Sur la persécution de la civilisation ukrainienne par la Russie
Par Tetyana Popova-BonnalNous regrettons beaucoup la guerre du Donbass qui n’a pas de fin et toutes les tueries semées par la vicieuse modernité dans le monde slave. Dans la presse occidentale, le côté ukrainien est souvent mal présenté, mais le point de vue russe domine dans tous les médias alternatifs ; ici nous voulons éclairer pour nos lecteurs patriotes les événements historiques sur les rapports russo-ukrainiens, surtout dans le champ linguistique et ethnoculturel.
Au début, il est nécessaire de rappeler que le rapprochement officiel entre la république des cosaques zaporogues et le royaume de Moscovie prend sa source à partir de mars 1654, quand pendant la guerre de libération nationale contre les Polonais, l’hetman d’Ukraine Bohdan Khmelnytsky – représentant des chefs des cosaques – et le gouvernement de Moscou signent un accord connu comme les « Articles du mois de mars ».
Selon ce traité, l’Ukraine devait garder son administration dirigée par un hetman électif ; le droit local devait gouverner le pays, et ni les chefs de l’armée moscovite, ni leurs gouverneurs, n’avaient le droit de se mêler des affaires locales ; l’Ukraine devait garder son armée (l’armée régulière cosaque comptait 60 000 personnes !).
L’État ukrainien avait le droit d’avoir des rapports avec des gouvernements étrangers (sauf la Pologne et l’empire ottoman bien sûr), l’hetman était élu à vie sans demander l’opinion du tsar, et l’État ukrainien avait le droit de perception des impôts sur son territoire ; les représentants de Moscou levaient juste le tribut fixé dans le traité.
Le gouvernement moscovite a rompu cet accord en 1667 en signant avec la Pologne un nouveau traité. Mais jamais dans les accords entre les cosaques zaporogues et le royaume de Moscou, il ne s’est agi d’annexion ni de rattachement de l’Ukraine au royaume de Moscou !
À cette époque, l’Ukraine avait bien sûr formé sa langue particulière, son système d’éducation, son imprimerie, et les écritures des dossiers de tous les établissements étaient rédigés en ancien ukrainien. Les cosaques avaient installé sur tout leur territoire des écoles et des hôpitaux ; leurs monastères réalisaient aussi la mission des centres d’éducation et de maisons de retraite pour les vieux cosaques.
Alors les terres des zaporogues devenaient la source principale d’une élite bien instruite, du clergé cultivé, des musiciens et des chanteurs, des artisans, des bons ouvriers et des guerriers pour la Moscovie.
Et bien que la transition sous le pouvoir russe se déclarât comme celle qui devait « protéger l’orthodoxie », les idées préconçues des pouvoirs moscovites forçaient les gens de la Petite Russie qui s’installaient à Moscou (même les prêtres de haut niveau et les évêques) à être rebaptisés selon la coutume moscovite – sinon leur orthodoxie – l’orthodoxie de Kiev, du berceau de la chrétienté slave, de la « mère des villes de la Russie » – n’était pas assez bonne pour la cour du tsar *!
À partir du XVIIe siècle, le gouvernement central de Moscou commence l’interdiction et la destruction systématique de la langue et de la tradition ukrainienne.
Le Synode de Moscou ordonna au métropolite de Kiev de retirer des églises et des monastères ukrainiens tous les livres de l’ancienne imprimerie cosaque en imposant les éditions de Moscou.
Plus tard, en 1627, le premier des Romanov, le tsar Mikhail, ordonne de brûler ces livres des églises cosaques ; son successeur continue les mêmes interdictions en ordonnant d’exécuter les auteurs et les imprimeurs de ces livres. À la même époque, les Polonais commencent de pareilles persécutions contre la langue ukrainienne.
Il est significatif qu’en 1905 les Russes ont reconnu eux-mêmes que « la première censure en Russie a été établie singulièrement pour les livres de la Petite Russie. »
Ainsi, les auteurs ukrainiens du XVIIe siècle (surtout les célèbres évêques et les hommes de lettres : Petro Mohila, aujourd’hui béatifié par l’église orthodoxe ; Simeon Polotsky, Lasar Baranovytch et les autres) étaient désapprouvés et un anathème était lancé contre eux.
En 1709, Pierre le Grand diminue le nombre des étudiants de l’académie Kievo-Mogylanska de 2000 à 161 (ici, il faut souligner que cette académie était la première et unique université pour tous les Slaves de l’Est) et il fait transférer tous les professeurs de Kiev à Moscou ; la censure pour les publications ukrainiennes devient totale.
Le tsar ordonne de confisquer toutes les chartes de cosaques et tous les livres historiques, imprimés ou écrits à la main, qui étaient gardés dans les anciens monastères d’Ukraine. Et, de plus, Pierre le Grand avait emprunté le nom grec de la Russie (Rosia) pour le grand-duché de Moscou !
Progressivement, le gouvernement publie des ordres pour interdire l’enseignement en ukrainien, pour retirer les moindres restes des livres d’églises ukrainiennes. Les écoles fondées par les généraux cosaques disparaissent, et comme conséquence, le niveau d’instruction du peuple devient catastrophique.
Plus tard, toutes les archives des zaporogues furent confisquées (y compris les documents sur les relations entre les zaporogues et la Crimée des tartares !). Et la Grande Katherine commence la destruction définitive de la Siètche (région-mère) des zaporogues et la russification centralisée de la Finlande, des pays baltes, de l’Ukraine et de Smolensk (une région biélorusse !).
Elle ordonne de liquider en Ukraine l’institution du hetman en effaçant même la mémoire de ce passé historique.
Et encore il faut évoquer un choc plus destructif pour le peuple, c’est la réduction au servage des paysans ukrainiens à partir de 1780 (dix ans avant que les Tartars de la Crimée abolissent le servage, l’empire d’Autriche, dans le même temps, abolissant la corvée).
La même année, la plus grande et la plus vieille bibliothèque – celle de l’académie de Kiev – est brûlée. On établit même le contrôle des prêtres pour que leur langage ne sonne pas à la manière ukrainienne.
À ce moment, Le Seym (parlement) de Pologne ferme toutes les écoles ukrainiennes, interdit les études ukrainiennes à l’université de Lviv en imposant partout la langue polonaise. Le nazisme voulut limiter la scolarité à douze ans dans sa zone occupée… Pour créer un esclave adéquat, la méthode est toujours la même.
Le XIXe siècle, avec son essor de la poésie et de la culture ukrainienne, mène à d’autres ennuis. Malgré la tolérance relative et l’intérêt folklorique (Gogol) par rapport à la culture ukrainienne (qui tout de même fleurissait et s’épanouissait même dans la capitale septentrionale de la Russie), les poètes, les écrivains, les scientifiques étaient persécutés par la police ou la justice du tsar.
Exemple le plus criant : la déportation pour dix ans dans les déserts kazakhs du poète et peintre Chevtchenko – ancien serf – au grade de soldat avec interdiction de dessiner et d’écrire !
Au cours du XIXe siècle, deux documents (sans nommer les dizaines d’autres) les plus rigoureux continuaient de lutter contre la tradition en Ukraine – c’étaient la circulaire de Valuev sur l’interdiction de toute édition ukrainienne, dont « la langue n’existait et ne peut pas exister », interdiction presque orwellienne, suivie par l’ordre d’Ems qui interdisait toute importation des livres en ukrainien comme toutes traductions en ukrainien, les pièces de théâtre, l’impression des textes ukrainiens pour les partitions et les interprétations des œuvres musicales ukrainiennes !
Cet ordre imposait dans les écoles d’Ukraine les professeurs moscovites en renvoyant les professeurs d’origine ukrainienne dans les territoires du nord de la Russie ; cette règle continua de fonctionner jusqu’aux années quatre-vingt-dix de l’époque soviétique !
Les prêtres et les évêques ukrainiens connaissaient le même sort. Au début du XXe siècle, le ministère de l’Éducation continue de fermer les écoles ukrainiennes (qui s’ouvrent obstinément et qui survivent) et d’interdire encore et encore l’usage de la langue ; le gouvernement de Stolypine avait annoncé la fermeture de toutes les sociétés culturelles ukrainiennes et les imprimeries, interdisant l’usage de la langue dans les lieux publics. Nos voisins les Polonais et les Roumains ne restaient pas en reste des Russes sur cette question, et on ne manquera pas de documents qui en témoignent. En France aussi, on connaît la dureté du pouvoir central contre les langues et cultures locales, considérées comme coutumes ou patois.
Sous le communisme, après une brève période d’ukrainisation, utile pour les bolcheviques pendant un moment, le gouvernement élimine tous les kobzars (poètes-chanteurs aveugles et ambulants qui comme Homère portaient la sagesse du peuple dans leurs cantiques historiques et religieux).
L’extermination physique domine pendant tout le XXe siècle. En 1933, Staline envoie un télégramme pour mettre fin à l’ukrainisation et commencer les répressions du holodomor si connu par le nombre horrifiant de ses victimes.
Même pendant les années soixante, on lutte contre les « traditions de conservatisme et contre les coutumes ukrainiennes », avec comme conséquence la menace de la Sibérie pour tout le monde jusqu’à la fin des années soixante-dix !!!
Soljenitsyne, dans son dernier livre, avait modifié sa position inflexible sur l’Ukraine et sa soumission sans condition à la Russie comme « grand frère » de tous les Slaves ; et il avait dit – « Alors vous – les Ukrainiens comme les Biélorusses – vous resterez nos frères ! »
Avec cette affirmation positive, nous voulons espérer que la terre d’Ukraine retrouvera la paix et que personne ne doutera de l’existence de ce peuple, de sa langue, de ses coutumes et de ses traditions répandues des Carpates jusqu’au Caucase du nord – et du haut Dnipro jusqu’à la mer Noire.
Bibliographie
* Miller A. I. « La question ukrainienne » dans la politique d’état et dans l’opinion publique russe (deuxième moitié du XIXe siècle).
- V. Dmitriev, docteur en histoire de l’université de Moscou – « Les questions d’histoire », N° 8/2002.
La note du parlement d’Ukraine sur les interdictions de la langue ukrainienne de 11.03.2003.
www.argumentua.com les interdictions de la langue ukrainienne.
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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.
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Tetyana Popova-Bonnal, née à Dniepropetrovsk, Ukraine, master en philologie et doctorat en littérature, musicienne et passionnée de cuisine. Ancienne chef des chœurs à l’Alliance française et à la cathédrale de la Sainte Croix de Dniepropetrovsk. Traductrice de l’œuvre de Nicolas Bonnal en russe et en ukrainien, traductions des « Chevaux de feu » de Kotsubinskiy et des contes de fée de Pouchkine.