L’Inquisition médiatique
« En exergue de mon livre, je cite ce verdict de Céline :
“C’est toujours le toc, le factice, la camelote ignoble et creuse
qui en impose aux foules, le mensonge, toujours ! Jamais l’authentique”. »
Entretien avec Francis Puyalte, Ancien Grand reporter à L’Aurore et au Figaro, à propos de son livre L’Inquisition médiatique, préfacé par Christian Millau
(propos recueillis par Éric Maillebiau, journaliste indépendant)
D’après vous, les rapports entre les journalistes et leurs lecteurs sont abstraits, lointains…
Les journalistes ne rencontrent pratiquement jamais les lecteurs. En me référant à ma propre expérience, que je me garderai évidemment de généraliser, je précise que les lettres des lecteurs, d’ailleurs assez rares, sont jetées à la corbeille… Sauf les lettres de félicitations ! Dès mes débuts dans le métier, les anciens m’ont appris qu’il n’y a que « les fous » pour écrire aux journaux. C’est méprisant, cynique et pas tout à fait vrai. Mais l’espoir fait vivre… Avec ce livre, je mise sur la qualité de quelques lecteurs, pas sur leur quantité.
Vous dégainez les poivrières sur l’« affaire Kamal », soit celle des « juges pédophiles de Nice » et vous êtes fier de ce coup de pied dans la fourmilière des médias…
J’ai écrit qu’on allait m’accuser de cracher dans la soupe, mais que j’assumais. Car je trouve cette expression idiote. Si on est lucide sur sa profession, pourquoi en vanter le côté lumière et en taire le côté sombre ? Je ne pratique pas le corporatisme. Et le déplore dans toutes les professions, notamment dans la magistrature.
Amer est mon constat de la bêtise et de la lâcheté, si répandues dans l’espèce humaine… Ai-je de la rancœur ? Comment ne pas en avoir lorsqu’on est déçu par des comportements, des injustices ? Suis-je révolté ? Je l’ai toujours été. Ce que je ne supporte pas, c’est la mauvaise foi. Et la sottise. Elles vont souvent de pair. Dans l’affaire Kamal, c’est flagrant, évident. Et le pire, c’est que ça paye ! En exergue de mon livre, je cite ce verdict de Céline : « C’est toujours le toc, le factice, la camelote ignoble et creuse qui en impose aux foules, le mensonge, toujours ! Jamais l’authentique. » C’est si vrai, hélas !
Vous avez rencontré des difficultés pour être publié. Est-ce lié à votre propos ?
Soit mon livre est peu susceptible d’intéresser le grand public – ce n’est ni du Marc Lévy, ni les mémoires de Stéphanie de Monaco ; et puis l’affaire Kamal n’est pas l’affaire Grégory – et un éditeur est avant tout un commerçant. Il doit vendre pour vivre… Soit il y a l’aspect « règlements de comptes » qui a été évoqué par deux éditeurs, d’après ce qui m’est revenu aux oreilles. Et alors ? Est-il interdit ou inintéressant, malvenu ou malséant, de régler des comptes avec des imposteurs et des malfaisants, seraient-ils de votre propre famille ? Et enfin, je prends à partie pratiquement tous les journaux et toutes les chaînes de télévision, des supports avec lesquels les maisons d’éditions se doivent forcément d’entretenir de bonnes relations. Non seulement, je ne suis pas dans le Système (circuit officiel, renvoie d’ascenseur…), mais je le dénonce. Alors… À vous d’en tirer les conclusions et de choisir entre ces trois explications.
Vous avez transmis votre livre à nombre de vos anciens confrères, et parfois même vos anciens patrons, à l’instar de Franz-Olivier Giesbert. Quels ont été leurs retours ? Comment expliquez-vous leur réaction ?
Aucun retour. Aucune réaction. Rien. Le silence. Pas même un coup de fil. Mais je m’en doutais. Le Figaro ? Avec ce que j’écris sur lui à travers cette affaire, un papier sur le livre aurait été étonnant. Idem pour tous les autres. Quant à Franz-Olivier Giesbert, c’est un homme, un journaliste et un écrivain que j’admire, qui a un talent rare, avec lequel je m’entendais très bien. Humainement et professionnellement, je le place au-dessus de beaucoup d’autres. Je suis certain qu’il n’aurait pas eu avec moi l’attitude de son successeur dans l’affaire Kamal. L’ennui, c’est que j’attaque bille en tête son actuel adjoint au Point, Hervé Gattegno, qui a joué un très sale rôle dans cette affaire, qui en est pratiquement à l’origine. Alors…
Vous décrivez finalement deux castes de journalistes : les jeunes, coupables d’être plus ambitieux que besogneux… et les vieux burinés aux sillons creusés par le soc de leur plume désabusée ?
Ce n’est pas la querelle des anciens contre les modernes, des vieux contre les jeunes… Non, mais peut-être que tout va trop vite aujourd’hui avec Internet et les téléphones portables qui font de chacun d’entre-nous un journaliste d’occasion… Il faut se méfier de la vitesse, de la précipitation qui peut vous faire passer à côté de la vie. On n’a jamais vu François Mitterrand en train de courir. Il avait la démarche d’un cardinal. Quel artiste ! À mon humble avis, les journalistes d’aujourd’hui devraient méditer son parcours et laisser du temps au temps.
Comment éviterait-on les risques de multiplier les dérapages journalistiques ? À vous lire, ils paraissent inévitables…
Je ne suis ni un moraliste, ni un professeur. Je ne prétends pas avoir des solutions. Mais il me semble que le premier souci et devoir d’un journaliste devraient être la rigueur et l’honnêteté intellectuelle dans la recherche de la vérité. C’est un métier qui ne supporte pas l’amateurisme. Il faut avoir quelques réflexes élémentaires : se méfier toujours, ne se fier à personne, ne s’étonner de rien, se garder à droite et à gauche, vérifier ses informations, ses sources, prendre du recul… La possession de la carte de presse ne fait pas forcément le professionnel. Pour moi, le manque d’expérience sur le « terrain » explique en partie les dérapages journalistiques dans cette affaire. En partie seulement.
Quel regard portez-vous sur la Justice ?
Je reprendrai la réponse que m’a faite le procureur général Paul Louis Aumeras à cette même question : « La justice est une loterie »… Qu’après quarante ans de carrière, un si haut magistrat puisse faire ce constat, cela fait réfléchir, non ?
L’Inquisition médiatique, Francis Puyalte, Éditions Dualpha, collection « Vérités pour l’Histoire », dirigée par Philippe Randa, 348 pages, 33 euros. Pour commander ce livre, cliquez ici.