair, 2025 (à paraître).
*Théâtre [in]complet, Vibrations, 2025 (à paraître).
Romans & récits
*À contre-silence, roman, Noir & Blanc, 2003.
*Le Pain d’ortie, récit, coll. « Voyage au bout des Lettres », Dualpha, 2006 ; coll. « Les Bergers de l’évasion », Dutan, rééd. 2020.
*Un Pays vers le ciel, roman, coll. « Voyage au bout des Lettres », Dualpha, 2006 ; éditions de Paris / Max Chaleil, rééd. 2021.(sous le titre Un Regard vers le ciel) ; le Flair, rééd. 2024 (sous le titre EuthanasiA). Le film Tout s’est bien passé, de François Ozon, avec Sophie Marceau, André Dussollier, Géraldine Pailhas, Charlotte Rampling et Daniel Mesguich, en est une libre adaptation.
*Un ami de haut bord, récit, coll. « La Bleu-Turquin », Douro, 2023.
*Déjeuners sur l’herbe avec Nathalie Rheims, roman, Sans Crispation, 2024.
*Court-lettrages, nouvelles, Sans Crispation, 2025 (à paraître).
*Manon, les yeux du ciel, récit, Sans Crispation, 2026 (à paraître).
[1] Dans la réédition courante de 1999, aux Presses Littéraires, le recueil est préfacé par Yves Duteil.
[2] Pichon a participé à l’Encyclopédie poétique (28 volumes) des éditions Jean Grassin.
[3] Le vers dont s’inspire cette expression est tiré du recueil de poésie Couleurs d’usine, paru chez Seghers en 1951:« Au déboulé garçon pointe ton numéro / Pour gagner ainsi le salaire / D’un morne jour utilitaire / Métro, boulot, bistro, mégots, dodo, zéro ».