Ce qui caractérise surtout la Bulgarie ce sont les vestiges de la civilisation thrace. Celle-ci a été aussi la victime de notre enseignement de l’époque antique : en effet les Thraces y ont été éclipsés par les Grecs. Et même dépouillés : savez-vous que le tombeau d’Orphée (dont le modèle historique aurait été un roi-prêtre) se trouve à Tatul, dans le sud de la Bulgarie ? Sa visite est un enchantement, surtout lorsque les derniers rayons du soleil atteignent le sommet du site. Et que le sanctuaire de Dionysos en est proche, situé à Perperikon, énorme chantier de fouilles dont on peut suivre les progrès d’année en année ? Moyennant de bons jarrets et un couvre-chef, l’on en gravit le grand escalier menant au palais-sanctuaire dominé par son acropole, antérieure à celle d’Athènes.
D’ailleurs, chaque culture a laissé sa marque dans ce site exceptionnel, depuis les roches à bassins a priori néolithiques et que l’on retrouve partout ou presque en Europe, le trône royal et l’autel à Dionysos, l’un et l’autre également creusés dans la roche, les « inévitables » constructions romaines, et même celles d’un château fort médiéval. On se lasserait d’énumérer les vestiges thraces, également caractérisés par des tombes monumentales telles celles de la « Vallée des Roses » (que l’on pourrait aussi qualifier de « Vallée des Rois »…) au pied du Balkan Central (1), dont la plus célèbre est celle de Kazanlak avec sa coupole peinte (on ne visite qu’une reproduction, mais irréprochable) ou celle du roi Seuthes III près de Sipka (2), qui a même eu les honneurs de la télévision française. Près du Danube, la nécropole de Svestari est classée par le Guide Vert (publicité gratuite) comme valant le voyage (mais attention aux jours d’ouverture, et photographie interdite). Enfin les musées du pays contiennent d’inestimables richesses en objets thraces, particulièrement des bijoux en or d’une extraordinaire finesse : celui d’histoire de Kazanlak bien sûr, mais aussi le musée archéologique de Varna qui présente les pièces trouvées lors de « la découverte du siècle », soit sa nécropole datée de 4600-4200 av. J.-C. (deux millénaires avant l’apogée égyptien…), si bien que les Bulgares peuvent revendiquer la « première civilisation d’Europe » sur leur territoire (3). Et aussi le musée archéologique de la capitale, Sofia, implanté dans l’ex-Grande Mosquée.
Mais (subjectivement) nous préférons les vestiges thraces moins célèbres et ne pouvant être atteints qu’à la force des jambes (et parfois des bras…). On les trouve principalement dans le sud du pays, et là il est prudent de se munir de la carte au 1 : 120 000 « Eastern Rhodopes ».
Et d’avoir l’esprit d’investigation ainsi que l’attention en éveil : la signalisation, bien qu’elle arbore fièrement, du moins au bord des routes, le drapeau européen (subventions…) juxtaposé au bulgare, est des plus sommaire, de même que le balisage des itinéraires pédestres. Si bien – il faut l’avouer – qu’il nous est arrivé de renoncer, en particulier à trouver le « Pont de Diable » (lui a priori médiéval) : on recommencera… En revanche, outre un cromlech (protohistorique ?) situé raisonnablement à une heure de marche aller-retour de la route et par un itinéraire ombragé, nous avons pu, moyennant beaucoup de sueur, atteindre l’extraordinaire sanctuaire thrace d’Utrobata (près du village de Nenkovo). Comparé à Perperikon, il peut paraître bien modeste, mais quelle impression, lorsque après plus d’une heure de sentier à forte dénivelée, l’on aperçoit de loin cette fente dans la falaise, évoquant l’œil de Sauron dans Le Seigneur des Anneaux, ou plus probablement la matrice de la grande déesse. Et l’on n’est pas encore arrivé… L’on passe auprès d’une fontaine rustique avant d’atteindre le pied du « temple », que le commentaire accompagnant la carte date du « 11-10 BC ». Et là une échelle de fabrication locale vous mène quelques mètres plus haut à deux planches branlantes surplombant le vide, dont le franchissement permet de se glisser dans la fente de la roche. Cette grotte orientée N-S étant profonde d’une dizaine de mètres et une fente permettant au soleil d’y pénétrer à midi. Ainsi, selon le commentaire de la carte guide, le Dieu-soleil féconderait la déesse-mère. Ensuite, il reste à parcourir en sens inverse ce que le document de référence qualifie apparemment sans humour de « tourist trail » (solides chaussures de marche conseillées par nous, ainsi que bidon d’eau).
Il y a donc encore beaucoup de choses à découvrir, et les archéologues en trouvent encore… Sauf à écrire un livre, il faut faire des choix, et j’ai fait l’impasse sur les beautés naturelles des pays balkaniques ainsi que sur l’époque médiévale et ses impressionnants vestiges, musulmans comme chrétiens. De même aurait-il fallu parler du « Refuge des ours dansants » dû à Brigitte Bardot près de Bansko (le Megève bulgare) (4) ; de la vie quotidienne avec ses charrettes hippomobiles, qui ne sont pas le privilège exclusif des Tziganes, et dont les occupants semblent plus épanouis que nos compatriotes dans leurs limousines neuves achetées à crédit, etc.
Et il faut revenir vers l’ouest. L’on a du mal à s’arracher à la vallée du Danube, le fleuve européen par excellence, qu’empruntant cette fois l’itinéraire nord on suit en Serbie, en jetant un œil à la Roumanie qui se trouve de l’autre côté de l’eau. Et l’on franchit les célèbres « Portes de fer » dont le nom seul me faisait rêver il y a bien longtemps en cours de géographie… Ensuite le déplacement devient à la fois fastidieux (autoroutes pour gagner du temps… sauf au passage de la frontière : cf. premier article), et frustrant : il y a tant de sites intéressants à voir en Serbie et Croatie, outre la charmante Slovénie, véritable « Autriche du sud » ressemblant à un grand parc bien entretenu. Ce qui, il faut l’avouer, tranche avec les pays précédents où l’espace public, et tout spécialement les quelques aires de stationnement, ressemble à une immense poubelle… À Nova Gorica (anciennement Goritz) l’on monte au couvent des Franciscains, quasiment à cheval sur la frontière italienne, avec l’intention d’y visiter dans la crypte la « nécropole des Bourbons en exil » (5), mais les horaires d’ouverture, très contraignants, se révèlent incompatibles avec le déplacement en cours.
En Italie, l’on revoit de jeunes Africains vêtus de neuf déambulant dans les rues. Et dans la région d’Asti des « Vénus noires », assises sur des chaises aux carrefours en attendant le client. L’on se rend alors compte que l’on a retrouvé l’Europe occidentale.
(Nota : il y a aussi une autre manière de visiter la Bulgarie : prendre l’avion pour arpenter les trottoirs de Sofia ou se dorer sur les plages de Varna. Chacun ses goûts).
Notes
(1) Le mot étant d’origine turque, les Bulgares préfèrent parler de « Stara Planina » (« Vieille montagne »)
(2) Sipka est aussi connu par la défense épique de son col par un régiment russe renforcé de volontaires bulgares, qui en août 1877 y a bloqué la contre-offensive de l’armée turque.
(3) Ouvrage de référence : Perperikon, la civilisation des hommes des roches (Surtitré : « Bulgarie – Voyage vers l’inconnu ») de Nikolaï Dimitrov Ovtcharov. Si la rigueur scientifique de ce travail d’un « docteur ès sciences historiques » est incontestable, et les illustrations superbes, il ne faut pas en revanche être exigeant quant à la traduction en français, plus littérale que littéraire.
(4) Ces animaux étaient exhibés dans les foires par des Tziganes (jusqu’à la loi de 2002), ou certains détenus dans des zoos dans des conditions déplorables. C’était en général des oursons récupérés après avoir tué la mère, que l’on dressait en les maltraitant et promenait avec une chaîne fixée à un anneau passé dans le nez (et parfois même la mâchoire) et dont les dents et griffes avaient été arrachées. La fondation créée par la célèbre actrice française leur assure une « retraite heureuse » dans un refuge situé sur la commune de Belica, où certains ont même pu renouer avec leurs instincts naturels (hibernation). À souligner qu’aucune participation n’est demandée aux visiteurs, mais, à vrai dire, les droits d’entrée sont en Bulgarie systématiquement modestes et les retraités bénéficient même d’une réduction !
(5) Après la révolution de 1830, le roi Charles X s’exila avec sa famille et décéda à Gorizia, alors austro-hongroise, en 1836.
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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.
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Louis-Christian Gautier, diplômé en histoire médiévale et de l’Enseignement Militaire Supérieur Scientifique et Technique (option histoire), a été rédacteur et conseiller éditorial de la revue "Aventures de l’Histoire". Il est l’auteur de plusieurs livres sur les Templiers et la IIe Guerre mondiale. Dernier livre paru : "1914-1918 : les faits têtus de la Grande Guerre" aux éditions Dualpha.